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LIVRE II

DES PERSONNES PASSIBLES D'EXTRADITION

CHAPITRE PREMIER.

RÈGLES GÉNÉRALES.

En droit strict, toute personne accusée d'une infraction tombe sous l'application de la loi pénale commune, et est renvoyée devant les tribunaux compétents. L'extradition ayant pour objet d'assurer la répression, et de rendre un accusé ou un condamné à la juridiction compétente, il en résulte qu'en principe, toute personne est passible d'extradition.

Il faut reconnaître, toutefois, que cette règle n'est pas absolue. Les constitutions des peuples ne sont pas identiques, et le droit d'extradition doit s'accommoder aux divergences qui les séparent. Des exceptions ou des tempéraments peuvent être apportés à la règle indiquée par la théorie pure. On conçoit, par exemple, qu'un régime monarchique ou aristocratique exempte de l'extradition certaines classes de la société. Un gouvernement theocratique pourra se refuser à livrer les membres de son église. Un pays, où l'esclavage n'existe pas, ne se croira pas tenu de restituer un esclave..., etc. Ces exceptions, dont la nomenclature pourrait être augmentée, devront, pour qu'il en soit tenu compte, faire l'objet d'une clause expresse dans les conventions.

Comme exemple de dispositions de cette nature, on peut citer l'article 9 de la convention conclue, le 26 août 1850, entre la France et l'Espagne. Voici le texte de cette clause, qui assure un traitement de faveur à certaines catégories de personnes, à raison du lieu où leur arrestation est effectuée :

« ART. 9. Le gouvernement espagnol étant tenu de respecter le « droit qu'acquièrent en Espagne certains coupables, de se soustraire à

<< la peine de mort, en vertu de l'asile ecclésiastique, il est entendu que « l'extradition 'qu'il accordera au gouvernement français des prévenus « placés dans ce cas, aura lieu sous cette condition, que la peine de << mort ne pourra leur être infligée, si cette peine, qui, dans l'état actuel «< de la législation française, n'est applicable à aucun des prévenus << admis en Espagne au bénéfice du droit d'asile, leur devenait plus tard << applicable.

<< Une copie légalisée de la procédure qui aura été instruite à ce sujet << devra être fournie, comme preuve à l'appui, au moment de la remise « des prévenus. >>

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DES ESCLAVES. -Nous avons parlé, tout à l'heure, de la situation des esclaves au point de vue de l'extradition. Rien de plus délicat à régler dans les rapports de deux Puissances qui ne suivent pas les mêmes principes à cet égard. Qu'on imagine un esclave qui, après avoir commis un crime dans son pays, soit parvenu à gagner le territoire d'une Puissance voisine, chez laquelle l'esclavage n'est pas reconnu. En touchant le pays de refuge, le fugitif est devenu libre; il ne saurait être livré au pays requérant, si ce dernier doit le maintenir dans sa première condition. L'extradition ne pourra donc s'accomplir, que si le pays requérant consent à reconnaître l'inculpé comme homme libre, et s'engage à le juger en cette qualité. Encore faudra-t-il que la demande d'extradition ne soit pas basée sur une infraction ou une condamnation, dont le caractère criminel résulte uniquement de la condition faite à l'esclave! Un gouvernement esclavagiste donnera difficilement son adhésion à une pareille combinaison; d'autre part, le pays de refuge est lié par des principes, dont le droit public ne lui permet pas de se départir. L'entente paraît donc impossible.

Et cependant, les recueils de traités nous offrent des exemples de conventions passées pour l'extradition des esclaves entre des pays de liberté et des pays esclavagistes! C'est, de la part des premiers, une concession faite aux rapports de bon voisinage, et aussi, il faut le dire, l'abandon des principes qui sont l'honneur de la civilisation moderne.

Voici, comme exemple, l'article 6 de la convention conclue, le 12 octobre 1851, entre le Brésil et la République orientale de l'Uruguay:

« Le gouvernement de la République orientale de l'Uruguay reconnaît le principe de la restitution au sujet des esclaves appartenant à des

sujets brésiliens, et qui, contre la volonté de leurs maîtres, viendraient, de quelque manière que ce soit, sur le territoire de ladite République, et y seraient trouvés, en observant pour cette restitution les règles suivantes :

a 4° Lesdits esclaves seront réclamés ou directement par le gouvernement impérial, ou par son représentant auprès de la République ;

« 2o Il est admis que la réclamation pourra être faite par le président de la province de San Pedro de Rio grande do Sul, dans le cas où les esclaves réclamés appartiendraient à des sujets brésiliens résidant ou établis dans la même province;

3o Il est admis aussi que la réclamation pourra être faite par le maître de l'esclave devant l'autorité du lieu où il se trouvera, lorsque le maître de l'esclave sera à sa poursuite sur le territoire oriental, ou quand il aura donné mandat de le poursuivre à un agent spécialement autorisé à cette fin;

« 4o La réclamation dont il s'agit devra être accompagnée d'un titre ou document, qui, suivant les lois du Brésil, puisse prouver la propriété du réclamant sur le fugitif;

5o Les dépenses qui se feront pour l'arrestation et la remise de l'esclave ou des esclaves réclamés seront à la charge du réclamant. »

Comme on le voit, tout esclave fugitif est passible d'extradition, en dehors de tout délit, par le seul fait de sa condition. Cette clause, qui consacre un engagement unilatéral, et méconnaît ainsi la règle de réciprocité, est la reconnaissance formelle de l'esclavage faite par l'Uruguay au profit du Brésil.

Une disposition semblable forme l'article 6 du traité conclu, le 14 décembre 1857, « au nom de la très-sainte et indivisible Trinité », entre le Brésil et la Confédération argentine :

« On rendra les esclaves appartenant à des sujets brésiliens, et qui, contre la volonté de leurs maîtres, auront, d'une manière quelconque, passé sur le territoire de la Confédération argentine et s'y trouveront On observera, pour la remise des esclaves, les règles suivantes : << 4° Lesdits esclaves seront réclamés par le gouvernement impérial ou par l'entremise de son représentant près de la Confédération;

encore.

« 2o Il est convenu que la réclamation pourra être faite par le président de la province de San Pedro de Rio Grande au gouverneur de Corrientes, dans le cas où l'esclave ou les esclaves réclamés appartiendraient à des sujets brésiliens résidant ou établis dans la même province.

« 3o Il est également convenu que la réclamation peut être faite par le maître de l'esclave devant l'autorité compétente du lieu où ledit

esclave se trouvera, si le maître s'est mis à sa poursuite sur le territoire argentin pour se le faire rendre; mais la remise ne peut jamais avoir lieu sans un ordre du gouverneur de la province.

4o La réclamation dont il s'agit devra être accompagnée de titres ou de documents qui, d'après les lois du Brésil, servent à prouver la propriété réclamée.

«50 L'esclave qu'on aura rendu ne pourra, dans aucun cas, être châtié en la moindre manière pour le simple fait de sa fuite.

« 6o Les dépenses faites pour saisir et rendre l'esclave ou les esclaves réclamés seront au compte du réclamant.

<< I demeure expressément convenu que, si un esclave passe sur le territoire argentin en compagnie de son maître, par son ordre ou de son consentement, en quelque qualité que ce soit, on n'admettra jamais, dans aucun cas, la demande de restitution qui pourrait être formée. »

DES RÉFUGIÉS VOLONTAIRES.- Des jurisconsultes soutiennent que, pour être passible d'extradition, l'individu réclamé doit se trouver volontairement sur le territoire du pays requis. Il en résulterait qu'un malfaiteur étranger, jeté par un naufrage sur les côtes du pays requis, fait prisonnier de guerre ou livré par un gouvernement voisin, ne pourrait être l'objet d'une mesure d'extradition.

A l'appui de cette thèse, on fait observer qu'aux termes de la plupart des conventions d'extradition, les gouvernements contractants sont tenus de se livrer réciproquement les malfaiteurs réfugiés sur leur territoire respectif. Il n'est pas possible, ajoutet-on, de considérer comme réfugié un individu amené sur le territoire du pays requis par une force majeure. La présence sur le sol doit s'entendre seulement d'une présence volontaire.

Il faut remarquer que le mot réfugié ne figure pas dans toutes les conventions. Un certain nombre de traités conclus par la France, notamment, se bornent à faire mention des individus qui seront trouvés sur le sol du pays requis. Il est permis de croire que le mot réfugié a été amené sous la plume des négociateurs par la pensée du cas le plus ordinaire, et que ce mot n'avait pas, dans leur esprit, le sens exclusif qu'on cherche à lui attribuer.

C'est dans une doctrine ancienne et plus générale qu'il faut rechercher l'origine de cette règle.

Il a été longtemps reçu, en matière criminelle, que le droit de

punir ne devait s'exercer que sur les malfaiteurs, qui se seraient volontairement placés sous l'application de la loi violée par eux. On cite, à ce sujet, un arrêté consulaire de l'an VIII, rendu dans des circonstances caractéristiques. Des émigrés, évadés du château de Ham, étaient parvenus à s'embarquer pour l'étranger; la tempête les rejeta sur les côtes de France; alors intervint un acte du pouvoir exécutif, qui les rendit à la liberté, en raison des circonstance de force majeure qui les avaient ramenés sur le sol de la République. On ne lira pas sans intérêt les curieux considérants de cet arrêté :

« Arrété des Consuls de la République qui ordonne la déportation hors « du territoire de la République des émigrés naufragés à Calais.

« Du 18 frimaire an VIII.

« Les Consuls de la République, chargés spécialement de l'établisse<<<ment de l'ordre dans l'intérieur, après avoir entendu le rapport du « ministre de la police générale ;

« Considérant 4° Que les émigrés détenus au château de Ham ont « fait naufrage sur les côtes de Calais;

« 2o Qu'ils ne sont dans aucun cas prévu par les lois sur les émigrés; « 3° Qu'il est hors du droit des nations policées de profiter de l'acci<<< dent d'un naufrage pour livrer, même au juste courroux des lois, des << malheureux échappés aux flots,

« Arrêtent :

« ART. 1er.

Les émigrés français naufragés à Calais le 23 brumaire << an IV seront déportés hors du territoire de la République.

« ART. 2. Les ministres de la police générale et de la guerre sont «< chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent « arrêté, qui sera imprimé au Bulletin des lois.

« Les Consuls de la République,

« Signé ROGER-DUCOS, SIEYÈS, BONAPARTE.

« Pour copie conforme,

« Le secrétaire général,

« Signé Hugues B. MARET. »

La même théorie reparait chez les commentateurs de l'ancien article 7 du Code d'instruction criminelle. D'après cet article,

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