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LIVRE V

DES EFFETS DE L'EXTRADITION

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La procédure est close et l'extradition autorisée; le malfaiteur fugitif a été mis à la disposition des autorités du pays requérant. Il semble que le but poursuivi soit atteint, et qu'il n'y ait plus lieu de s'occuper de l'extradition. Cependant les choses ne sont pas dans l'état où elles se seraient trouvées, si le fugitif avait pu être arrêté sur le territoire du pays dont il a violé les lois. Le pays de refuge n'a autorisé l'extradition que sous certaines conditions librement acceptées. Le gouvernement requérant a pris des engagements qu'il doit remplir; les droits de la juridiction, devant laquelle l'extradé comparait, ne sont plus entiers; l'extradé lui-même, s'il n'y renonce expressément, est couvert par les réserves imposées par le gouvernement étranger. Ce sont là des effets de l'extradition, dont il convient de déterminer exactement la portée.

A vrai dire, cette étude, par la nature des questions qu'elle comprend, appartient au droit public interne. Mais elle se rattache par des liens étroits à la partie de ce travail, qui est de droit international pur elle forme le complément naturel et né

cessaire de la théorie de l'extradition.

Au point où nous en sommes, le rôle du pays, auquel l'extradition a été demandée, est terminé. Le pays, qui a obtenu l'extradition, est, pour ainsi dire, seul à considérer. Voyons comment il peut satisfaire aux obligations qu'il a contractées; nous chercherons ensuite à préciser la situation que l'extradition fait à l'individu livré.

CHAPITRE PREMIER.

DES EFFETS DE L'EXTRADITION PAR RAPPORT AU PAYS AUQUEL ELLE A ÉTÉ ACCORDÉE.

L'extradition s'est effectuée en vertu d'une convention passée entre le gouvernement requis et le gouvernement requérant.

Ou bien elle a été autorisée par application d'un traité préexistant entre les deux pays, et, alors, les obligations réciproques des deux parties sont déterminées par les stipulations de ce traité. Ou bien elle a été accordée en l'absence de toute convention générale, et les conditions, qui y sont mises, ont été arrêtées dans un arrangement spécial, négocié par la voie diplomatique. Dans tous les cas, le gouvernement, qui a obtenu l'extradition, a pris des engagements formels qu'il doit remplir. Ces engagements varient selon les cas et selon les pays; le nombre en est indéfini, et il serait sans intérêt de chercher à en dresser une nomenclature, qui resterait forcément incomplète. D'ailleurs, en nous occupant des personnes et des actes passibles d'extradition, du concours de demandes et des poursuites exercées dans le pays requis, nous avons indiqué les conditions ou réserves qui sont le plus fréquemment imposées. Toute réserve ou condition de cette nature, librement acceptée, constitue, pour le pays requérant, un engagement auquel il est tenu de se conformer après avoir obtenu l'extradition.

Au nombre de ces conditions, il en est une qui peut servir de type et qui est imposée dans tous les cas : l'extradé ne doit être poursuivi ou puni, dans le pays requérant, qu'à raison des chefs d'accusation ou de condamnation, pour lesquels l'extradition a été accordée. Il se peut, en effet, que le fugitif soit poursuivi ou ait été condamné pour deux infractions, dont l'une seulement est passible d'extradition. Dans ce cas, le pays requérant, pour obtenir sa remise, est obligé de promettre que l'extradé ne sera poursuivi ou puni que pour cette dernière infraction. Souvent

même, aucune réserve formelle n'est posée par le gouvernement requis; aucun engagement exprès n'est pris par le gouvernement requérant. Mais la situation reste la même, en présence des stipulations du traité général d'extradition, conclu entre les deux États. La règle dont il s'agit a été, en effet, l'une des premières que le droit moderne de l'extradition ait inscrite dans les conventions. Dès 1834, on lit dans le traité franco-belge la clause suivante :

« Il est expressément stipulé que l'étranger, dont l'extradition aura été accordée, ne pourra, dans aucun cas, être poursuivi...., ni pour aucun des crimes ou délits non prévus par la présente convention. »

Depuis lors, une clause analogue a été insérée dans la plupart des traités. La règle, qui y est formulée, est aujourd'hui universellement admise : l'application en est faite, même quand le traité, en vertu duquel l'extradition a été accordée, n'y a consacré aucune mention spéciale.

Ainsi, dans tous les cas, le gouvernement requérant a contracté l'engagement de ne laisser poursuivre ou punir l'extradé que sur les chefs qui ont motivé l'extradition. Voyons comment il peut remplir cet engagement et quelles sont les conséquences de cette obligation.

La situation varie selon l'état du procès criminel qui a motivé l'extradition: il faut distinguer le cas où la demande d'extradition est motivée par une condamnation définitive, et celui où elle est fondée sur une simple accusation.

Examinons d'abord, pour n'y plus revenir, la première hypo

thèse.

Condamnés. L'individu, dont l'extradition est obtenue, a été condamné, dans le pays requérant, pour deux infractions, dont l'une seulement est prévue par le traité conclu entre cet État et le pays de refuge; son extradition est accordée sous la réserve, qu'il subira seulement la peine afférente à l'infraction qui motive l'extradition. Telle est exactement l'hypothèse.

D'après le droit public chez la plupart des nations, et en vertu du principe même de la séparation des pouvoirs, l'exécution des sentences judiciaires est confiée aux agents de l'ordre administratif. Le pouvoir judiciaire n'aura donc pas à intervenir pour le règlement de la situation de l'extradé, qui a été jugé pour les diverses infractions relevées à sa charge, et dont la condamnation

est devenue irrévocable. Le pouvoir exécutif est chargé de faire subir la condamnation; il n'a pas à craindre que l'intervention du pouvoir judiciaire vienne s'opposer à l'accomplissement des obligations contractées envers le pays de refuge. Ainsi se trouve écartée une série de difficultés, avec lesquelles il faut compter, lorsqu'il s'agit d'un accusé.

Si l'extradé a été frappé de deux condamnations dictinctes, à raison de deux infractions, aucun embarras ne se présente : l'administration se borne à lui faire subir la peine afférente à l'infraction qui a motivé l'extradition. Seulement, à l'expiration de cette peine, il y a lieu de prendre certaines mesures spéciales. L'extradé se trouve encore sous le coup de la condamnation qu'il n'a pas purgée, et que le gouvernement a pris l'engagement de ne pas lui faire subir. Le mettre en liberté et le laisser sans être inquiété, ce serait tolérer un spectacle scandaleux pour la morale publique, reconnaitre un droit d'impunité au malfaiteur assez habile ou assez heureux pour avoir gagné la frontière avant d'être arrêté, assurer une sorte de prime à ses imitateurs. Il n'existe qu'un moyen d'obvier à ce déplorable état de choses, c'est de reconduire l'extradé à la frontière. S'il s'agit d'un étranger, cette détermination ne soulève aucune difficulté : dans la plupart des États, le pouvoir exécutif est légalement armé du droit d'enjoindre à tout étranger de sortir du territoire, et de le faire conduire à la frontière. S'il s'agit d'un national, la question est plus délicate: il n'est pas, à notre connaissance, de pays où la loi autorise l'expulsion d'un national, en dehors de l'application régulière, par le pouvoir judiciaire, de la peine du bannissement. Cependant nous ne pensons pas que cette considération puisse faire obstacle à une solution que la nature même des choses impose. On trouvera, d'ailleurs, une étude complète de la question à un paragraphe ultérieur, intitulé : « Renvoi de l'extradé à la frontière. >> Disons seulement ici qu'en fait, les gouvernements n'hésitent pas, dans une pareille hypothèse, à reconduire le national à la frontière, par mesure administrative.

Il peut se faire aussi que l'extradé ait été frappé d'une condamnation unique, à raison des deux infractions qu'il a commises. Ainsi, en France et dans certains autres pays, la loi n'admet pas le cumul des peines : « En cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte sera seule prononcée» (art. 365, Code d'inst. cr.). Supposons qu'un malfaiteur fugitif ait été

condamné à une seule peine pour deux infractions, dont l'une seulement est susceptible d'extradition. Si le pays de refuge veut s'en tenir à l'application rigoureuse du principe énoncé plus haut, et exige que la peine afférente à l'infraction passible d'extradition soit seule subie, aucune solution n'est possible; le pays requé rant ne peut prendre un engagement qu'il ne saurait tenir, et n'a d'autre ressource que de se désister de la demande d'extradition. Mais une telle extrémité serait en contradiction manifeste avec le but de l'extradition. Aussi la discussion diplomatique doit-elle s'efforcer de trouver, selon les cas, les éléments d'une entente qui donne satisfaction aux intérêts qu'il s'agit de servir. La peine prononcée est-elle inférieure ou, au plus, égale à celle que l'infraction passible d'extradition aurait pu motiver? Rien ne s'oppose alors à ce que le pays requis abandonne la réserve qu'il avait cru devoir imposer tout d'abord. La peine prononcée est-elle supérieure en durée à celle que pouvait motiver l'infraction passible d'extradition? Le pays requérant peut s'engager à en limiter l'application, et à reconduire l'extradé à la frontière, lorsque celui-ci aura subi une peine équivalente à celle qui aurait pu lui être infligée du chef de l'infraction passible d'extradition. Nous ne citons ces deux arrangements que comme exemple des combinaisons qui peuvent intervenir en vue de concilier l'application des principes de l'extradition avec le principe du non-cumul des peines.

Nous avons parlé tout à l'heure de la nécessité où peut se trouver le gouvernement de reconduire l'extradé à la frontière. Pour compléter ces indications, nous devons ajouter qu'il existe un moyen de ne pas recourir à cet expédient, c'est de faire remise à l'extradé, par mesure de grâce, de la peine qu'il lui reste à subir.

Accusés. Il faut supposer maintenant que l'extradé n'avait, avant sa fuite, été l'objet d'aucune condamnation irrévocable: c'est un accusé que les autorités requises livrent au gouvernement du pays requérant, pour purger l'inculpation relevée à sa charge.

Le premier soin du gouvernement, qui a obtenu l'extradition, doit être de mettre l'accusé à la disposition du pouvoir judiciaire : les tribunaux, en effet, sont seuls compétents pour le juger. Voilà donc l'extradé qui échappe au pouvoir exécutif et se trouve à la discrétion du pouvoir judiciaire.

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