Page images
PDF
EPUB

temps, des violations du droit des gens, comme des attaques, des violations de territoire, des pillages de temples commis par des habitants d'un pays auquel la nation outragée vient demander satisfaction de l'offense par la livraison du coupable. S'il y a refus, c'est un cas de guerre. Ces faits semblent appartenir à un tout autre ordre d'idées, et on l'a si bien senti qu'on a cherché à expliquer la rareté des cas d'extradition chez les anciens par les effets du droit d'asile et par quelques autres considérations qui ne peuvent avoir eu que des influences secondaires. La cause vraie, générale, c'est qu'un pareil principe ne pouvait exister au milieu de l'état d'isolement hostile dans lequel vivaient, à cette époque, les peuples entre eux. Pour le faire entrer dans les usages internationaux, il n'a pas fallu moins que la solidarité morale qui relie les diverses nations modernes. Pendant tout le moyen âge, et même après plusieurs siècles qui ont suivi, on peut dire que l'extradition n'a été qu'un fait accidentel; ce n'est guère que vers la fin du dix-huitième siècle que ce droit paraît avoir été admis universellement en vertu du principe de réciprocité. »

C'est à la France que sont dus, pour la plus grande part, les développements du droit d'extradition. Elle figure, comme partie contractante, dans la convention du 4 mars 1376 avec la Savoie, la première convention d'extradition qui ait été négociée entre deux souverains. Depuis lors, elle n'a cessé de tenir la tête des nations pour rechercher et consacrer par des stipulations conventionnelles les combinaisons qui pouvaient le mieux satisfaire aux progrès de cette institution. L'histoire de France, à ce point de vue, est l'histoire de toute l'Europe. Aussi croyons-nous devoir nous borner à indiquer : 1o L'état des relations de notre pays avec les autres Puissances, à la fin du dix-huitième siècle; 2° l'état de ces relations en 1874. Le rapprochement de ces deux tableaux suffira pour faire connaître toute l'histoire du droit moderne d'extradition.

Ser.

Des relations de la France au dix-huitième siècle

en matière d'extradition.

Dans le cours du siècle dernier, la France a noué des rapports réguliers, en matière d'extradition, avec la plupart des Puissances européennes. Mais ces relations ne prirent pas toutes une égale extension. Dans certains pays, les usages et la législation inté

rieure opposaient des obstacles qui n'ont pas encore entièrement disparu aujourd'hui.

Nous allons successivement passer en revue, en indiquant l'état de leurs relations avec la France, les diverses Puissances sur lesquelles il nous a été possible de réunir, à ce point de vue, des notions certaines.

Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne était peut-être le seul pays qui se refusât absolument, à la fin du dix-huitième siècle, à livrer les malfaiteurs étrangers réfugiés sur son territoire. La liberté individuelle y était entourée déjà des garanties auxquelles la nation anglaise a toujours attaché tant de prix ! Les usages et les lois accordaient à l'étranger réfugié le même traitement qu'au national, et ne permettaient. ni qu'on l'arrêtât, ni qu'on le poursuivit pour une infraction commise dans un autre pays. A plus forte raison ne pouvait-on le livrer à la justice étrangère. La France n'avait donc avec l'Angleterre aucun traité d'extradition, et, par suite du principe de réciprocité, observait, à l'égard de cette Puissance, la même abstention. Cependant, vers la fin du siècle, on peut saisir, en Angleterre, une tendance à se départir de la rigueur maintenue jusqu'alors. On voit, par exemple, le lordmaire de Londres ordonner l'arrestation des individus coupables d'avoir volé les diamants de madame du Barry (voir, au Moniteur de 1793, le procès de madame du Barry), et faire opérer la restitution de ces valeurs. Vers la même époque, on voit les directeurs de la Banque d'Angleterre suivre en France un de leurs employés infidèle, et obtenir des lettres patentes en vertu desquelles le fugitif fut jugé et condamné à mort, le 3 août 1784, par le conseil provincial d'Artois. Cependant, ce n'est qu'en 1802, par le traité d'Amiens, que la Grande-Bretagne se résout à entrer dans le concert des nations européennes, et accepte, sous des conditions déterminées, l'obligation d'autoriser l'extradition des malfaiteurs étrangers réfugiés sur son territoire.

Pays-Bas. Au dix-huitième siècle, la France était bornée au nord par les Pays-Bas réunis sous la domination de la maison d'Autriche. Les habitants des deux pays, séparés par une ligne frontière idéale, avaient de nombreux points de contact, des intérêts souvent confondus. Il y avait entre eux des facilités de communication qui n'existaient pas ailleurs. Aussi n'est-il pas étonnant que les gouvernements respectifs aient songé, de bonne heure, à se prêter un concours mutuel pour la répression des

crimes commis sur leurs territoires. Il n'y eut cependant pas entre eux de convention générale d'extradition. Mais ils échangèrent une déclaration par laquelle ils se promirent réciproquement certaines facilités pour la remise des malfaiteurs réfugiés d'un des pays dans l'autre. On en trouve la teneur, pour les Pays-Bas, dans une ordonnance du 23 juin 1736, et, pour la France, dans une ordonnance 'du 17 août de la même année. Cette dernière n'est, à proprement parler, qu'une déclaration de réciprocité visant les dispositions de l'ordonnance des Pays-Bas, qui ne fixent d'autres limites au droit d'extradition que le bon plaisir du souverain et les priviléges formellement assurés aux sujets.

Malgré l'élasticité de ces stipulations, c'est dans les relations de la France et des Fays-Bas que se trouve la première application d'un principe qui est universellement observé aujourd'hui, en matière d'extradition. La bulle brabantine assurait aux Brabançons le privilége de ne pouvoir être soustraits à la juridiction des tribunaux du pays. L'usage et la jurisprudence en étendirent le bénéfice à tous les sujets de la maison d'Autriche. Aussi, bien que les ordonnances de 1736 ne fissent pas mention d'une telle exception, le gouvernement des Pays-Bas se vit obligé, par son droit public interne, de refuser l'extradition de ses nationaux. Par réciprocité, la France suivit la même ligne de conduite. Ainsi fut consacré, entre les deux pays, le principe en vertu duquel les nationaux ne sont pas soumis à l'extradition.

Les règles internationales, développées et fixées par la pratique, survécurent aux ordonnances de 1736 et aux changements qui intervinrent dans la constitution politique des Pays-Bas. Les priviléges consacrés par la bulle brabantine étaient anéantis et les provinces belges régies par un droit nouveau, alors que les relations avec la France se poursuivaient régulièrement sur la base d'une parfaite réciprocité. Il en fut ainsi jusqu'aux traités de 1821, de 1834 et de 1844 conclus avec les nouveaux royaumes de Belgique et des Pays-Bas.

Prusse. Aucun traité d'extradition ne fut conclu, durant le dix-huitième siècle, entre la France et la Prusse. L'éloignement des deux pays n'avait pas fait naître l'utilité de pareilles stipulations. Ils se touchaient cependant par un point; la principauté de Neuchâtel, dont la souveraineté avait été confirmée au roi de Prusse par le traité d'Utrecht, était limitrophe.

Mais cette principauté, unie à la Suisse par des liens politiques, était soumise, dans ses rapports avec la France, aux mêmes règles que les autres États de la Confédération helvétique.

[ocr errors]

Wurtemberg. La France et le Wurtemberg étaient limitrophes également : de là vient qu'un traité spécial « pour la restitution réciproque des déserteurs et criminels » fut signé entre les deux puissances dès le 26 mars 1759. Conclu pour cinq ans, il fut renouvelé le 3 décembre 1765, pour une autre période de cinq années. Voici la teneur ou la substance des principales clauses.

« Tous brigands, malfaiteurs, voleurs, incendiaires, meurtriers, assassins, vagabonds, comme aussi tous cavaliers, fantassins, dragons et houssards, ou tous autres prenant solde de S. M. T. C. ou de S. A. S. Mgr. le duc de Wurtemberg, qui déserteront des frontières de France dans la principauté de Montbéliard, et de la comté de Bourgogne et dans a province d'Alsace, seront arrêtés tant d'une part que d'une autre, à la première réclamation qui en sera faite, et conduits à la frontière la plus à portée, pour y être remis de bonne foi entre les mains de qui il appartiendra, au lieu le plus proche et qui sera requis. »

[ocr errors]

Les frais occasionnés par la subsistance et par la conduite des malfaiteurs et déserteurs seront remboursés conformément à un tarif déterminé;

Les objets emportés par les individus livrés seront restitués ; les frais occasionnés par la garde ou l'entretien des chevaux emmenés par les déserteurs seront remboursés par l'État réclamant; - Les agents de l'un des deux pays n'ont pas le droit de pénétrer sur le territoire de l'autre pour y chercher les déserteurs ou malfaiteurs fugitifs;

Il appartient aux autorités du pays requis de faire rechercher les fugitifs et de notifier l'arrestation au pays requérant; - Il est défendu, sous des peines sévères, aux habitants du pays requis de donner aide et secours aux fugitifs.

Ce traité d'extradition est l'un des plus complets de ceux qui ont été négociés durant le dix-huitième siècle. Énumération des faits passibles d'extradition, procédure, attribution des frais, restitution des objets saisis: il contient la première formule des principales clauses qui figurent encore dans les conventions actuelles.

Suisse. Les relations de la France avec la Suisse, en matière d'extradition, furent, pour la première fois réglées par le traité

du 28 mai 1777. Voici le texte des articles 14 et 15 qui y étaient consacrés:

« ART. 14. Sa Majesté et le Corps helvétique s'engagent de ne pas prendre en leur protection les sujets respectifs qui fuiraient pour crimes reconnus et constatés, ou qui seraient bannis de l'une ou l'autre domination pour forfaiture ou délits qualifiés; se promettant au contraire mutuellement d'apporter tous leurs soins pour les chasser, comme doivent en user de bons et fidèles alliés.

« ART. 45. — Par les mêmes vues de bien public et d'une convenance commune aux deux parties, il a été réglé aussi que, si des criminels d'État, des assassins ou autres personnes reconnues coupables de délits publics, et majeures et déclarées telles par leurs souverains respectifs, cherchaient à se réfugier dans les États de l'autre nation, Sa Majesté et le Corps helvétique promettent de se les remettre de bonne foi et à la première réquisition; et s'il arrivait aussi que des voleurs se réfugiassent en Suisse ou en France avec des choses volées, on les saisira pour en procurer de bonne foi la restitution; et si lesdits voleurs étaient des domestiques qui auraient volé avec effraction, ou voleurs de grands chemins, on livrera à la première réquisition leurs personnes, pour être punies sur les lieux où les vols auront été commis. »

Comme on le voit, ce traité s'appliquait aux crimes politiques comme aux crimes communs. De plus, il ne faisait aucune réserve expresse pour les nationaux; il faut dire cependant que, dans l'application, les parties contractantes s'entendaient pour ne pas livrer leurs sujets respectifs, à moins qu'il ne s'agit d'un « crime grave et public. » Hors ce cas, chacun des deux pays poursuivait lui-même ses sujets pour les crimes commis dans l'autre État, et qui lui étaient dénoncés.

Le traité de 1777 fut remplacé par le traité d'alliance du 19 août 1798 (2 fructidor an VI). Par l'article 14 de cette dernière convention, les deux gouvernements « s'engagent à se remettre réciproquement, à la première réquisition, les individus de chaque nation qui auraient été déclarés juridiquement coupables de conspirations contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'État, assassinat, empoisonnement, incendie, faux sur des actes publics, et vol avec violence et effraction, ou qui seraient poursuivis comme tels en vertu de mandats décernés par l'autorité légale. »

L'article 13 du traité de 1798 contient une clause nouvelle destinée à contraindre les témoins de l'un des deux pays, cités dans l'autre, à satisfaire à la citation.

« PreviousContinue »