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territoire duquel le coupable est réfugié, est donc nécessaire. Ici, pourtant, se présente une objection. L'intervention de l'État étranger, dira-t-on, est nécessaire soit. Mais pourquoi cette intervention s'exercerait-elle en effectuant l'extradition du coupable? Ne peut-il procéder lui-même au jugement du réfugié et appliquer directement la sanction de la loi violée?

Cette objection même suppose la question résolue. Il ne s'agit pas, quant à présent, de prouver remarquons-le que l'État. requis doit intervenir nécessairement pour accorder l'extradition du réfugié. Il s'agit seulement de montrer que cet État doit nécessairement concourir à la punition du réfugié, c'est-à-dire, participer à l'exercice du droit de répression. Du moment qu'on lui accorde le droit de juger et de punir directement le réfugié, la cause est gagnée : il est reconnu que l'État requis doit nécessairement exercer le droit de juridiction.

Ce droit, il peut l'exercer de deux façons différentes ou bien il fera arrêter l'inculpé, rassembler les preuves, déclarer la culpabilité et appliquer la condamnation; ou bien il fera arrêter l'inculpé et le livrera, pour être jugé, au pays requérant. Qu'il prenne l'un ou l'autre parti, il n'en fera pas moins acte de souveraineté et de juridiction; mais il est nécessaire qu'il opte pour une des alternatives. Cette nécessité a été nettement aperçue et indiquée par Grotius dans les lignes suivantes (1):

<< Cum vero non soleant civitates permittere ut civitas altera armata intra fines suos pœnæ expectandæ nomine veniat, neque id expediat, sequitur, ut civitas, apud quam degit qui culpæ est compertus, alterum facere debeat, aut ut ipsa interpellata pro merito puniat nocentem, aut ut eum permittat arbitrio interpellantis, hoc enim illud est dedere, quod in historiis sæpe occurrit. >>

Et plus loin, il dit encore:

« Quæ omnia tamen sic intelligenda sunt, ut non stricte populus aut rex ad dedendum teneatur, sed, ut diximus, ad dedendum aut puniendum. >>

La plupart du temps, l'État requis prendra de préférence le parti d'accorder l'extradition de l'individu réclamé à l'État requérant. Il y sera déterminé par la pensée de faire prévaloir la compétence territoriale. On sait l'intérêt qu'il y a à ce que le juge

(1) Grotius, De jure belli ac pacis, cap. xx1, § 4.

ment et la punition du coupable interviennent dans le pays où l'infraction a été commise: c'est là que la découverte de la vérité est le mieux assurée et que le besoin de la répression se fait surtout sentir. L'État requis sera encore poussé à cette même détermination par la pensée de s'assurer, de la part de l'État requérant, la réciprocité pour les cas analogues.

Résumons en quelques lignes cette longue démonstration.

On a vu, d'abord, que le malfaiteur fugitif n'a aucun droit personnel à opposer à l'extradition, puisqu'il reste soumis à la loi pénale, qui le suit partout. On a constaté ensuite que l'intervention de l'État requis pour appliquer la sanction de cette loi, c'est-à-dire, que l'exercice du droit de juridiction par l'État requis est juste et nécessaire. On a vu, enfin, que l'État requis peut exercer son droit de juridiction de deux manières, et qu'il a de bonnes raisons pour livrer le coupable à ses sujets naturels. Il est donc établi que le droit d'extradition existe au profit de l'État requis.

En d'autres termes, on peut dire maintenant que la remise du réfugié à l'État requérant est, pour l'État requis, chose possible et juste. Le contrat d'extradition a donc un objet certain, qui forme la matière de l'engagement. Ainsi se trouve réalisée la dernière condition essentielle pour la validité de ce contrat.

Bien qu'il soit démontré que l'État requis a le droit d'arrêter et de livrer le malfaiteur fugitif, il reste encore, dans cet ordre d'idées, une question à résoudre : c'est celle de savoir quelle autorité dans cet État a l'exercice de ce droit. Cette question, on le comprend, ne comporte pas de réponse générale; la solution en varie selon le droit public interne de chaque peuple.

Dans certains pays, des lois spéciales règlent la matière de l'extradition, en déterminent la procédure, et fixent les attributions respectives des autorités diverses qui y concourent. On peut voir dans ce livre le texte des lois qui régissent ces questions en Belgique, aux Pays-Bas, aux États-Unis et en Angleterre.

Dans d'autres pays, aucun acte législatif spécial n'est encore intervenu en cette matière. Les règles qui y sont observées proviennent d'usages anciens, et se justifient par des applications plus ou moins rigoureuses de lois faites en prévision d'éventualités différentes.

Telle est notamment la situation de la France. Il existe cepen

L'AS

dant un décret du 19 février 1791, dont voici les termes : «< « semblée nationale décrète que le comité de constitution se réu<< nira incessamment au comité diplomatique, pour proposer une a loi sur l'extradition réciproque des prévenus de certains crimes, << entre la France et les autres nations de l'Europe... » Mais ce décret n'a pas été suivi d'effet.

Aussi des jurisconsultes français se sont-ils demandé si l'arrestation et l'extradition d'un étranger étaient légales en droit positif. Jusqu'en 1849, la question a prêté à la controverse.

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D'un côté, on soutenait qu'un étranger ne pouvait être conduit à la frontière s'il n'avait été reconnu coupable par jugement, soit de vagabondage en France, soit d'attentats aux personnes ou aux propriétés commis à l'étranger et emportant des peines afflictives et infamantes. A l'appui de cette opinion, on citait l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme : « Nul homme ne peut être « accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi « et selon les formes qu'elle a prescrites... »; l'article 16 (chapitre v, Du pouvoir judiciaire) de la Constitution de 1791: « Tout « homme, quels que soient sa place ou son emploi, autre que ceux " à qui la loi donne le droit d'arrestation, qui donnera, signera, « exécutera ou fera exécuter l'ordre d'arrêter un citoyen; ou quiconque, même dans les cas d'arrestation autorisés par la loi, conduira, recevra ou retiendra un citoyen dans un lieu de « détention non publiquement et légalement désigné; et tout gardien ou geôlier qui contreviendra aux dispositions des articles 14 et 15 ci-dessus, seront coupables du crime de déten« tion arbitraire » ;— l'article 76 de la Constitution de l'an VIII : « La maison de toute personne habitant le territoire français est « un asile inviolable. Pendant la nuit, nul n'a le droit d'y entrer K que dans le cas d'incendie, d'inondation ou de réclamation faite « de l'intérieur de la maison. Pendant le jour, on peut y entrer « pour un objet spécial déterminé ou par une loi, ou par un ordre « émané d'une autorité publique »; l'article 81 de cette même Constitution de l'an VIII, qui reproduisait les dispositions de l'article 16, chapitre v de la Constitution de 1791 » ; - l'article 3 du Code Napoléon: « Les lois de police et de sûreté obligent tous « ceux qui habitent le territoire. Les immeubles, même ceux pos« sédés par des étrangers, sont régis par la loi française..... » ;— l'article 6 (ancien) du Code d'instruction criminelle : « Cette disposition (celle de l'article 5, qui permettait de poursuivre en

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France le Français qui avait commis certains crimes à l'étranger) « pourra être étendue aux étrangers qui, auteurs ou complices « des mêmes crimes, seraient arrêtés en France, ou dont le gou« vernement obtiendrait l'extradition »> ; l'article 272 du Code

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:

pénal « Les individus déclarés vagabonds par jugement pour<«<ront, s'ils sont étrangers, être conduits, par les ordres du gouvernement, hors du territoire du royaume »;— l'article 13 de la loi du 3 brumaire an IV : « A l'égard des délits de toute autre nature << (non justiciables des tribunaux français), les étrangers, qui sont prévenus de les avoir commis hors du territoire de la République, ne peuvent être punis et jugés en France; mais, sur la << preuve des poursuites faites contre eux dans les pays où ils les «< ont commis, si ces délits sont au nombre de ceux qui attentent << aux personnes ou aux propriétés, et qui, d'après les lois françaises, emportent peine afflictive et infamante, ils seront condamnés, par les tribunaux correctionnels, à sortir du territoire français, avec défense d'y rentrer jusqu'à ce qu'ils se soient jus<< tifiés devant les tribunaux compétents » ; — l'article 4 de la Charte de 1814: Leur liberté (des Français) individuelle est légalement garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans « les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit »; l'article 4 de la Charte de 1830, reproduisant l'article 4 de la Charte de 1814;-l'article 1er de la Constitution du 14 janvier 1852, confirmant l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme : << La Constitution reconnaît, confirme et garantit les grands principes proclamés en 1789 et qui sont la base du droit public des Français. >>

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De toutes les dispositions générales qui viennent d'être citées, on tirait cette conséquence, qu'en l'absence d'une loi spéciale, un étranger ne pouvait être arrêté en France et conduit à la frontière par mesure administrative, en raison d'une infraction commise par lui à l'étranger.

Cependant, cette doctrine n'avait pas prévalu. Un décret du 23 octobre 1811 avait positivement reconnu à l'Empereur le droit d'extradition. Voici le texte des deux articles principaux de cet

acte:

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ART. 1. Toute demande d'extradition faite par un gouver«nement étranger, contre un de nos sujets prévenu d'avoir com<«< mis un crime contre des étrangers sur le territoire de ce gouvernement, nous sera soumise par notre grand juge, ministre

« de la justice, pour y être par nous statué ainsi qu'il appar« tiendra.

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« ART. 2. A cet effet, ladite demande, appuyée de pièces justificatives, sera adressée à notre ministre des relations extérieures, lequel la transmettra avec son avis à notre grand juge, « ministre de la justice.

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>>

Il est vrai que ce décret n'a en vue que l'extradition des nationaux, et que, sous ce rapport, il n'a jamais été mis à exécution. Mais la légitimité n'en a pas été contestée. Les dispositions en ont été appliquées à l'extradition des étrangers, et c'est, à vrai dire, le seul acte qui ait déterminé la compétence et la procédure observées encore aujourd'hui chez nous en matière d'extradition. Ce décret ne faisait, du reste, que consacrer les usages antérieurs, qui conféraient au souverain le droit d'extradition. Depuis lors› une jurisprudence constante a confirmé les mèmes principes, qui ont été formulés dans plusieurs circulaires émanées de l'administration, et dans de nombreux traités internationaux. La théorie avait trouvé des arguments pour justifier la pratique on soutenait que les lois protectrices de la liberté individuelle en France ne sont applicables qu'aux Français, et l'on établissait cette thèse par une revue d'ensemble de notre législation au point de vue de la condition faite aux étrangers. On en concluait que le souverain, maître de refuser l'entrée de son territoire aux étrangers, pouvait aussi faire reconduire à la frontière ceux d'entre eux qu'il y avait laissés pénétrer.

Il n'est plus besoin maintenant de recourir à une telle argumentation pour justifier le droit d'extradition. La loi des 3-11 dé'cembre 1849 a conféré au pouvoir exécutif le droit de contraindre un étranger à quitter le territoire, si sa présence parait dangereuse pour l'ordre et la sûreté publique. Voici le texte de l'article 7 de cet acte législatif :

« Le ministre de l'intérieur pourra, par mesure de police, en« joindre à tout étranger voyageant ou résidant en France, de « sortir immédiatement du territoire français et le faire conduire « à la frontière. Il aura le même droit à l'égard de l'étranger qui « aura obtenu l'autorisation d'établir son domicile en France; mais, après un délai de deux mois, la mesure cessera d'avoir effet, si l'autorisation n'a pas été révoquée suivant la forme « indiquée dans l'article 3. Dans les départements frontières, le préfet aura le même droit à l'égard de l'étranger non résidant, à

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