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L'extradition de Lamirande n'avait été accordée que pour une des infractions visées dans l'arrêt de mise en accusation. D'autre part, l'accusé s'était refusé à être jugé sur les autres chefs relevés à sa charge, et le président de la Cour d'assises avait averti le jury qu'il n'aurait à se prononcer que sur le chef visé dans l'acte d'extradition. Mais, alors, la défense conclut à ce que tous les chefs d'accusation fussent jugés, attendu, dit-elle, entre autres motifs, que l'accusé « a intérêt à ce que le jury soit appelé à vider toute l'accusation. » Cette affaire offre donc le spectacle singulier d'un accusé ne consentant pas à être jugé sur tous les chefs d'accusation, alors que ses défenseurs, en son nom, demandent à ce que le jugement porte sur tous les chefs. Nous sortirions de notre cadre, en voulant expliquer le bénéfice que l'accusé recherchait, et nous renvoyons le lecteur au compte-rendu des débats (1). L'intérêt de Sureau-Lamirande était bien réel; et son habile conseil, Me Lachaud, ne s'y était pas trompé.

On pourrait aussi être tenté de soutenir qu'il y a contradiction entre le principe établi dans le paragraphe précédent, et celui qui est étudié ici. Commment? dirait-on ; vous démontrez que l'extradé n'a acquis aucun droit par sa fuite, et vous soutenez en même temps qu'il dépend de lui d'être jugé sur les chefs réservés ! N'estce donc pas lui reconnaître un droit résultant de sa fuite? — Non, certes! Le droit, que nous lui reconnaissons, ne provient ni de sa fuite, ni de l'extradition; il l'avait avant d'avoir passé la frontière; il le conserve après son extradition; il n'a rien acquis, mais il n'a rien perdu.

Enfin, on a prétendu que le droit attribué à l'extradé de consentir à être jugé sur les chefs exceptés par l'acte d'extradition, est inconciliable avec le droit reconnu au gouvernement requis d'imposer des réserves à l'extradition. Le gouvernement requis, dit-on, a autorisé l'extradition, sous la condition que, l'accusé ne serait pas poursuivi pour certains chefs, et le gouvernement requérant a souscrit aux obligations qui lui étaient imposées à cet égard. Les réserves prescrites ont été inspirées par des considérations supérieures tirées du droit public et non par l'intérêt de l'accusé; l'extradé n'a donc pas qualité pour s'en prévaloir. Comment aurait-il le droit, par un simple consentement, d'annuler ces réserves et de les faire considérer comme non-avenues?

(1) Gazette des Tribunaux, des 3, 4, 5, 6 et 7 décembre 1866.

Il n'y a contradiction, qu'en apparence, entre ces deux idées. C'est bien en vertu de considérations supérieures que la Puissance requise a imposé des réserves, qui, dans certains cas, peuvent profiter à l'accusé. Mais elle n'a pas entendu, par là, entraver la liberté de ce dernier, ni gêner sa défense. Pendant que l'accusé était sur le territoire de la Puissance requise, il avait incontestablement le droit de rentrer dans le pays requérant, et de s'y constituer volontairement prisonnier; dans ce cas, il aurait été jugé sur tous les chefs relevés à sa charge, sans que la Puissance requise eût été fondée à intervenir. Pourquoi ne le pourraitil plus, une fois qu'il a été livré? Pourquoi n'aurait-il plus la liberté, qu'il avait la veille, de se placer purement et simplement sous l'application des lois du pays requérant? La Puissance requise a sauvegardé, par les réserves qu'elle a mises, les principes qu'elle tient à honneur de faire respecter dans les limites de son action; mais elle n'a pas entendu porter atteinte à la liberté individuelle de l'accusé; elle n'a point entendu surtout lui faire une condition pire que celle qu'il aurait eue, s'il s'était livré spontanément. Il n'y a donc pas contradiction entre le droit laissé à l'extradé de purger tous les chefs d'accusation relevés contre lui, et le droit du gouvernement requis.

Le gouvernement requis a qualité pour imposer des réserves. Mais à qui incombent les obligations qui en résultent? Au gouvernement requérant et non à l'extradé. C'est donc au gouvernement requérant seul qu'il pourrait être demandé compte de l'inobservation des réserves. La question se pose dans les termes suivants : d'un côté, le gouvernement requis a le droit de veiller à l'observation des réserves qu'il a mises, et d'en réclamer l'exécution; de l'autre, le gouvernement qui a obtenu l'extradition, est tenu de prouver qu'il a rempli ses obligations. Mais il dépend de l'extradé de changer les conditions de ce contrat, en consentant à ce que les réserves soient considérées comme non avenues. Alors, le gouvernement, qui a obtenu l'extradition, est tenu de prouver au gouvernement, qui l'a autorisée, que l'extradé a, librement et volontairement, consenti à être jugé sur tous les chefs.

Cette situation bien comprise, la procédure à suivre pour le jugement d'un accusé, dont l'extradition n'a été autorisée que sur certains chefs, est toute tracée.

Si l'instruction n'est pas terminée quand l'extradition a lieu, le magistrat instructeur doit, avant de reprendre contradictoi

rement la procédure, demander à l'extradé s'il consent à être poursuivi et jugé sur tous les chefs; et, en même temps, éclairer le prévenu sur les conséquences de la décision à prendre, car il faut que le consentement soit libre et volontaire. Si ce consentement est donné, le juge d'instruction fera bien, non-seulement d'en prendre acte dans le procès-verbal de l'interrogatoire, mais encore d'en dresser un certificat exprès et signé par l'accusé. Ainsi se trouveront prévenues toutes les difficultés qui pourraient naître ultérieurement d'une contestation ou d'un changement de volonté du prévenu. Le consentement est communiqué au parquet, qui, par la voie hiérarchique, en donnera avis à l'autorité administrative, chargée de le notifier au gouvernement qui a autorisé l'extradition. Cette notification, comme tous les actes internationaux de la procédure d'extradition, se fera par la voie diplomatique. Inutile d'ajouter que le consentement, une fois donné, est irrévocable: l'accusé tombe immédiatement sous le coup des lois, et n'a plus de titre pour s'y soustraire.

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Il se peut aussi que le procès soit en état d'être jugé, au moment où l'extradition est effectuée. Dans ce cas, le tribunal doit, au début de l'instance, interpeller le prévenu sur le point de savoir s'il consent à être jugé sur tous les chefs d'accusation ; lui donner toute facilité pour se concerter avec ses conseils et s'éclairer sur les conséquences de sa résolution, et prendre acte du consentement, qui sera visé au jugement. Là se borne le rôle de l'autorité judiciaire. C'est au membre du parquet, qui tient l'audience, à faire connaître l'incident au pouvoir exécutif, afin que le consentement puisse être régulièrement notifié au gouvernement étranger.

Cette théorie, relativement aux effets du consentement de l'extradé, n'a pas été tout d'abord en faveur. Il a fallu, pour la faire admettre, que le droit nouveau de l'extradition fût assis sur de solides bases, et que les vrais principes en fussent bien connus.

La circulaire ministérielle de 1841 est muette sur la question. Mais, deux ans plus tard, la chancellerie eut une occasion solennelle de faire connaître son opinion. La Belgique nous avait accordé l'extradition d'un nommé L..., inculpé de banqueroute frauduleuse et d'abus de confiance, sous la réserve, qu'il ne serait poursuivi et jugé que sur le premier de ces chefs. Remis à la justice française, l'accusé consentit à être jugé sur le chef réservé.

La Cour d'assises du Pas-de-Calais prit acte de son consentement, fit droit à sa demande, et rendit, à la date du 15 février 1843, un arrêt, où se remarquent les attendus suivants :

« Attendu, en droit, que l'extradition n'est accordée que pour l'objet déterminé dans la demande qui en a été faite; que les conséquences de l'ex tradition ne peuvent pas s'étendre au delà du fait qui l'a motivée; que ce serait violer les principes du droit des gens que de ne pas s'en tenir à l'objet et à la cause de l'extradition; attendu, en fait, que ce n'est que comme accusé du crime de banqueroute frauduleuse que L... a été livré à la France par le royaume de Belgique, et que cette accusation est maintenant écartée par la déclaration du jury; mais, attendu que l'accusé, dùment interpellé, déclare renoncer au bénéfice de l'exception résultant en sa faveur des principes ci-dessus posés, et consentir à ce qu'il soit par la Cour statué sur celle des réponses du jury qui est affirmative à son égard; en conséquence, et attendu qu'il résulte de la déclaration du jury que L... est convaincu d'avoir, au mois de juillet 1842, commis le délit d'abus de confiance en détournant ou dissipant au préjudice du propriétaire une somme de ....., qui ne lui avait été remise qu'à titre de mandat et à la charge d'en faire un emploi déterminé; vu les articles.....; condamne L.... »

Le ministre de la justice estima que la Cour d'assises du Pasde-Calais avait commis un excès de pouvoir en jugeant l'extradé sur les chefs réservés. En conséquence, il ordonna immédiatement de conduire l'extradé à la frontière par mesure administrative. Voici un extrait de la dépêche écrite à cet effet au procureur général de Douai :

« Il est de règle qu'un accusé, livré par un gouvernement étranger, ne peut être mis en jugement que pour le fait même qui a motivé son extradition, et qu'en cas d'acquittement sur ce fait, il doit être immédiatement reconduit à la frontière pour y être mis en liberté. Le consentement donné par L... à sa mise en jugement pour abus de confiance et même la connexité de ce délit avec le fait principal, ne sauraient motiver une exception à cette règle, qui a toujours été scrupuleusement suivie entre la France et la Belgique. Je vous invite à vous concerter immédiatement avec l'autorité administrative, pour que L... soit sur-lechamp reconduit à la frontière belge et rendu à la liberté. »

M. Faustin Hélie justifie cette décision, en disant : « Il est cer. tain, en effet, que la seule connexité d'un délit avec un fait qualifié crime n'est pas un motif suffisant d'étendre la juridiction jusqu'au délit, car la connexité ne suppose pas en général l'indi

visibilité de la procédure. Il est certain encore que l'adhésion du prévenu ne peut modifier ni les règles de la compétence, ni l'exécution d'une convention dans laquelle il n'a point été partie. Nous avons démontré tout à l'heure que ce raisonnement n'est pas fondé la convention est soumise à une sorte de condition résolutoire, qui est précisément le consentement donné par l'extradé.

Dès 1847, la Cour de cassation se prononça en faveur du système, qui est resté, depuis lors, en vigueur. Son arrêt du 24 juin de cette année (affaire Pascal), contient un exposé très-net et fournit une application très-juste des vrais principes de la matière. En voici les termes :

« LA COUR ;-Vu les articles 337 et 227 du Code d'instruction criminelle; attendu que Noël Pascal a été mis en accusation par arrêt de la Cour royale de Paris, chambre des mises en accusation, du 45 décembre 1846 : 4° pour crime de banqueroute frauduleuse; 2o pour délit de banqueroute simple; 3° pour deux crimes de faux en écriture de commerce: 5o pour crime d'usage fait sciemment des pièces fausses;-attendu que ledit Pascal, qui avait été absent pendant le cours de l'instruction, a été traduit devant la Cour d'assises du département de la Seine, le 30 avril 1847, après avoir été arrêté à Bruxelles, sur la demande d'extradition, qui avait été adressée par le Gouvernement français au Gouvernement belge, conformément à la loi du 1er octobre 1833 sur les extraditions, et à la convention d'extradition conclue entre Sa Majesté le roi des Belges et Sa Majesté le roi des Français, le 22 novembre 1834; - attendu que l'extradition a eu lieu sur le vu de l'arrêt de mise en accusation, portant renvoi devant la Cour d'assises du département de la Seine, dudit Pascal, accusé de banqueroute frauduleuse et de faux en écriture de commerce;

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<< Attendu qu'il est de principe, en matière d'extradition, que l'extradition n'est accordée que pour l'objet déterminé dans la demande qui en a été faite; - attendu que, pour se conformer à cette règle du droit international, le président de la Cour d'assises du département de la Seine, par laquelle Noël Pascal a été jugé, a, au commencement de la première séance, après la lecture de l'arrêt de renvoi et de l'acte d'accusation, prévenu les jurés et Noël Pascal que, cet accusé ayant été livré par le Gouvernement belge sur une demande d'extradition, pour être jugė uniquement sur les crimes de banqueroute frauduleuse et de faux qui lui étaient imputés, il ne serait posé au jury aucune question sur les faits de banqueroute simple, délit à raison duquel ledit Pascal avait été pareillement renvoyé devant la Cour d'assises du département de la Seine; que, conformément à cet avertissement, le président de la Cour d'assises n'a posé, après son résumé, aucune question au jury relativement au délit de banqueroute simple;

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