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se conformer aux usages de la justice ordinaire, qui se borne à relâcher le prévenu acquitté, sans le reconduire où elle l'a pris, sans lui accorder aucun dédommagement. Il faudrait donc déterminer préalablement les question très-controversée devoirs de la société envers les prévenus acquittés, et envers les victimes des erreurs judiciaires. C'est une discussion qui dépasse trop notre cadre, pour que nous tentions de l'aborder. Il nous suffit d'avoir indiqué, sans chercher à la justifier, la jurisprudence internationale.

CHAPITRE II.

DES EFFETS DE L'EXTRADITION PAR RAPPORT A L'INDIVIDU livré.

L'extradition a pour but de mettre l'accusé ou le condamné fugitif à la disposition des autorités compétentes, pour qu'il soit jugé ou qu'il subisse sa peine. Ce n'est pas de cet effet que nous avons à nous occuper ici : il s'explique par lui-même. Au point où nous en sommes arrivés de cette étude, cet effet est produit, puisque l'extradition est accomplie et le fugitif livré au pays requérant. Il s'agit de déterminer la situation faite à l'individu livré, et quelle influence l'extradition peut exercer sur ses droits et sur ses obligations.

§ 1er.

L'extradé n'a acquis aucun droit nouveau.

C'est là un principe si évident par lui-même, qu'il semble presque inutile d'en entreprendre la démonstration.

L'extradé ne saurait être dans une situation plus favorable que celle qu'il aurait eue, s'il avait été arrêté avant d'avoir franchi la frontière. En d'autres termes, l'extradition n'a pu créer à l'in

'dividu livré un droit quelconque qu'il n'avait pas avant sa fuite.

L'extradition s'accomplit en vertu d'un contrat passé entre deux Puissances souveraines : cet acte ne crée de droits et d'obligations qu'au profit et à la charge de ces deux Puissances. Quant à l'individu livré, il n'y est point partie : ce contrat est arrêté en dehors et au-dessus de lui. Les hautes parties contractantes ne stipulent pas à son profit, mais dans un intérêt supérieur de justice et d'utilité sociale. Or, il en est ici du droit international comme du droit civil: les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peuvent profiter aux tiers. L'individu livré n'est donc point admissible à se prévaloir du contrat, ou de l'acte d'extradition qui en témoigne, pour opposer aux autorités, auxquelles il a été remis, une exception ou un droit quelconque, que les lois locales ne lui confèrent pas.

La démonstration est rigoureuse: il ne faut donc pas craindre d'appliquer le principe dans toutes ses conséquences.

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Et, tout d'abord, gardons-nous d'une confusion qui a été faite souvent. L'État requérant est parfois obligé, pour obtenir une extradition, de souscrire à certaines réserves imposées par l'État requis. Ces réserves, au premier abord, paraissent prises dans l'intérêt de l'extradé, à qui, en effet, elles peuvent profiter. Dès lors, comment lui refuserait-on le droit de s'en prévaloir? La démonstration même, qui vient d'être faite, contient les éléments nécessaires pour répondre à cette question. Ce n'est pas dans l'intérêt de l'extradé que la Puissance requise a posé des réserves : c'est pour garantir l'observation de principes supérieurs, inscrits dans le droit public. Il en est de ces réserves comme de l'autorisation même de l'extradition. L'extradition est accordée, non pas pour punir la personne réclamée et en considération de cette personne, mais en vue d'un intérêt supérieur et indépendant du fugitif, en vue de cet intérêt que Beccaria a si bien mis en évidence, en disant que « la persuasion de ne trouver aucun lieu sur la terre où le crime demeure impuni, serait un moyen bien efficace de le prévenir. » De même, si des réserves sont posées au jugement ou à la poursuite, ce n'est pas dans l'intérêt de l'accusé, mais par suite de certaines considérations empruntées par la Puissance requise au droit public, à l'utilité sociale et même à un sentiment d'humanité. Que l'extradé en profite, c'est possible! Encore son intérêt lui conseillera-t-il parfois, comme nous le verrons plus

loin, de demander spontanément qu'il ne soit pas tenu compte de ces réserves. Mais le fait certain et constant, c'est qu'elles n'ont pas été stipulées dans l'intérêt de l'extradé, qui ne saurait être admis à s'en prévaloir.

Ce n'est donc pas sur l'extradition que l'individu livré peut s'appuyer, pour arguer d'un droit nouveau.

D'autre part, il est évident que sa fuite sur un territoire étranger n'a pu lui conférer un droit personnel, opposable aux autorités du pays auquel il est remis. Un tel droit ne serait conciliable ni avec les institutions modernes ni avec les principes de justice et d'utilité publique.

Au point de vue historique, comme M. Ducrocq le fait justement remarquer, la reconnaissance d'un droit de cette nature tiendrait à l'ancien droit d'asile. Beccaria, que nous citions tout à l'heure, n'a point osé, tout en reconnaissant l'utilité de l'extradition, se prononcer pour la suppression du droit d'asile, qui s'exerçait, de son temps, sur le territoire de chaque État, au profit des étrangers réfugiés : « Je n'oserai pourtant point décider cette question, dit-il, jusqu'à ce que les lois rendues plus conformes aux besoins de l'humanité, les peines devenues plus douces et l'arbitraire des juges et de l'opinion détruit, assurent les droits de l'innocence opprimée et de la vertu en butte aux traits de l'envie, jusqu'à ce que la tyrannie, reléguée dans les vastes plaines de l'Asie, ait fait place au doux empire de la raison, ce nœud qui lie si fortement les intérêts du trône avec ceux des sujets. Les temps marqués par le philosophe sont proches, s'ils ne sont venus les nations d'Occident, au moins, vivent sous des institutions humaines et libérales, jouissent d'une organisation politique et judiciaire qui assure, dans une large mesure, l'observation des lois et le respect des droits privés. Aussi, les rapports internationaux sont-ils devenus plus intimes. Les frontières se sont abaissées; la défiance contre les institutions des peuples voisins s'est considérablement affaiblie. Au milieu de cette transformation générale, le droit d'asile n'avait plus de raison d'être : il a fait place à un droit tout contraire, le droit de l'extradition. Il serait donc impossible de trouver aujourd'hui, dans les institutions oubliées d'un autre âge, un fondement légitime au droit qu'aurait acquis le fugitif en touchant le sol étranger.

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Au point de vue de la justice et de l'utilité sociale, un tel droit ne se justifierait pas davantage. Serait-il juste de laisser le

malfaiteur, assez habile pour avoir passé la frontière, revendiquer une position privilégiée, qui serait refusée à son complice moins heureux? Ne serait-ce pas une sorte de prime offerte aux délinquants, pour les engager à se soustraire au jugement? Ne serait-ce pas, enfin, un spectacle immoral et dangereux, que celui d'un extradé dictant des conditions à la justice de son pays, pouvant profiter et s'enorgueillir de l'habileté qu'il aurait déployée pour s'assurer l'impunité?

Nous nous bornons à indiquer les divers ordres de considérations qu'on peut faire valoir. C'est un thème facile, qui se prêterait à de longs développements. Mais il nous paraît inutile d'y insister davantage : nous pouvons maintenant considérer comme acquis, que l'extradé n'a pas puisé, dans sa fuite, un droit personnel qu'il puisse opposer aux autorités du pays auquel il est livré.

Les conséquences, ou, pour mieux dire, les applications de ce principe, se présentent d'elles-mêmes : il suffit de les énumérer.

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1o L'extradé n'a pas qualité pour demander la nullité de l'extradition. En effet, d'où lui viendrait ce droit, puisque le fait d'avoir touché le sol étranger ne lui en a conféré aucun? Quelles raisons ferait-il valoir? Dira-t-il que les formes établies par le traité en vigueur avec la Puissance requise n'ont pas été observées? Que le chef d'accusation, pour lequel il a été livré n'est pas prévu par le traité? Qu'importe? puisque l'extradition a été effectuée en vertu d'un arrangement passé entre deux Puissances souveraines! D'ailleurs, l'extradition n'est-elle pas, de la part de la Puissance requise, un acte de souveraineté, qui peut être accompli en dehors des conditions prévues par le traité, en l'absence même de tout traité?

2o L'extradé n'a pas qualité pour demander qu'il soit sursis aux poursuites ou au jugement, jusqu'à ce que l'autorité compétente ait statué sur la portée de l'extradition. - C'est encore une conséquence évidente de ce que la fuite de l'individu livré ne lui a créé aucun droit nouveau. Si le droit de critiquer l'extradition lui est refusé, celui de demander un sursis doit lui être dénié pour les mêmes motifs. Comme le dit fort bien M. Ducrocq : « Dans un cas l'extradé dit à la justice: vous ne me jugerez pas! Dans l'autre cas, il lui dit : vous ne me jugerez pas en ce moment! Ce n'est qu'une différence du plus au moins, car c'est toujours dans

sa fuite qu'il prétend trouver le droit de tenir l'un ou l'autre langage. »

3o L'extradé n'a pas qualité pour demander à n'être poursuivi, jugé ou puni, que pour certains chefs d'accusation ou de condamnation déterminés. Les conditions ou les réserves, que la Puissance requise a mises à l'extradition, dépendent d'une convention dans laquelle l'extradé n'a pas été partie, et n'ont pas été stipulées dans son intérêt. Admettre qu'il fût fondé à s'en prévaloir, ce serait reconnaître un droit qu'il aurait puisé dans sa fuite.

4° Enfin, l'extradé n'a pas qualité pour demander à être reconduit à la frontière, en cas d'acquittement sur les chefs visés dans l'acte d'extradition, ou après avoir subi la peine afférente à ces chefs. - Il est régulièrement sous la main de la justice et sous l'empire des lois qu'il a violées. Au gouvernement seul, il appartient de prendre les dispositions nécessaires pour remplir ses engagements et observer les réserves acceptées.

Ces diverses exceptions ont été examinées déjà, lorsqu'il s'est agi de déterminer les obligations résultant de l'extradition pour le pouvoir judiciaire. Nous avons vu que ce pouvoir est lui-même incompétent pour en connaître, et qu'il doit passer outre. Incompétence des tribunaux et défaut de qualité de l'individu livré : voilà deux raisons déterminantes pour que toute exception, tirée de l'extradition et soulevée devant la justice, soit repoussée sans hésitation.

Voyons, maintenant, les indications fournies par la jurisprudence et les actes officiels sur la théorie que nous venons d'établir.

La doctrine et la jurisprudence y ont été tout d'abord opposées. M. Faustin Hélie (1), dans les lignes suivantes, expose et motive l'opinion encore dominante en 1846:

« Lorsqu'un Français réfugié en pays étranger a été réclamé par la France et lui a été livré, ce prévenu, traduit devant nos tribunaux, peut clever des exceptions fondées, soit sur l'illégalité de l'acte qui l'a livré, soti sur les termes restrictifs ou conditionnels de cet acte. Quelle suite doit être donnée à ces exceptions? Comment doit-il y être statué? Quel peut être leur effet?

« Il n'est pas douteux, d'abord, que ces exceptions ne doivent pas être rejetées sans examen. Il ne suffit pas à la justice que le prévenu soit

(1) Traité de l'instruction criminelle, ch. v, § 136, p. 709.

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