Page images
PDF
EPUB

་་

Ce décret n'a jamais été exécuté (1). « Le gouvernement, après avoir proclamé en droit que les citoyens français pourraient « être livrés à la justice étrangère, a reculé en fait devant l'exercice d'une telle faculté (2). »

On ne tarda guère à revenir à l'ancienne jurisprudence. Aux yeux de la plupart des jurisconsultes, les articles 4 et 62 de la charte de 1814, dont nous avons déjà reproduit le texte, en ont consacré implicitement le principe et abrogé les prescriptions du décret de 1811. La charte de 1830 confirme sur ce point les dispositions de la charte de 1814.

Pour la première fois, la règle se trouve expressément formulée dans le traité d'extradition conclu, le 22 novembre 1834, entre la France et la Belgique. L'article 1" est ainsi conçu : « Les gouver<< nements français et belge s'engagent, par la présente convention, « à se livrer réciproquement, à l'exception de leurs nationaux, les << individus..... etc. x

Elle est nettement posée dans lá circulaire adressée, le 8 avril 1841, par le ministre de la justice aux procureurs généraux : « L'extradition des malfaiteurs est soumise à des restrictions << dont il faut bien se rendre compte. En premier lieu, les Puis"sances ne consentent pas à livrer leurs nationaux : il en résulte << que la France ne peut réclamer que l'extradition d'un Français « ou d'un étranger réfugié dans un pays autre que celui auquel «< il appartient.

[ocr errors]

Enfin, elle est plusieurs fois proclamée à la tribune, lors de la discussion, devant les Chambres, des projets de loi portant approbation des traités d'extradition négociés, de 1848 à 1851, avec l'Espagne, la Nouvelle-Grenade, la ville libre de Hambourg et la Saxe.

Depuis 1834, l'exception établie en faveur des nationaux a été stipulée dans toutes les conventions d'extradition conclues par la France avec des Puissances étrangères.

Seuls, les traités signés avec la Grande-Bretagne, le 13 février 1843, et avec les Etats-Unis, le 9 novembre 1843, n'en font pas mention, et portent, d'une manière générale, que l'extradition doit s'appliquer à tous les « individus » (persons) accusés de... etc. Il y a lieu de noter, en effet, que ces deux États se montrent dis

(1) Exposé des motifs de la loi du 27 juin 1866. Rapport de M. Nogent Saint-Laurens, député, sur le projet de cette loi.

(2) M. Faustin Hélie, Traité de l'instruction criminelle, t. II, ch. v, § 133.

posés à étendre l'extradition aux nationaux. Ils n'admettent pas qu'un homme puisse être justement soustrait à la juridiction d'un pays dont il a violé les lois. Ils ne sont retenus ni par la défiance de la justice étrangère, ni par un sentiment exagéré de la protection due aux nationaux. Et cependant, les Anglais et les Américains ont, plus que tous autres, à perdre, en étant privés des garanties nombreuses qui leur sont assurées par leurs lois nationales. Ces deux grandes Puissances ont cru devoir adopter des vues plus larges et faire une concession à l'intérêt commun que les peuples civilisés ont à la répression des crimes. Mais l'exemple n'a pas été suivi. Jamais le gouvernement britannique, malgré les termes généraux du traité de 1843, n'a obtenu l'extradition de Français qui s'étaient rendus coupables de crimes en Angleterre. La question a été également agitée entre la France et les États-Unis et a donné lieu à des échanges de notes diplomatiques; mais la discussion n'a pas abouti. L'Angleterre a dû même, dans ses rapports avec d'autres Puissances, se plier aux idées communes c'est ainsi qu'une réserve expresse en faveur des nationaux est stipulée dans le traité d'extradition conclu, en 1862, entre la Grande-Bretagne et le Danemark, Il en a été de même pour les États-Unis, dans les conventions que ce pays a négociées avec la Prusse et les États allemands.

En Europe, il est admis par toutes les Puissances, à l'exception de la Grande-Bretagne, que les nationaux ne sont pas passibles d'extradition. Cette règle se trouve formulée dans toutes les conventions d'extradition signées depuis vingt ans. Du droit conventionnel, elle a passé dans les législations intérieures. On la retrouve, notamment, consacrée en Bavière, par l'article 30 du Code pénal; en Wurtemberg, par l'article 6; en Oldenbourg, par l'article 201; par l'article 506 de la constitution de Brunswick; par la constitution de Bade, paragraphes 13 et 15 (1); par l'article 1 de la loi belge du 5 avril 1868.

Elle est également mentionnée dans les traités d'extradition conclus par les divers Etats de l'Amérique du Sud. On la retrouve également dans certaines législations intérieures de ces pays : elle figure dans la constitution de la république d'Haïti. Notons, cependant, une disposition remarquable du traité d'extradition conclu, le 14 juin 1865, entre Buenos-Ayres et Montevideo;

(1) Rapport de M. Bonjean au Sénat, sur la loi du 27 juin 1866.

l'article 10 est ainsi conçu : « Si le coupable réclamé était citoyen <«< de la nation à laquelle on le réclame et sollicitait sa non-extra«<dition en s'engageant à se soumettre aux tribunaux de son pays, « son gouvernement ne sera pas obligé à l'extradition, et le coupable sera jugé et la sentence prononcée par les tribunaux du << pays... Ainsi, cette clause autorise, sous certaines restrictions, l'extradition des nationaux.

[ocr errors]
[ocr errors]

Il reste à examiner les conséquences de la règle consacrée par le droit conventionnel en faveur des nationaux.

Point de difficulté lorsqu'il s'agit d'un individu ayant conservé la nationalité qui lui était acquise par la naissance: son extradition ne sera pas autorisée par son gouvernement pour une infraction commise à l'étranger.

Mais la question paraît plus délicate, quand une modification survient dans le statut personnel de l'accusé. Divers cas peuvent se présenter.

Il s'agit, par exemple, d'une étrangère qui épouse un Français et vient en France; elle est poursuivie pour un crime commis à l'étranger avant son mariage; une demande d'extradition est lancée contre elle. Par une application rigoureuse de l'exception stipulée en faveur des nationaux, le gouvernement français refusera de livrer cette femme, devenue Française par le fait de son mariage.

Il en sera de même si l'individu, poursuivi à l'étranger et réfugié en France, acquiert la qualité de Français par la naturalisation, avant qu'il ait été statué sur la demande d'extradition formée contre lui.

Nous devons toutefois ajouter que, dans ce cas spécial de la naturalisation, le droit conventionnel paraît incliner vers une solution plus conforme aux intérêts de la justice répressive. Dans certains pays, la nationalité s'acquiert facilement, dans un laps de temps très-court. Le criminel fugitif ne manque pas d'en profiter et de se prévaloir de son nouveau statut pour échapper à la demande d'extradition formée contre lui par son pays d'origine. Pour déjouer un semblable calcul, il faut nécessairement faire fléchir le principe consacré en faveur des nationaux, et décider que la naturalisation, acquise postérieurement au crime, ne doit pas être un obstacle à l'extradition. Plusieurs Puissances sont entrées dans cette voie. A leur tête se place la Grande-Bretagne,

qui, admettant l'extradition des nationaux, ne pouvait faire difficulté de livrer les naturalisés. Le Brésil et l'Italie se sont également résolus, dans certains cas, à ne pas couvrir les naturalisés de la protection accordée aux nationaux. Pour donner une idée précise de la dérogation admise au principe général, nous reproduisons ici deux stipulations insérées dans des traités récents, conclus entre les Puissances qui viennent d'être citées.

Voici d'abord l'article 3 du traité d'extradition signé, le 13 novembre 1872, par la Grande-Bretagne et le Brésil :

« ART. 3. (Traduction.) Aucun sujet brésilien ne sera livré par le gouvernement ou par une autorité du Brésil au gouvernement ou à une autorité du Royaume-Uni, de même qu'aucun sujet anglais ne sera livré par le gouvernement ou par une autorité du Royaume-Uni au gouvernement ou à une autorité de l'empire du Brésil. Si cependant l'individu réfugié sur le territoire de l'une des hautes parties contractantes, s'y était fait naturaliser après la perpétration du crime, cette naturalisation n'empêcherait pas que son extradition ne fût accordée à l'autre haute Puissance contractante, conformément aux stipulations du présent traité. »

Voici maintenant l'article 4 du traité d'extradition conclu, le 5 février 1873, entre la Grande-Bretagne et l'Italie :

<< ART. 4. - (Traduction.) Dans le cas où l'individu poursuivi ou condamné serait parvenu, après la perpétration du crime, à se faire naturaliser sujet de l'une des hautes parties contractantes, cette naturalisation n'empêchera pas sa recherche, son arrestation et son extradition. Cependant, l'extradition pourra être refusée, s'il s'est écoulé cinq années depuis que la naturalisation est acquise, et si, depuis ce moment, l'individu réclamé est resté domicilié dans le pays requis. >>

Les idées que nous avons exprimées relativement à l'extradition des nationaux pourraient nous dispenser de dire que nous applaudissons à la pensée qui a inspiré ces deux clauses. Nous verrions avec satisfaction, en attendant mieux encore, que des stipulations analogues fussent insérées dans les traités que la France a déjà conclus, ou qu'elle négocie actuellement. Nous avons, d'ailleurs, des motifs de croire que le traité d'extradition, qui doit prochainement intervenir entre la France et la Grande-Bretagne, nous donnera satisfaction sur ce point.

Reprenons maintenant les applications de la règle admise en faveur des nationaux.

Le bénéfice en est acquis à l'accusé réfugié en France, et qui se trouve dans le cas de réclamer la qualité de Français, conformément aux dispositions des articles 9 et 10 du Code Napoléon.

Les habitants d'un territoire étranger, incorporé à la France, deviennent Français par le seul fait de cette incorporation. Aucun d'eux ne pourra donc être extradé après l'incorporation, même pour crime commis avant l'incorporation de ce territoire.

En cas de cession de territoire par traité, il est d'usage, par une clause spéciale, de laisser aux habitants du pays cédé la faculté de conserver leur nationalité d'origine et de leur donner un délai pour exercer cette faculté. Ainsi, le traité du 10 mai 1871, conclu entre la France et l'Allemagne, a stipulé (art. 2) que les sujets français, originaires d'Alsace-Lorraine, pourraient conserver la nationalité française, moyennant l'accomplissement de certaines conditions avant le 1er octobre 1872. Supposons que, durant cette période, un individu né et domicilié en Alsace-Lorraine eût commis un crime sur ce territoire ou à l'étranger, et se fût réfugié en France; son extradition devait-elle être autorisée, malgré l'incertitude qui subsistait sur sa nationalité jusqu'à sa déclaration d'option? Le plus simple était, pour le pays requis, de le mettre en demeure d'opter, sans attendre l'expiration du délai; la solution de la question d'extradition dépendait de la nationalité choisie par l'accusé. C'est le parti qui a prévalu alors dans les relations de la France avec l'Allemagne et avec les autres Puissances, en matière d'extradition.

Le traitement de faveur, imaginé pour les nationaux, doit être accordé également à ceux que la législation du pays de refuge assimile aux nationaux. Tels sont, par exemple, dans les PaysBas: 1o Les étrangers qui ont été autorisés par le roi à établir leur domicile dans le royaume, et ceux qui, après y avoir résidé pendant six années, déclarent à l'administration communale leur intention de se fixer dans le pays; 2o les étrangers qui, établis dans le pays, s'y sont mariés à une femme néerlandaise dont ils ont eu un enfant né dans le royaume.

L'article 19 de la loi néerlandaise du 19 août 1849 décide expressément que l'extradition n'est pas applicable aux personnes dont il vient d'être question. Cette clause est complétée par l'article 20 de la même loi, qui est ainsi conçu :

« Si les dispositions de la présente loi (sur l'expulsion et l'extradition des étrangers) sont appliquées à des personnes qui prétendent ou être

« PreviousContinue »