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tout Français, qui s'était rendu coupable à l'étranger d'un crime contre un Français, pouvait, à son retour en France, y être poursuivi et jugé, sous certaines conditions. Carnot (1) et Bourguignon (2) admettent qu'il s'agit ici d'un retour volontaire. Mangin (3) adopte le même système; le seul argument, qu'il produit à l'appui, est tiré du texte même de l'article: si le législateur n'avait pas eu en vue un retour volontaire, il eût suffi, pour que la poursuite fût possible, que le prévenu eût été arrêté ou qu'il reparût sur le territoire; il n'eût pas été besoin de dire expressément : à son retour en France. « Nous ajouterons dans le même sens » ", dit M. Faustin-Hélie (4), « que la seule raison de la compétence « de la juridiction française est la présence de l'agent sur le terri<«<toire; or cette présence ne trouble l'ordre et ne donne à la cité «< un intérêt à la répression que parce qu'il revient y exercer ses << droits de citoyen et jouir de la protection des lois qu'il a violées; le droit de juridiction suppose donc la présence volontaire; << s'il s'est condamné à l'exil, s'il n'est pas revenu lui-même dans « son pays, quel serait l'intérêt, quel serait le droit de la pour« suite? Où serait le trouble de la cité, la nécessité de l'exemple, « le danger de l'impunité? Nous croyons donc que la justice ne « peut saisir le prévenu que lorsque son retour a été volontaire. Ainsi, s'il a été jeté par un naufrage sur les côtes, si quelque « accident lui a fait franchir involontairement la frontière, s'il a « été arrêté en pays étranger et livré à la France en raison d'un << autre crime, la justice est sans pouvoir, car sa présence n'est qu'accidentelle et le résultat d'une force majeure. Il résulte en« core de là que son extradition ne pourrait être demandée à raison du crime même qu'il a commis en pays étranger, puisque, « tant qu'il réside dans ce pays, les tribunaux français ne peu« vent être saisis. »

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L'article 7 du Code d'instruction criminelle a été abrogé par la loi du 27 juin 1866 et remplacé par une disposition qui forme aujourd'hui l'article 5. On y lit encore: « En cas de crime ou de << délit commis contre un particulier français ou étranger, aucune poursuite n'a lieu avant le retour de l'inculpé en France. » Rien,

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(1) De l'instruction criminelle, t. I, p. 124.

(2) Jurisprudence des cours criminelles, t. I, p. 78.

(3) Act. publ., t. I, p. 128.

(4) Instruction criminelle, liv. II, ch. v, § 130.

dans l'exposé des motifs de la loi de 1866, ni dans la discussion de cette loi devant les deux Chambres, n'indique si ces derniers mots doivent s'entendre d'un retour volontaire. La question reste donc entière.

Il faut dire que la jurisprudence ne semble pas disposée à consacrer le système de MM. Mangin et Faustin-Hélie: c'est ce qui résulte d'un arrêt rendu, le 20 novembre 1846, par la Cour d'assises de la Seine dans l'affaire Prou.

Quoi qu'il en soit, c'est évidemment par extension de ce système que les réfugiés volontaires ont seuls été déclarés passibles d'extradition. Mais il faut convenir qu'ici cette règle se justifie plus difficilement encore. En matière d'extradition, il ne s'agit pas seulement de savoir si la juridiction du pays requis est compétente, si l'ordre public est troublé dans ce pays par la présence de l'individu réclamé, s'il y a intérêt à le poursuivre. Il s'agit aussi d'un acte de souveraineté, par lequel le pays requis doit livrer à une justice étrangère compétente une personne qui cherche à s'y soustraire. Le pays requis est-il souverain? La justice du pays requérant est-elle compétente? L'individu réclamé est-il celui que recherche cette justice? Voilà les principales questions qui se posent. Peu importe, pour leur solution, que la présence de l'individu réclamé soit volontaire ou non l'extradition est légitime dans les deux cas.

Nous pensons donc, contrairement à l'opinion commune, qu'un individu peut être livré à la justice étrangère, alors même que sa présence sur le territoire du pays requis n'est pas volontaire. Aucun argument vraiment juridique n'est invoqué à l'appui du système contraire; il n'y a pas de motif pour s'y rallier, à moins qu'il ne faille tenir compte de ces raisons de générosité sentimentale dont l'expression figure parmi les considérants de l'arrêté consulaire de l'an VIII.

L'extradition est

DE LA NATIONALITÉ DE L'INDIVIDU RÉCLAMÉ. une branche du droit international: on ne sera donc pas surpris des conséquences importantes que peut, au point de vue, des rapports internationaux, entraîner la nationalité de la personne dont l'extradition est demandée.

Cette personne peut appartenir, par sa nationalité, au pays requérant. Par exemple, le gouvernement français peut avoir à demander à un pays voisin l'extradition d'un Français. C'est le

cas le plus simple et le plus ordinaire; c'est le seul que les négociateurs de nos premiers traités d'extradition aient eu en vue. (Voir : Traité franco-suisse du 18 juillet 1828; traité franco-sarde du 23 mai 1838...; etc.) Aucune difficulté ne peut se présenter dans cette hypothèse.

L'individu réclamé peut appartenir, par sa nationalité, soit au pays requis, soit à un pays tiers. Dans ces deux cas, que nous allons étudier avec soin, la question de nationalité est de nature à exercer une influence considérable sur le règlement de la demande d'extradition.

CHAPITRE II.

DES NATIONAUX AU POINT DE VUE DE L'EXTRADITION.

Examinons d'abord le cas où l'individu réclamé appartient, par sa nationalité, au pays de refuge.

En France, et dans un grand nombre d'autres pays, il est admis que les nationaux ne sont pas passibles d'extradition.

Les arguments ne manquent point à l'appui de cette règle. On rappelle que l'État et le national ont, l'un à l'égard de l'autre, des obligations réciproques. Si le national est tenu d'obéir aux lois de son pays, de son côté l'État lui doit la protection des lois; en le livrant à une juridiction étrangère, en le privant des garanties offertes par la justice de son pays, l'État faillirait à ses devoirs de protection.

D'autre part, il n'est pas possible d'avoir une confiance entière dans la justice d'un pays voisin. Alors même que, dans les circonstances ordinaires, l'organisation judiciaire de ce pays présensenterait toutes les garanties désirables, la nature même du procès ne permettrait pas de compter sur la parfaite équité des juges. Il est difficile, en effet, de croire qu'un accusé, traduit à la barre d'un tribunal étranger, y rencontre une impartialité complète et cette mesure de bienveillance sans laquelle il n'y a pas de justice. S'il a pour coaccusé un sujet du pays où l'affaire est débattue, les juges pourront-ils tenir la balance égale entre un compatriote et un étranger? Sauront-ils résister à l'opinion publique aisément

irritable contre un étranger, aux préventions de nature diverse entretenues par les circonstances politiques ou par d'autres causes? Dans le cas même où, s'élevant au-dessus de la nature humaine, ils réussiraient à écarter toute influence extérieure et à témoigner à l'étranger une réelle impartialité, n'est-ce pas trop qu'il existe contre eux des motifs légitimes de suspicion? Selon le mot de Bentham, la justice ne doit pas seulement être réelle, elle doit de plus être apparente.

Dans le même ordre d'idées, il convient de remarquer que les lois et les institutions ne sont pas arrivées chez tous les peuples à un égal degré de perfectionnement. Chez certaines nations, on rencontre encore des procédures étranges, des pénalités barbares, une organisation judiciaire défectueuse. Il n'est pas admissible qu'un Etat plus civilisé livre un de ses nationaux à l'application d'un système pénal de cette nature.

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Du reste, l'extradition des nationaux n'est pas absolument réclamée par les intérêts de la justice répressive. Le régnicole peut être poursuivi et condamné dans son pays même, à raison de l'infraction commise par lui à l'étranger. La loi pénale n'est pas seulement territoriale; elle est aussi personnelle, en ce sens, qu'elle suit le national à l'étranger, pour le punir à son retour, s'il le mérite. Elle suit les citoyens sur le territoire étranger pour régler leur capacité morale, comme le statut personnel règle leur capacité civile (1). Ce principe est consacré, en France, par le droit écrit en vertu des dispositions des articles 5 et 7 du Code d'instruction criminelle (loi du 27 juin 1866), les tribunaux français peuvent être saisis des crimes, des délits, et même de certaines contraventions dont les nationaux se rendent coupables à l'étranger. Il n'y a pas besoin, dès lors, d'étendre l'extradition aux nationaux, puisque la justice nationale est compétente dans tous les cas.

Il faut ajouter enfin que, livrer un national serait, en France du moins, une violation des règles du droit public. Ces règles, formulées déjà dans une déclaration du Parlement de mai 1788, sont plus tard écrites dans la Charte de 1814: Art. 4. « [La] liberté individuelle est également garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit. » Art. 62 : « Nul ne pourra être distrait de

(1) M. Faustin Hélie, Traité de l'instruction criminelle, ch. v, § 128.

ses juges naturels. » On les retrouve consignées dans les articles 4 et 53 de la Charte de 1830. Bien qu'elles n'aient trouvé place ni dans la Constitution de 1852, ni dans les lois postérieures, ces règles sont toujours en vigueur. Or, le juge naturel d'un Français est le juge institué par la loi du pays; d'autre part, aucune loi n'autorise, pour une infraction commise à l'étranger, l'arrestation d'un régnicole et sa remise à la justice étrangère. L'extradition d'un national est donc contraire au droit public.

Tels sont les arguments produits à l'appui du système d'après lequel les nationaux ne sont pas soumis à l'extradition. Ce système a trouvé des partisans convaincus au point d'y voir un des principes de notre droit public. Voici comment s'exprimait à ce sujet un orateur du gouvernement (1), lors de la discussion de la loi du 27 juin 1866 devant le Corps législatif :

« Cette idée (l'extradition des nationaux) suppose l'abandon du prin«cipe, l'une des conquêtes politiques les plus incontestables de l'esprit <«< libéral depuis un demi-siècle. C'est l'abandon de ce principe qu'un << accusé revenu dans son pays ne peut être distrait de ses juges naturels. « C'est cette idée, qu'on appellerait monstrueuse, si nous l'avions pré<< sentée, à savoir qu'un Français rentré dans sa patrie, entouré de ses << parents, de ses amis, placé sous la présomption d'innocence.... et << aussi sous la protection de ses antécédents, pourrait être arraché aux juges qui le connaissent, sur une dénonciation venue de l'étranger; << pourrait être enlevé à la justice de son pays et livré à des procédures «< ignorées de notre législation et peut-être contraires à ses principes : « tout cela au mépris de cette garantie écrite dans plusieurs constitutions, « que le Français ne peut être distrait de ses juges naturels !... Il n'y a « pas un pays en Europe qui ait consenti à abandonner le jugement de << ses nationaux revenus sur son territoire... >>

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Comme on le voit, ce discours est une défense énergique, dans laquelle l'orateur ne dédaigne point de faire intervenir les raisons de sentiment. C'est qu'en dépit des arguments exposés plus haut, et malgré la consécration d'une jurisprudence presque universelle et constante, la règle qui interdit l'extradition des nationaux compte de nombreux adversaires. Lors de la discussion de la loi de 1866, elle eut à supporter les attaques de jurisconsultes éloquents, qui ne craignaient pas de prédire le triomphe assuré du système contraire. « C'est, à mon sens, disait l'un d'eux (2), une (1) M. de Parieu, vice-président du conseil d'État. (2) M. Jules Favre.

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