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sur les faits pour lesquels son extradition a été accordée. Cette règle est un corollaire immédiat du principe qui fait au pouvoir judiciaire une obligation d'appliquer les traités d'extradition, principe qui, lui même, est une conséquence directe du principe supérieur de la séparation des pouvoirs. Règle et principe tiennent à l'organisation même des sociétés politiques et doivent passer avant toute loi intérieure. C'est, d'ailleurs, une condition sine qua non de la pratique régulière des extraditions. Aussi, venons-nous de voir que ce principe et cette règle ont été toujours observés en France les tribunaux n'ont jamais hésité à en faire la base de leurs jugements, bien qu'aucune loi positive ne leur en eût fait une obligation. Il en est de même dans la plupart des autres États. Deux seules exceptions sont à noter.

En Bavière, les tribunaux saisis du jugement d'un extradé, ont longtemps persisté à vouloir le juger sur tous les chefs d'accusation relevés à sa charge. Par une fausse application du principe de la séparation des pouvoirs, ils se refusaient à reconnaître les engagements pris par le gouvernement à l'égard des autres États, et prétendaient n'être liés que par les actes du pouvoir législatif. Pour couper court à cette difficulté, qui menaçait de troubler les rapports de la Bavière avec les autres pays, en matière d'extradition, la loi suivante fut régulièrement votée et promulguée :

Nous, Louis II.... etc...

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« ARTICLE UNIQUE Si un individu, réfugié en pays étranger, est accusé de plusieurs infractions, et si le gouvernement royal a donné l'assurance au gouvernement, qui accorde l'extradition, que la poursuite n'aura lieu que pour certains des faits incriminés, les tribunaux ne devront pas avoir égard, pour la poursuite judiciaire et pour le jugement de l'extradé, aux infractions qui auront été réservées. >>

<< Donné à Schlossberg, le 16 mai 1868.

Signé Louis. >>

La question se trouve aussi réglée, en Angleterre, par la loi. L'article 19 de l'Acte de 1870 (33 Vict.), est ainsi conçu :

« ART. 19. Dans le cas où, en vertu d'une convention conclue avec une Puissance étrangère, l'extradition d'un malfaiteur, prévenu ou reconnu coupable d'une infraction commise en Angleterre et comprise au nombre des infractions énumérées dans l'annexe I, serait accordée par ladite Puissance étrangère, ce malfaiteur ne sera pas justiciable ou mis en jugement, dans une partie quelconque des États de Sa Majesté,

pour une infraction autre que celle pour laquelle son extradition aura été réclamée. »

Pour n'être pas, comme en Angleterre et en Bavière, inscrite dans la loi, la règle n'en est pas moins rigoureusement observée par tous les autres gouvernements.

Reste à en déterminer exactement la portée.

L'engagement pris par un gouvernement de ne pas laisser juger un extradé sur certains chefs d'accusation, doit être interprété, en ce sens, que l'extradé sera réputé absent ou contumax pour ces infractions réservées. Le gouvernement, qui accorde l'extradition, ne peut pas exiger que l'accusé soit complétement déchargé de ces incriminations; car, alors même qu'il refuserait l'extradition, la procédure n'en pourrait pas moins être poursuivie, et aboutir, soit par un jugement par défaut, soit par un arrêt par contumace. Tout ce que le gouvernement requis peut raisonnablement demander, c'est que, par une fiction facile à établir, l'extradition ne soit pas considérée comme ayant eu lieu pour certains chefs, et que l'accusé soit réputé absent pour ces mêmes chefs.

Il suit de là que l'engagement du gouvernement requérant se réduit à promettre, que l'extradé ne sera l'objet d'aucune procédure, d'aucun jugement contradictoire, relativement aux infractions réservées. Rien n'empêche qu'il soit procédé contre lui par défaut.

C'est donc avec raison qu'à ce point de vue, une différence est faite entre la chambre des mises en accusation et la Cour d'assises.

La compétence de la chambre d'accusation est indépendante de la présence ou de l'absence de l'inculpé: dans les deux cas, elle statue de même sur toutes les infractions relevées à sa charge. Les réserves mises à l'extradition ne peuvent faire obstacle à ce qu'elle procède comme elle l'aurait fait, si l'extradition n'avait pas été accordée. Cette théorie a été clairement exposée dans un arrêt de la Cour de cassation, du 5 décembre 1845, rendu sur une affaire dont nous empruntons l'exposé à M. Faustin Hélie (1):

« Le nommé Grandvaux, réfugié en Toscane et prévenu de faux en écriture privée et d'enlèvement de mineure, n'avait été livré qu'à raison du premier de ces crimes. La chambre d'accusation a décidé qu'il n'y avait pas lieu à suivre sur le faux; et, quant au

(1) M. Faustin Hélie, Traité de l'instruction criminelle, ch. v, § 136,

p. 723.

rapt, elle a déclaré : « qu'il y a présomption suffisante que Grandvaux a trompé le père et la fille, et qu'il a employé les moyens de fraude et de violence prévus par l'article 354 du Code pénal; que s'il est vrai que le prévenu n'a été extradé que pour le crime de faux, il n'en résulte pas qu'il ne puisse être procédé contre lui pour le crime d'enlèvement de mineure, mais que seulement il doit être procédé comme à l'égard d'un contumax; déclare qu'il n'y a lieu à suivre contre Grandvaux sur le crime de faux, le déclare suffisamment prévenu du crime d'enlèvement de mineure, ordonne qu'il sera pris au corps et transféré à la maison de justice.» La Cour de cassation, tout en blåmant la disposition de cet arrêt, qui considérait la détention comme fictive, a rejeté le pourvoi du ministère public: « attendu que la présence ou l'état de contumace de l'accusé ne pouvait porter aucune atteinte à la compétence de la chambre d'accusation ni en modifier l'exercice; que la circonstance qu'il n'avait pas été reconnu des charges suffisantes pour la prévention de faux ne faisait pas cesser cette compétence et ses conséquences obligées quant au chef de prévention d'enlèvement de mineure qui était reconnu fondé; que la réserve mise à l'extradition et l'effet que devait obtenir cette réserve étaient étrangers aux attributions de la chambre d'accusation; que toutefois, et à titre de simple considération, elle a rappelé l'existence de la réserve et la situation de contumax où se trouvait placé l'extradé devant la Cour d'assises, mais qu'elle n'avait à porter aucune décision sous ce rapport, et que ce jugement était un acte ultérieur en dehors de sa compétence; que les restrictions de l'extradition, leur appréciation et leur exécution. tenant à l'interprétation des traités, rentrent dans le pouvoir du gouvernement du roi, et que son action à cet égard est indépendante des procédures criminelles qui doivent suivre leur cours légal, et qui ne peuvent porter atteinte à son droit d'assurer en tout état de cause l'exécution des traités; que les traités régulièrement promulgués sont des lois spéciales, qui, dans les termes et les limites de leurs dispositions relatives à l'extradition, dérogent aux lois générales sur l'exécution des mandats de justice. »

Il n'y a de réserve à faire que sur la dernière considération. Il n'est pas exact, nous l'avons démontré, de dire que les traités d'extradition sont des lois spéciales. Mais il faut remarquer que l'arrêt est de 1845, et que, depuis lors, la Cour de cassation, revenue à une appréciation juste de la nature des traités d'extradition,

ne les a plus considérés que comme des actes de haute administration.

Si la chambre des mises en accusation n'a pas à s'inquiéter des réserves imposées à l'extradition, il n'en est pas de même des magistrats qui procèdent à l'instruction, avant que la chambre d'accusation soit saisie. L'extradé doit être réputé absent pour tout ce qui concerne les chefs d'accusation réservés. Il ne doit donc pas être interrogé, ni confronté avec les témoins, ni soumis à une épreuve quelconque, qui puisse éclairer la religion du magistrat instructeur. Celui-ci doit procéder, pour les chefs réservés, comme si l'accusé faisait défaut.

Il en est de même de la cour ou da tribunal chargé de statuer sur le procès criminel ou correctionnel. Comme le fait observer M. Faustin Hélie, « la convention diplomatique n'interdit pas seulement l'exécution de la peine; elle interdit le jugement à raison des faits qui ne motivent pas l'extradition ». Le tribunal saisi du procès doit donc ne faire porter les débats contradictoires que sur les chefs d'accusation qui ont motivé l'extradition. En matière criminelle, les questions posées au jury ne doivent porter que sur ces mêmes chefs.

Quant aux infractions réservées, elles donnent lieu à un jugement par défaut ou bien à un arrêt par contumace, selon la juri-` diction appelée à en connaître. C'est l'idée qu'exprime fort bien un arrêt de la Cour de Paris du 24 mai 1867 (affaire Faure de Montginot), que nous avons eu déjà l'occasion de citer; il y est dit, en effet, que « l'extradition n'ayant été accordée que pour le crime de hanqueroute frauduleuse, l'inculpé ne peut être jugé, dans l'état où il se trouve, sur les délits d'escroquerie et d'abus de confiance qui lui sont reprochés, sauf à procéder contre lui par défaut ou autrement, s'il y a lieu ».

L'obligation de ne juger l'extradé que sur certains chefs, ne peut être remplie qu'en scindant les débats. Il est facile de le faire quand les infractions sont distinctes, et quand elles ne sont réunies entre elles que par des liens assez lâches. Mais il peut arriver que la connexité soit telle, qu'il soit difficile de ne pas tenir compte de l'infraction réservée et de diviser la procédure. Il appartient alors au tribunal de ne faire porter les débats, autant que possible, que sur les chefs non réservés. Dans tous les cas, le jugement, les questions posées au jury, l'arrêt ne doivent porter que sur les faits pour lesquels l'extradition a été autorisée. — De

telles hypothèses se présenteront, d'ailleurs, rarement en pratique; le plus souvent, la difficulté sera prévue et écartée dans la négociation diplomatique soulevée par la demande d'extradition; en présence de l'impossibilité de scinder la procédure, le gouvernement requis ne maintiendra pas ses réserves, ou le gouvernement requérant se désistera de sa demande d'extradition.

Il est encore un cas où l'application de la règle, dont nous étudions la portée, peut soulever des difficultés : c'est alors que, dans le cours des débats, l'infraction relevée à la charge de l'extradé vient à changer de qualification. Que décider si, sous sa nouvelle forme, l'infraction ne constitue pas un chef d'extradition? De ce que le prévenu ne doit être jugé que sur les faits qui ont motivé son extradition, faut-il conclure que le juge doive s'arrêter devant les débats et le jugement contradictoire ?

Nous n'hésitons pas à répondre par l'affirmative. L'extradition a été accordée pour un fait déterminé; si la qualification en est changée, c'est que le fait lui-même est reconnu autre que celui qui avait été indiqué dans la demande d'extradition. Ce serait aller contre les intentions du pays de refuge, ce serait violer la convention diplomatique, que de procéder au jugement de l'accusé sur un chef, qui, sous sa qualification exacte, n'aurait pas motivé l'extradition. Il y aurait là une porte trop facilement ouverte aux fraudes du gouvernement requérant, qui pourrait, en qualifiant adroitement l'infraction dans la requête d'extradition, obtenir la remise d'un fugitif dans certains cas expressément réservés par le traité. Toutes les fois, donc, que l'infraction viendra à changer de nature et, par suite, de qualification, dans le cours de l'instance, le tribunal devra s'abstenir, si cette infraction a été exceptée par la convention diplomatique, ou n'a pas expressément motivé l'extradition.

Nous sommes, sur ce point, en désaccord avec M. Faustin Hélie. D'après l'éminent jurisconsulte, il n'y aurait pas lieu de faire cesser les effets du jugement « dans le cas où, par suite d'une déclaration négative sur les circonstances aggravantes, le fait sort du débat avec un caractère purement correctionnel, car si la convention a limité la mise en jugement à ce seul fait, la même restriction n'existe pas pour la qualification qui est nécessairement abandonnée à l'appréciation du juge ». Pour bien saisir l'hypothèse, il faut se rappeler qu'au moment où M. Faustin Hélie écrivait, il était de règle, en droit conventionnel, que les crimes

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