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est désarmée par l'acte d'extradition, et le gouvernement est lié par l'engagement qu'il a contracté. Un seul moyen permet de sortir d'embarras : c'est d'expulser l'extradé. Ce moyen est

devenu la règle.

Tout extradé qui, après avoir été acquitté ou avoir subi sa peine, se trouve encore sous le coup d'une accusation ou d'une condamnation, est reconduit à la frontière.

Reste à savoir à quelle autorité reviennent le droit et le soin d'ordonner cette mesure.

Ce ne peut être au pouvoir judiciaire. Au nombre des peines, que les tribunaux de répression peuvent prononcer, se trouve bien le bannissement, qui équivaut au renvoi du condamné à la frontière; mais cette peine ne peut être appliquée que dans les cas expressément déterminés par la loi, c'est-à-dire, en France, pour les infractions prévues par les articles 84, 85, 110, 115, 124, 155, 156, 158, 160, 202, 204, du Code pénal, ou par des lois spéciales. Mais aucun acte législatif n'autorise le pouvoir judiciaire à ordonner, dans le cas qui nous occupe, le transfèrement de l'extradé à la frontière. Il y aurait donc excès de pouvoir, de la part d'un tribunal, à émettre une décision de cette nature dans un jugement.

On a cherché, pourtant, à attribuer ce droit au pouvoir judiciaire. C'est, a-t-on dit, une conséquence nécessaire de l'état des choses si le renvoi de l'extradé à la frontière n'est pas ordonné, celui-ci, au sortir de l'audience ou de la prison, va se trouver sous le coup de l'accusation ou de la condamnation qui pèse encore sur lui; il va être repris par un mandat de justice. Ce raisonnement n'est pas fondé. L'acte d'extradition, qui couvre l'extradé sur certains chefs, ne perd pas sa valeur une fois le jugement rendu ou la peine finie. Le pouvoir judiciaire est toujours obligé d'appliquer cet acte et d'observer les réserves qu'il consacre. Par conséquent, l'extradé doit continuer, pour le pouvoir judiciaire, à être réputé absent pour tous les chefs réservés.

C'est donc au pouvoir exécutif seul qu'il appartient d'ordonner et d'effectuer le renvoi de l'extradé à la frontière. C'est une mesure administrative, qui, dans certains cas, est le corollaire obligé de l'extradition.

Quand l'extradé est un étranger, le droit de l'administration se justifie sans peine il n'est guère de pays où le gouvernement ne

soit légalement armé du droit d'expulsion contre les étrangers. En France, ce droit est formellement consacré par les articles 7 et 8 de la loi des 13-21 novembre, 3-11 décembre 1849, sur le séjour des étrangers.

Si l'extradé est un national, la question est plus délicate. Aucune loi ne donne au gouvernement le droit d'expulser un national. Cependant, il faut remarquer que ce n'est pas, à vrai dire, une expulsion. Le gouvernement ne fait que replacer le fugitif dans la situation d'où l'extradition l'avait arraché, c'est-àdire, hors de la juridiction de son pays. Du reste, qui pourrait s'en plaindre? Ce n'est pas le gouvernement, qui a autorisé l'extradition, puisque le renvoi de l'extradé n'est ordonné que pour satisfaire aux prescriptions de l'acte d'extradition. Ce n'est pas non plus l'extradé; s'il ne veut pas être reconduit à la frontière, il n'a qu'à consentir à être jugé contradictoirement sur les chefs réservés, ou à purger la condamnation réservée. D'ailleurs, une fois au delà de la frontière, il sera libre de rentrer dans son pays; seulement, il n'y sera plus sous le couvert de l'acte d'extradition. En définitive, si aucune loi n'autorise expressément le gouvernement à expulser le national extradé, aucune considération ne s'oppose non plus à l'exercice de ce droit, que la nature des choses a créé elle-même.

La jurisprudence et la doctrine sont aujourd'hui d'accord pour consacrer la distinction que nous venons d'établir, sur cette question, entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.

La Cour de Paris, statuant sur l'affaire Renneçon-Charpentier, avait jugé, par un arrêt du 1er février 1867, que les faits imputés à l'inculpé se trouvaient réservés par l'acte d'extradition, et ordonné, en conséquence, que celui-ci serait reconduit à la frontière pour y être mis en liberté. Pour ce motif et pour d'autres, l'arrêt fut dénoncé à la Cour de cassation, par ordre du pouvoir exécutif. A l'audience du 4 juillet 1867, le procureur général donna lecture d'une lettre du ministre de la justice, dont nous avons déjà cité plusieurs extraits, et à laquelle nous empruntons encore le passage suivant:

....

༥ Un dernier excès de pouvoir résulte de la disposition de l'arrêt ordonnant que Renneçon sera reconduit à la frontière belge, expressément désignée, où il sera mis en liberté. La Cour aurait été logique en se déclarant incompétente pour juger contradictoirement le prévenu,

mais elle ne pouvait pas prescrire à l'administration les mesures qu'elle a édictées.

« D'abord, trois arrêts de la Cour de cassation ont décidé que les tribunaux excédaient leurs pouvoirs en ordonnant qu'un vagabond étranger serait reconduit à la frontière après l'expiration de sa peine. (Arrêts des 9 septembre 1826, 6 décembre 1832 et 15 juin 1837.) C'est là, en effet, une mesure de police du ressort exclusif de l'administration, dont le droit, à cet égard, est formellement consacré par les articles 7 et 8 de la loi du 3 décembre 1849; puis, même à l'égard d'un Français qui se serait trouvé réellement dans un cas d'extradition, le gouvernement qui aurait promis de ne pas le faire juger contradictoirement pour un délit, doit rester libre de le laisser en France, ou de le reconduire à la frontière, et à une frontière de son choix. L'arrêt le contraint d'obéir à un mandement de justice extralégal. »

Conformément à cette opinion, la Cour de cassation annula l'arrêt dénoncé :

« Attendu qu'aucune loi n'autorise les cours et tribunaux à prescrire qu'un prévenu, qu'ils considèrent comme détenu en dehors des conditions stipulées par les traités d'extradition, sera reconduit à la frontière de la Puissance qui l'a livré, pour y être mis en liberté; qu'une telle mesure est dans les attributions exclusives de l'administration; d'où suit qu'en déclarant que Renneçon-Charpentier ne pouvait être jugé en France pour un délit de banqueroute simple, et en ordonnant qu'il serait reconduit à la frontière belge pour y être mis en liberté, la Cour impériale de Paris a méconnu la règle de la compétence, commis un excès de pouvoir et formellement violé les dispositions ci-dessus visées. »

Le 25 juillet de la même année, la Cour suprême reproduisit les mêmes dispositions dans un arrêt rendu sur une espèce semblable (affaire Faure de Montginot). Cet arrêt était d'autant plus nécessaire, que la question avait été tranchée en sens contraire par un arrêt longuement motivé, rendu, le 24 mai 1867, par la Cour de Paris et confirmant un jugement du tribunal de la Seine. L'arrêt de la Cour de Paris portait:

:

« Sur la partie du jugement ordonnant que Faure de Montginot sera conduit à la frontière belge, où il sera mis en liberté considérant qu'il existait un contentieux entre Faure de Montginot, qui demandait à être reconduit à la frontière, et le ministère public, qui concluait à ce qu'il fût retenu et jugé; que le tribunal devait statuer sur ce contentieux; qu'en décidant que Faure de Montginot serait mis en liberté à la frontière

belge, il n'a pas plus excédé ses pouvoirs qu'en ordonnant que les portes de la prison s'ouvriraient devant un prévenu détenu et acquitté; que la force des choses exige que Faure de Montginot ne soit mis en liberté qu'à la frontière, qu'autrement, s'il était mis en liberté en France, il pourrait être arrêté immédiatement en vertu d'un mandat d'arrêt, et qu'il ne pourrait plus se refuser à être jugé;... »

On le voit la Cour de Paris était tombée dans une série de graves erreurs, et avait commis un véritable excès de pouvoir.

Nous relevons encore, dans un arrêt rendu, le 17 avril 1868, par la Cour d'assises d'Oran (affaire Cayla), un considérant relatif à cette matière, et qui n'est pas d'une correction parfaite. L'accusé, Cayla, ne devait, d'après l'acte d'extradition et les circonstances de la cause, être jugé que sur les chefs de banqueroute frauduleuse et de diffamation. « Attendu, dit l'arrêt, que Cayla aurait incontestablement le droit de refuser le débat et de demander son renvoi à la frontière, pour le cas où il serait acquitté sur les chefs de banqueroute frauduleuse et de diffamation. En fait, il est vrai qu'en cas d'acquittement, le prévenu aurait dû être reconduit à la frontière. Mais il est inexact de dire qu'il aurait eu le droit de demander son renvoi à la frontière. D'une part, la Cour n'aurait pas été fondée à connaître d'une telle requête; de l'autre, l'extradé n'aurait pas eu qualité pour la formuler, l'extradition ne lui ayant conféré aucun droit nouveau.

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L'obligation de renvoyer l'extradé à la frontière, bien qu'universellement reconnue, n'a pas encore été consacrée par le droit conventionnel écrit; du moins, n'avons-nous trouvé, dans la collection des traités négociés par la France et par les pays voisins, aucune clause qui l'établisse.

Notons, cependant, l'article 3 de la convention conclue, le 17 juin 1870, entre la Belgique et l'Espagne :

<< L'extradition ne sera jamais accordée pour les crimes ou délits politiques. L'individu, qui serait livré pour une autre infraction aux lois pénales, ne pourra dans aucun cas être jugé ou condamné pour un crime ou délit politique commis antérieurement à l'extradition et non compris dans la présente convention, à moins que, après avoir été puni ou définitivement acquitté du fait qui a motivé l'extradition, il n'ait négligé de quitter le pays ou bien qu'il y retourne de nouveau. »

L'article 7 de la convention du 3 novembre 1869, entre la

Belgique et le grand-duché de Bade, contient également une stipulation analogue.

Le mode de procéder, suivi dans ces États, ne serait donc pas tout à fait conforme au mode adopté par la France. Le gouvernement ne se chargerait pas du soin de reconduire l'extradé à la frontière; mais il lui assignerait un délai, dans lequel celuici devrait quitter le pays. Le même but se trouve dès lors atteint.

Examinons une dernière question. En cas d'acquittement de l'accusé sur les chefs qui ont motivé son extradition, le gouvernement est-il tenu de le faire reconduire dans le pays même d'où l'extradition l'a arraché, de le replacer dans le statu ante?

Cette question peut être étudiée au double point de vue de la jurisprudence internationale et de la justice pure.

Le droit conventionnel est muet à cet égard. Aucun traité d'extradition ne consacre, pour le pays requérant, l'obligation de rapatrier l'extradé, qui est acquitté sur les chefs d'accusation, ou qui a purgé les chefs de condamnation, pour lesquels il a été livré. En l'absence de stipulations formelles, il n'est pas de Puissance qui s'impose une pareille tâche. Voici la manière ordinaire de procéder. Si l'extradé acquitté est un national, et ne se trouve pas, après l'acquittement, sous le coup d'une incrimination ou d'une condamnation réservée par l'acte d'extradition, il est mis en liberté, purement et simplement, sur le lieu même où il a été jugé. S'il s'agit d'un étranger, on en use à son égard de la même manière, à moins qu'il n'y ait des motifs particuliers pour ordonner son expulsion, ou que le gouvernement ne se soit engagé à le restituer à un pays tiers. Cependant rien ne s'oppose à ce que la convention spéciale, en vertu de laquelle l'extradition est effectuée, stipule, qu'en cas d'acquittement, l'individu livré sera remis dans la situation qu'il avait auparavant. Les hautes parties contractantes sont libres de prendre à cet égard tels arrangements que les circonstances peuvent suggérer.

Au point de vue de la justice pure, la solution du problème dépend d'une question plus générale. Sans doute, il y a de bonnes raisons pour soutenir, surtout en cas d'acquittement, que la Puissance requérante devrait replacer l'extradé au point où elle l'a pris, et même l'indemniser du préjudice qu'elle lui a causé. Mais, en agissant autrement, la Puissance requérante ne fait que

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