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« préoccupation étroite, mesquine de nationalité, que de pré<< tendre que l'extradition ne puisse pas s'opérer dans de telles « circonstances (lorsqu'il s'agit d'un national). L'extradition, soyez-en sûrs, messieurs, elle sera le dernier mot de cette lutte « entre deux principes contradictoires, qui se sont longtemps « combattus, et qui finiront par s'entendre dans un sentiment « commun de justice...

Les arguments présentés contre l'extradition des nationaux sont plus spécieux que solides. Un rapide examen permettra de s'en

assurer.

D'abord, est-il vrai de dire que l'État manquerait à ses devoirs de protection s'il livrait un régnicole à la justice étrangère? L'affirmative entraînerait des conséquences inadmissibles. La protection de l'État suit le national à l'étranger; si l'on admet que l'État lui doive les garanties de la juridiction de son pays, il faut, pour être conséquent, décider que l'État doit intervenir toutes les fois qu'un national est traduit devant un tribunal étranger. En vain fera-t-on observer que le juge étranger est compétent; le juge national l'est aussi, et l'État doit s'appliquer à faire triompher celle des deux compétences dont les garanties ont été combinées en vue des nationaux. Personne n'ira jusqu'à soutenir une pareille thèse, qui compromettrait les relations internationales. Il faut donc convenir que les devoirs de protection de l'État n'ont pas l'étendue qu'on prétend y donner. L'État doit veiller à ce qu'aucun de ses nationaux ne soit, à l'étranger, victime de dénis de justice, de flagrantes iniquités, ou de pratiques barbares que la civilisation condamne. Mais, lorsqu'un pays étranger offre une organisation régulière et de suffisantes garanties de justice, l'État ne manque pas à ses devoirs en livrant les coupables à l'application des lois qu'ils ont violées. S'il a des devoirs à l'égard de ses nationaux, il en a d'autres à remplir envers les États voisins; il manquerait à ces derniers, s'il refusait son concours à la répression des infractions commises sur le territoire étranger.

Cette idée nous amène à insister sur l'intérêt qu'il y a, pour la justice répressive, à ce que le jugement et la punition du coupable aient lieu dans l'endroit même où la faute a été commise. En matière criminelle, le juge compétent est, avant tout autre, le juge du lieu de l'infraction. C'est là que les éléments de l'instruction sont réunis le plus facilement, et que la découverte de la vérité est assurée, si elle peut l'être. C'est aussi là que l'infraction a pro

duit ses effets et que le besoin de la répression se fait surtout sentir. Aussi la théorie et la pratique sont-elles d'accord pour reconnaître à la loi pénale le caractère territorial. Nul ne conteste que la juridiction locale ne soit compétente pour connaître des infractions commises sur son territoire, quelle que soit d'ailleurs la nationalité du coupable. Vient-il à la pensée de personne de soutenir qu'un État ait le droit d'arracher à la justice d'un pays voisin un de ses nationaux arrêté et poursuivi, dans ce dernier pays, pour une infraction de droit commun? Comment donc ce même État se refuse-t-il obstinément à livrer à cette justice étrangère le national qui aura été assez habile pour regagner sa patrie, après avoir commis un crime sur le territoire étranger? Il faut le dire la vraie raison, c'est la défiance inspirée par la justice étrangère.

On connaît déjà les motifs qui ne permettent pas de compter sur l'impartialité absolue du juge, lorsqu'il doit prononcer sur l'innocence ou la culpabilité d'un étranger. Ces motifs ont de la valeur; mais il ne faut pas en exagérer l'importance. La défiance peut être légitime, s'il s'agit d'une nation éloignée, régie par une organisation défectueuse, peu avancée encore sur la voie de la civilisation; on comprend alors qu'on hésite à livrer un national à la juridiction de ce pays. Mais la question se présentera rarement dans de telles conditions; car deux nations de mœurs si différentes ne sont pas liées par des rapports d'extradition. Il faut admettre que les deux pays entre lesquels la question se débat ont conclu une convention d'extradition. Chacun d'eux a, par là même, rendu hommage à l'organisation administrative et judiciaire de l'autre. En effet, on ne négocie pas de traités de cette nature avec un État qui n'offre pas des garanties de justice dignes des peuples civilisés. Dans cet état de choses, la défiance ne parait pas fondée, et il ne semble pas juste de soustraire un national aux effets d'une convention qu'on applique non-seulement aux sujets de la Puissance cocontractante, mais encore aux sujets des pays tiers.

D'autre part, bien que livré à une juridiction étrangère, le national ne serait pas dénué de tout recours. La protection de son gouvernement ne le suit-elle pas? En admettant qu'il soit menacé d'une injustice flagrante ou d'une condamnation abusive, son gouvernement n'a-t-il pas le droit et le devoir d'intervenir en sa faveur?

La défiance contre la justice étrangère n'est donc pas toujours justifiée, et les garanties ne feraient pas défaut à un national renvoyé devant un tribunal étranger.

On prétend que l'extradition des nationaux n'est pas réclamée par les intérêts de la justice répressive. C'est une erreur. Le résultat, que se propose la répression, n'est pas complétement atteint, alors même que la législation du pays de refuge permet de poursuivre le national pour une infraction commise à l'étranger. Il est difficile, loin du lieu du crime, de réunir tous les éléments de preuve et d'arriver sûrement à la découverte de la vérité. Il est vrai que le gouvernement étranger, sur le territoire duquel l'infraction aura été commise, se montrera généralement disposé à faciliter la tâche des juges, en communiquant la procédure ou verte sur les lieux, et en réunissant les autres éléments d'instruction. Mais si, par impossible, il refuse son concours, la poursuite de l'accusé manque de toutes garanties. Il y a des causes où la présence des témoins est nécessaire au cours des débats. Qu'adviendra-t-il, si les témoins étrangers reculent devant les ennuis du voyage et refusent de comparaître ? Dans tous les cas, la sentence qui interviendra pourra être suspectée de partialité, en raison des conditions dans lesquelles elle aura été rendue. L'opinion est moins vivement émue par un crime commis au loin; l'ordre public parait moins gravement atteint; le besoin de la répression semble moins urgent. De là, des motifs pour que le juge soit porté à une indulgence excessive. Ce juge pourra encore être involontairement sensible à cette considération, que l'accusé est un compatriote, et que les victimes appartiennent à un pays étranger, contre lequel des événements, politiques ou autres, ont peut-être excité l'animosité nationale.

En ce qui concerne la maxime de droit public, que « nul ne peut être distrait de ses juges naturels », elle ne constitue pas un argument solide, puisqu'elle peut être invoquée à l'appui des deux systèmes. Quel est, en effet, le juge naturel? Est-ce le juge national, compétent ratione persona? Est-ce le juge étranger, compétent ratione materia? Ceux qui veulent soumettre les nationaux à l'extradition ont même, comme on l'a vu, certaines bonnes raisons pour faire prévaloir la loi territoriale, c'est-à-dire, la compétence du juge étranger. Dans tous les cas, ils sont fondés à dire que notre droit public ne saurait être regardé comme un obstacle à l'application de leur théorie.

De la discussion qui précède, il faut conclure qu'aucun principe ne s'oppose à ce que les nationaux soient soumis à l'extradition. Ni la protection qui leur est due par leur gouvernement, ni le droit public ne sont contraires à cette théorie, qui est conforme aux règles de la compétence et aux intérêts de la justice répressive. Si l'extradition des régnicoles n'est pas généralement admise, il faut en chercher la cause dans les défiances, souvent peu justifiées, que les États d'un même continent entretiennent à l'égard les uns des autres, et dans un sentiment exagéré des droits et des devoirs de leur propre souveraineté. Il est donc permis de croire, qu'avec les progrès continus des relations internationales, un jour viendra où le coupable, ne pouvant plus s'abriter derrière sa nationalité, sera jugé sur les lieux mêmes de son crime, et puni par la loi qu'il aura violée.

Quoi qu'il en soit, l'extradition des nationaux n'a pas été, jusqu'à présent, admise en France jamais un Français n'est livré par son gouvernement à la justice étrangère. Cette règle, fort ancienne, est indiquée dans une remontrance du Parlement de Paris du 3 mars 1555. On la trouve aussi mentionnée dans nos vieux jurisconsultes. (Voir JouSSE: De la Justice criminelle, t. I, p. 427 et suiv.)

On a vu, au livre précédent, comment cette règle avait prévalu, au dix-huitième siècle, dans les rapports de la France avec les nations voisines, et notamment avec les Pays-Bas (page 38).

Elle a été méconnue une seule fois, en 1811, et voici dans quelles circonstances. Deux Français, après s'être rendus coupables d'un assassinat en Italie, s'étaient réfugiés en France. Le crime ayant été commis hors du territoire, la loi était impuissante à les punir. Pour donner satisfaction au sentiment public, indigné de l'impunité qui semblait acquise à ces criminels, Napoléon rendit le décret suivant :

Décret impérial retatif au cas où un gouvernement étranger demanderait l'extradition d'un Français prévenu d'avoir commis un crime contre des étrangers sur le territoire de ce gouvernement.

Au palais d'Amsterdam, le 23 octobre 1811.

Napoléon, Empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la Confédération du Rhin, médiateur de la Confédération suisse, etc.

Sur le rapport de notre grand-juge ministre de la justice, ayant pour

objet de faire statuer sur le cas où un Français se serait réfugié en France après avoir commis un crime sur le territoire d'une puissance étrangère;

Vu les articles 5 et 7 de notre Code d'instruction criminelle portant: Le premier << Tout Français qui se sera rendu coupable, hors du territoire de France, d'un crime attentatoire à la sûreté de l'État, de contrefaçon du sceau de l'État, de monnaies nationales ayant cours, de papiers nationaux, de billets de banque autorisés par la loi, pourra être poursuivi, jugé et puni en France, d'après les dispositions des lois françaises; >>

Le second << Tout Français qui se sera rendu coupable, hors du territoire de l'empire, d'un crime contre un Français, pourra, à son retour en France, y être poursuivi et jugé, s'il n'a pas été poursuivi et jugé en pays étranger, et si le Français offensé rend plainte contre lui; » Considérant que, dans la question représentée, il ne s'agit que de crimes commis par un Français, hors de France et contre des étrangers; Que le Français prévenu d'un tel crime ne peut, lorsqu'il s'est réfugié en France, être livré, poursuivi et jugé en pays étranger que sur la demande d'extradition qui nous serait faite par le gouvernement qui se prétend offensé;

Que si, d'un côté, il est de notre justice de ne pas apporter d'obstacle à la punition du crime, lors même qu'il ne blesse ni nous ni nos sujets; d'un autre côté, la protection que nous leur devons ne nous permet pas de les livrer' à une juridiction étrangère sans de graves et légitimes motifs, reconnus et jugés tels par nous;

Notre conseil d'Etat entendu,

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

ART. 4er.

Toute demande en extradition, faite par un gouvernement étranger, contre un de nos sujets prévenu d'avoir commis un crime contre des étrangers sur le territoire de ce gouvernement, nous sera soumise par notre grand-juge ministre de la justice, pour y être par nous statué ainsi qu'il appartiendra.

-

ART. 2. A cet effet, ladite demande, appuyée de pièces justificatives, sera adressée à notre ministre des relations extérieures, lequel la transmettra, avec son avis, à notre grand-juge ministre de la justice. ᎪᏒᎢ. 3. Notre grand-juge ministre de la justice et notre ministre des relations extérieures sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au Bulletin des lois.

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Par l'Empereur,

Le ministre secrétaire d'État,

Signé COMTE Daru.

Signé NAPOLEON.

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