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traire à la réalité des faits. L'État requérant n'a aucun droit au delà des limites de sa souveraineté, de son territoire. On dit que l'État requis abaisse ses frontières devant l'État requérant et qu'il met ses agents à la disposition de ce dernier. Il ne suffit pas de le dire, il faudrait le prouver. Un tel abandon des prérogatives de la souveraineté ne se suppose pas; il ne se fait pas tacitement et par on ne sait quel accord implicite des parties. Cette combinaison n'existe réellement que dans l'imagination des partisans du système. En fait, les agents du pays requis agissent en vertu de l'ordre émané des autorités locales, seules compétentes, et non pas au nom des autorités étrangères. C'est l'État requis, qui commande directement l'arrestation du fugitif et fait procéder à son extradition. Voilà la réalité évidente, contre laquelle ne saurait prévaloir une fiction, si commode qu'elle puisse être pour l'explication théorique de la procédure.

Du reste, il n'est pas un point de ce système qui ne prête à la critique.

On y pose en principe que l'État requis n'a aucun droit propre et direct sur la personne du fugitif à raison des infractions commises par lui à l'étranger. Ce principe est contestable. Il n'est pas un code aujourd'hui, qui, pour certains cas, ne donne à la justice locale compétence pour connaître d'infractions commises à l'étranger par un étranger. Et la doctrine n'est pas à court de bonnes raisons pour justifier cette compétence.

l'État requis ouvre

On dit ensuite que rien ne s'oppose à ce que son territoire aux agents étrangers. Cette opinion peut être soutenable en théorie pure; mais l'application en entraîne de tels inconvénients qu'elle n'a jamais été que très-exceptionnellement admise dans les relations internationales. On cite le traité de 1818 entre le Pape et le roi des Deux-Siciles; on pourrait y ajouter quelques autres exemples de même nature. Mais l'étude des conventions plus récentes démontre que de pareilles combinaisons ne sont plus en faveur. Les nations se montrent jalouses du droit de souveraineté, et n'admettent plus qu'une force étrangère s'exerce sur leurs territoires. La dernière convention où se voit encore la trace d'une tolérance de ce genre, est la convention du 22 février 1869, entre la France et la Bavière, pour la répression des délits et contraventions en matières forestière, rurale, de pêche et de chasse; d'après l'article 3 de ce traité, les agents respectifs, qui constatent un délit dans leur circonscription, peuvent suivre

les objets enlevés, même de l'autre côté de la frontière, sur le territoire de l'État voisin, jusque dans les lieux où ils auraient été transportés, et en opérer la saisie; mais ils n'ont pas le droit de s'introduire dans les maisons, bâtiments, cours adjacentes ou enclos, s'ils ne sont assistés d'un fonctionnaire public désigné à cet effet par les lois du pays dans lequel la perquisition a lieu. La souveraineté locale se trouve ainsi garantie, puisqu'en réalité c'est l'autorité du pays qui préside à l'acte accompli sur son territoire. Une disposition semblable figure dans le traité du 30 juin 1864 (art. 9) entre la France et la Suisse. Mais on chercherait vainement, dans les conventions actuellement en vigueur, une clause qui permît aux agents d'un État de procéder à l'arrestation d'un délinquant sur le territoire d'un autre État souverain.

Le système dont nous venons de nous occuper part donc de principes contestables en théorie ou repoussés par le droit international moderne, pour aboutir à une fiction. Il faut chercher ailleurs le fondement légitime du droit d'extradition.

QUATRIÈME SYSTÈME. — Quelques publicistes, pour justifier le droit d'extradition, se sont bornés à établir l'intérêt que l'État requis trouve à l'exercer. Cet intérêt est double, comme on l'a déjà démontré: 1o par suite de la solidarité qui unit aujourd'hui les nations, le crime, qui retentit chez l'une, réveille un écho chez l'autre, et il importe d'en prévenir les fâcheux effets par une énergique répression; 2° remettre un malfaiteur à ses juges naturels c'est, pour l'État requis, le moyen d'obtenir la réciprocité de la part des autres États. L'intérêt de l'État requis est donc évident. D'autre part, l'extradition ne lèse aucun droit de l'individu réclamé ce dernier n'aurait eu aucun juste motif pour protester contre son arrestation, s'il avait été arrêté sur le territoire de la nation où le crime a été commis et conformément aux lois locales; or, il n'a pu acquérir aucun droit nouveau par sa fuite; donc il n'est pas fondé à réclamer contre l'extradition. Si, d'un côté, l'État requis a intérêt à effectuer l'extradition, et si, de l'autre, l'extradition ne lèse aucun droit du fugitif, il faut bien admettre que l'État requis est fondé à agir comme il le fait.

Cette argumentation n'est pas satisfaisante. On pose en principe que l'individu réclamé n'a acquis par sa fuite aucun droit nouveau. Sans doute, cela est exact, si l'on ne considère que les rapports établis entre le fugitif et l'État requérant la fuite du mal

faiteur n'a pas changé ces rapports, et l'Etat requérant a conservé le droit de le juger et de le punir. Mais il en est autrement des rapports entre l'individu réclamé et l'État requis, les seuls dont nous ayons à nous préoccuper ici. La fuite les a modifiés, ou, pour mieux dire, les a créés. Avant d'entrer sur le territoire de cet État, l'individu réclamé ne lui devait rien et n'avait rien à attendre de lui. Maintenant, au contraire, il doit obéissance aux lois locales, et il a droit à la protection de ces lois. Qu'on ne dise donc pas que l'extradition ne lèse aucun droit chez le fugitif : c'est répondre à la question par la question.

A quoi sert aussi d'établir l'intérêt du gouvernement requis à autoriser l'extradition? Cet intérêt n'est pas contestable. Mais ce n'est pas là qu'un droit peut avoir sa base légitime. Que serait la justice, si les intérêts créaient des droits? C'est évidemment se tromper que de chercher dans cet ordre d'idées l'origine du droit d'extradition. Le double intérêt que l'État requis trouve à exercer ce droit constitue, comme on l'a vu, la cause du contrat d'extradition et la cause de l'obligation de l'État requis; mais il ne suffit pas pour justifier ce droit.

CINQUIÈME SYSTÈME.

Après avoir ainsi exposé les diverses théories imaginées pour établir le droit d'extradition, et en avoir indiqué les points défectueux, nous arrivons au système suivant, qui a toutes nos préférences.

Le droit d'extradition n'est autre chose que le droit de concourir au jugement et à la répression de l'infraction commise à l'étranger. L'État requis, qui exerce ce droit, fait en même temps acte de souveraineté et acte de juridiction: acte de souveraineté, en saisissant et en livrant l'individu réclamé; acte de juridiction, en le livrant pour être jugé ou puni à raison de l'infraction commise. Le droit d'extradition est une forme particulière du droit de juridiction.

Ce ne sont pas les adversaires qui manquent à cette théorie. Beaucoup de jurisconsultes soutiennent qu'un Etat ne peut avoir aucun droit sur un étranger à raison de faits commis à l'étranger. L'Etat, disent-ils, n'est fondé à demander compte à un individu des actes que celui-ci commet, que si ces actes sont contraires à la loi positive. Peu importe, d'ailleurs, qu'ils soient en opposition avec la loi morale! La loi morale n'oblige que la conscience. Pour que ses prescriptions deviennent obligatoires, il faut qu'elles soient

consacrées par la loi écrite. Et la loi écrite ne peut avoir d'effet en dehors du territoire où s'exerce la souveraineté du législateur.

Ceux, dit Locke, qui ont le pouvoir souverain de faire des lois en Angleterre, en France, en Hollande, sont, au regard d'un Indien aussi bien qu'au regard de tout le reste du monde, des gens sans autorité. » Il en résulte que la loi de l'État requérant est, pour ainsi dire, comme si elle n'existait pas pour l'État requis. A l'égard de ce dernier, l'individu réclamé n'est coupable d'aucune infraction à la loi locale; il y a lieu, tout au plus, de lui reprocher une infraction à la loi morale; mais il n'appartient à personne d'en appliquer la sanction. L'État requis est donc sans droit de juridiction sur le fugitif.

L'objection, comme on le voit, mérite une réfutation sérieuse. Et, d'abord, il n'est pas exact de dire que la loi ne peut avoir d'effet en dehors du territoire où elle a été édictée. Ce serait nier que la loi eût un caractère personnel, et vouloir lui attribuer exclusivement le caractère territorial. Chacun reconnaît que la loi pénale est d'abord territoriale, en ce sens qu'elle oblige tous ceux qui sont sur le territoire; mais chacun sait aussi et il serait inutile de l'établir ici — qu'elle constitue en outre une sorte de statut personnel qui suit partout le national. De là vient que, dans la plupart des législations contemporaines, on trouve des dispositions pénales applicables aux crimes commis à l'étranger. Il ne faut donc pas dire que la loi n'a pas d'effet à l'étranger.

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Mais appartient-il à un État étranger d'en appliquer la sanction? La solution de cette question se trouve préparée par ce qui vient d'être dit. Il suffit, en effet, pour établir le droit de l'État requis, de prouver que son intervention est juste et nécessaire. A ces deux conditions, le droit de punir existe pour cet État.

La cause même de son intervention en prouve la justice. Quelle est cette cause, en effet, si ce n'est d'assurer l'application de la loi pénale? Or, la loi pénale n'est pas un recueil de prescriptions arbitraires elle a son principe dans la morale, dont elle cherche à formuler les règles aussi rigoureusement que possible. Grâce à la nature même de leur origine, la plupart de ces règles sont admises, en même temps, dans tous les pays qui occupent des degrés rapprochés sur l'échelle de la civilisation. Un certain nombre d'actes y sont également flétris par la conscience humaine. Des prohibitions semblables se retrouvent dans leurs codes. On en peut former comme une sorte de loi pénale supérieure, qui do

mine tout un groupe de nations. Peu importe, dès lors, qu'une infraction ait été commise ici ou là, pourvu que ce soit dans le cercle d'action de cette loi. La punition, qu'elle soit infligée ici ou là, par telle Puissance ou par telle autre, sera également juste: En intervenant, dans une mesure quelconque, pour cette répression, une Puissance fait donc acte de justice.

Il ressort, toutefois, de cette démonstration une conséquence qu'il importe de retenir c'est que l'intervention d'un État pour assurer la répression d'un délit commis sur le territoire d'un autre État, n'est juste que si ce délit tombe sous le coup de la loi pénale commune aux deux Puissances. Si cette condition n'était pas remplie, l'intervention ne serait pas justifiée, et, par suite, l'État requis serait sans droit.

On trouvera, dans les autres parties de ce livre, l'application de ce principe important qui domine toute la matière de l'extradition. A ce principe est due la règle en vertu de laquelle l'extradition a lieu pour les infractions communes et non pour les infractions politiques: la conscience de tous les peuples reconnaît la criminalité des premières, tandis qu'elle n'est pas unanimement fixée sur le caractère des autres. Il en est de même des infractions aux lois sur l'esclavage, qui ne sont pas encore bannies des codes de toutes les nations civilisées.

Après avoir prouvé que l'État requis peut être justement fondé à appliquer la sanction de la loi pénale violée sur un territoire étranger, il resterait à démontrer que son intervention est nécessaire.

Mais, c'est là une tâche déjà accomplie. Il suffit de se reporter aux diverses considérations que nous avons exposées, lorsque nous avons recherché la cause du contrat d'extradition et l'intérêt des déux parties contractantes. Cet intérêt est si pressant que certains publicistes, comme on l'a vu, en ont voulu faire la base du droit d'extradition. L'intervention de l'État requis est nécessaire au même titre que l'exercice même du droit de punir par l'État requérant sur son propre territoire : c'en est le corollaire indispensable. Lorsque le coupable est saisi sur le territoire même où l'infraction a été commise, le pouvoir local exerce son droit de punir, et il ne vient à la pensée de personne d'en contester la nécessité. Mais, si le coupable a passé la frontière, l'État où l'infraction a été commise se trouve impuissant; cependant il faut que la justice ait son cours. L'intervention de l'Etat, sur le

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