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Eh bien, ce qui nous arrive aujourd'hui nous arrivera toujours, tant que nous ne serons pas préalablement fixés sur les véritables principes de la loi qui nous est proposée.

La loi actuelle présentait différents systèmes; eh bien, la loi n'ayant pas été discutée dans son ensemble, qu'arrive-t-il? c'est que chacun de nous apporte un amendement qui n'est que la conséquence et le développement de son système à lui, et qui ne se marie pas, et ne peut se marier avec celui du gouvernement.

Je voudrais qu'à l'avenir on décidât d'abord si le système du gouvernement doit être adopté, ou si l'on doit lui en préférer un autre. Les systèmes, dans la discussion générale, étant mis en présence, vous n'auriez qu'à opter, et alors vous n'éprouveriez pas le désordre affligeant où vous vous trouvez aujourd'hui.

M. le Présideut. Il faudrait proposer un changement dans le règlement; mais je profiterai de cette circonstance pour faire remarquer à M. Réalier-Dumas qu'une discussion générale qui ne viendrait se placer qu'après le rapport, et dont le résultat serait d'apporter un projet qui reposerait sur de nouvelles bases, mais tout nouveau pour la Chambre, et n'ayant pas subi l'épreuve d'une commission, ne serait qu'un embarras plus général, mais n'en serait pas moins un embarras.

Le remède qu'on ne pourrait obtenir qu'en retouchant le règlement, serait peut-être d'établir une discussion générale en comité avant le renvoi dans les bureaux. Alors toutes les objections se feraient jour et porteraient sur le système en général comme sur les dispositions particulières. La Chambre se retirerait ensuite dans ses bureaux pour nommer les commissaires. Les bureaux eux-mêmes auraient déjà reçu l'impression de la discussion générale. Chacun des commissaires en serait particulièrement frappé, et le rapport que vous auriez serait l'expression des sentiments précédemment émis, et vous ne seriez pas exposés à toutes les nouveautés qui viennent tout à coup compliquer les débats.

Plusieurs voix : Très bien !

M. le Président. C'est un objet dont la Chambre s'occupera probablement à la session prochaine.

M. Réalier-Dumas. J'adhère entièrement à ce que vient de dire M. le Président; cela remédierait sans doute à l'abus que j'ai signalé.

M. le Président. Il faudra retoucher votre règlement; il en a grand besoin.

M. Odilon Barrot. Oh! oui!

M. Delespaul. Messieurs, je rends hommage aux bonnes intentions de votre commission, mais je trouve que son amendement ne va pas assez loin; je trouve que la majorité de la commission n'a pas poussé ses exigences aussi loin qu'elle aurait dù le faire. Je vous demande la permission de développer en peu de mots ma pensée.

L'amendement de la commission prévoit bien le cas où, soit l'accepteur d'une lettre de change, soit le souscripteur d'un billet à ordre viendrait à faire faillite avant l'échéance; mais il laisse de côté le cas où ce sera, soit le tireur, soit l'un des endosseurs de la lettre de change ou du billet à ordre qui sera tombé en faillite.

Ces points sont importants à régler, Messieurs. L'article 448 du Code de commerce était trop général dans ses termes; la jurisprudence avait

appliqué cet article en ce sens que, dans le cas de faillite de l'un des endosseurs, le recours du porteur en remboursement, ou en simple bail de caution, n'aurait lieu que contre les endosseurs postérieurs à celui tombé en faillite.

On conçoit, en effet, que le porteur d'une lettre de change ou d'un billet à ordre ne peut rien demander aux endosseurs antérieurs à celui qui est en faillite, car ces endosseurs n'ont point cédé, endossé, ni, partant, garanti les signatures qui se trouvent sur le titre, après la leur. Mais il n'en saurait être de même à l'égard des endosseurs postérieurs au failli, puisque ceux-là ont cédé et garanti, avec le titre lui-même, les signatures qui précèdent la leur.

Messieurs, le principe fondamental en cette matière est que celui qui cède est garant de ce qu'il cède.

L'article 140 du Code de commerce le veut ainsi, et voici dans quels termes cet article est conçu :

« Tous ceux qui ont signé, accepté ou endosse une lettre de change, sont tenus à la garantie solidaire envers les porteurs. »>

Ainsi, Messieurs, tout ce qu'ils ont signé, accepté ou endossé, ils le garantissent; ils s'engagent, par conséquent, à répondre de la validite des signatures antérieures aux leurs, de la solvabilité des personnes qui se sont engagées avant eux. Vous ne pouvez pas, Messieurs, sans porter atteinte à cet article 140 que je viens de mettre sous vos yeux, vous ne pouvez pas, ajouterai-je, sans affaiblir le contrat de change, sans en dénaturer le caractère et les effets, adopter l'amendement de votre commission dans les termes qu'il est conçu. Il faut compléter cet amendement, et l'on arriverait à ce résultat en y ajoutant une disposition qui serait ainsi rédigée:

En cas de faillite de l'un des endosseurs, les endosseurs postérieurs au failli sont également tenus de donner caution pour le payement à l'échéance, si mieux ils n'aiment payer imme diatement. »

Qu'objecte-t-on pour refuser au porteur le r cours que lui assurent les principes fondameɛtaux en cette matière? Qu'il serait, dans certais cas, trop difficile et trop embarassant, pour l obliger de fournir caution. Mais, ainsi que eu l'honneur de le dire à la Chambre, à l'une nos dernières séances, un négociant dont les a faires sont en bon état ne sera jamais embar rassé de trouver une caution; mais, enfin, sie embarras existait, je demande depuis quandi difficultés plus on moins grandes que peut épr ver un débiteur à satisfaire à ses obligations s raient une raison de l'en dispenser?

Messieurs, les conventions tiennent lieu d loi pour ceux qui les ont faites. Je vous ai epose qu'elle était la loi du contrat de chan quels en étaient le caractère et les effets. Le le gislateur ne peut pas intervenir dans le contra pour le briser: ce contrat, il doit être respe dans toute son étendue.

Je termine:

Chaque endosseur, par cela même qu'il cédé avec le titre les signatures qui précèden: sienne, s'en est constitué le garant, comme titre lui-même. Donc, il est impossible, en de faillite d'un endosseur, de refuser au porte. le droit de demander caution à ceux qui lui s cédé et garanti la signature de cet endosseu qui maintenant ne vaut plus rien. Les inter de celui qui exerce le recours méritent tout a.

tant de ménagement que les intérêts de ceux contre lesquels ce recours s'exerce, et dont il ne conviendrait pas de se préoccuper exclusivement.

Voici comment je vous proposerais d'amender l'article de votre commission:

« A l'égard des effets de commerce dans lesquels le failli figure, soit comme livreur ou accepteur d'une lettre de change, soit comme souscripteur d'un billet à ordre, les autres obligés sont tenus de donner caution pour le payement à l'échéance, s'ils n'aiment mieux payer immé diatement. En cas de faillite de l'un des endosseurs, les endosseurs postérieurs au failli sont également tenus de donner caution pour le payement à l'échéance, si mieux ils n'aiment payer immédiatement.

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Cette rédaction embrasse tous les cas en même temps qu'elle assure au porteur toute la sécurité désirable.

M. Gaëtan de La Rochefoucauld. Messieurs, après les deux discours que vous venez d'entendre, je ne dirai que quelques mots :

La question qui vous est soumise est très im-portante pour l'indusdrie française tout entière, et surtout pour celle qui m'intéresse, moi, et un grand nombre de manufacturiers; la commission l'a résolue à notre grand préjudice; mais j'essaierai d'abord de la réfuter par ses propres paroles.

Voici, Messieurs, ce qu'elle a dit :

<< Tout se tient dans les opérations d'un commerçant; ses payements sont calculés sur ses rentrées. Devancer les échéances attendues, c'est porter le bouleversement dans les prévisions les plus raisonnablement combinées; c'est paraPyser, dans les mains du commerçant, les ressources qu'on l'oblige de tenir en réserve, tandis qu'il pourrait les employer à augmenter ses valeurs en circulation, c'est nuire à l'essor du crédit, c'est exposer à des désastres les hommes les plus prudents et les plus honnêtes. Par l'effet de cette disposition, la faillite, quelque peu considérable, d'une maison de banque, entraîne inévitablement d'autres faillites, que les calculs les plus sages ne permettent pas d'éviter, ce qui aggrave toujours les crises commerciales, et peut quelquefois les causer. »

Voilà, Messieurs, ce que vous a dit le rapporteur de votre commission, et j'ajouterai ce qu'ont produit tant de désordres fort inutilement, puisqu'en définitive et en règlement de compte, les endosseurs seront désintéressés, et que ce sera le tireur seul qui fera le payement, au lieu et place du tiré failli.

Mais il faut dire, Messieurs, toute la vérité. Il ne faut pas vous dissimuler qu'il y a ici dissentiment parce qu'il y a lutte, avouons-le franchement, entre la banque et l'industrie. La banque veut toujours fortifier la lettre de change, l'industrie veut la faire circuler plus facilement; la banque veut avoir toutes les garanties, même surabondantes; l'industrie ne veut donner que les garanties qui proviennent d'elle, qui sont fondées sur sa propre fabrication. Telle est la Tutte qui se renouvelle assez souvent dans le commerce.

1ci, par exemple, on nuirait gravement à industrie, si on ne laissait pas la lettre de Change suivre son cours jusqu'à l'échéance, vec toute sécurité. Il arriverait certainement que plus on rendrait la position des endosseurs hasardeuse, moins on en trouverait; en voulant

des effets mieux garantis, on rendrait leur circulation plus difficile; on refuserait les valeurs de portefeuille, de peur qu'après en avoir négocié on n'ait pas le temps promis, nécessaire pour leur faire honneur, et les banquiers eux-mêmes y perdraient, puisqu'ils en recevraient un moindre nombre.

Mais il est vrai que quelques-uns d'entre eux pourraient s'en dédommager. Il est évident que, par la disposition qu'on vous propose, les banquiers pourraient profiter de chaque faillite pour obtenir des avantages qu'ils n'auraient pas eus sans la faillite, pour obtenir, dis-je, par le droit de tourmenter tous les endosseurs à leur choix, de se faire rembourser par l'un d'entre eux le montant de la lettre de change avant l'époque fixée, afin de se servir encore des mêmes fonds pour en escompter d'autres. J'irai plus loin, Messieurs, je dirai comment quelques escompteurs pourraient profiter de l'amendement de M. Jacques Lefebvre, bien contre son gré sans doute. On verrait bientôt, à chaque faillite, choisir pour le remboursement l'endosseur qui se trouverait placé dans la ville où les négociations seraient plus avantageuses, ou bien dans le lieu le plus éloigné d'où les frais de retour seraient plus productifs. Ce serait encore une charge pour Tindustrie, qui ferait aller aux banquiers une partie des modiques bénéfices des manufacturiers, et cet abus qui existe, mais qui est assez rare, deviendrait un scandale fréquent.

Mais il est une objection qui a semblé faire impression. On vous a dit que vous devez mettre en harmonie toutes les dispositions nouvelles que vous adoptez avec celles que vous laissez subsister dans le Code. Je répondrai d'abord que, si quelques-unes étaient contradictoires, ce ne serait pas celles que vous jugez bonnes à établir que vous devriez abandonner; ce serait bien plutôt celles existantes qui leur sont opposées que vous devriez abroger; et vous ne seriez pas arrêtés, je l'espère, par la considération qui nous a été présentée l'autre jour, que ces articles n'ont pas été soumis par le gouvernement à votre investigation. Vous avez un précédent assez remarquable lorsque vous avez réformé divers articles du Code pénal, c'est l'honorable M. Persil, lui-même, qui vous a fait révoquer, non seulement plusieurs articles de ce Code qui n'avaient pas été présentés à votre examen, mais des articles même du Code d'instruction criminelle, c'est-à-dire d'un autre Code non soumis à votre investigation.

Mais je terminerai, Messieurs, par répondre qu'il est surtout nécessaire que vous ne vous contredisiez pas vous-mêmes, s'il est possible, dans la même loi, et que c'est ici notre honorable collègue M. Jacques Lefebvre qui se met, à ce qu'il me semble, en contradiction avec luimême.

M. Jacques Lefebvre. Il n'y a aucune res-semblance entre les dispositions de l'article 444, dont vient de parler l'honorable préopinant, et l'article 448, actuellement en discussion.

Dans le premier cas, il s'agissait de savoir contre qui les masses desquelles serait sorti imprudemment ou déloyalement un payement fait en faveur d'un tiers porteur, pourraient demander restitution. Vous avez décidé qu'elles ne pouvaient la demander que contre le tireur de la lettre de change ou le premier endosseur du billet à ordre. Il n'y a aucune espèce d'ana

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Vous le voyez, Messieurs, c'est presque textuellement l'article 163 que votre commission, d'accord avec moi, vous propose de placer de nouveau dans le Code des faillites.

Je dis donc que si l'on peut redouter une contradiction, ce serait celle qui résulterait de la proposition de l'honorable M. de La Rochefoucauld, avec les articles que je viens de citer. Ainsi dans la même loi, à l'article 163, il serait dit que le porteur pourrait prétexter et exercer sans recours, en cas de faillite de l'accepteur avant l'écheance; et dans le Code des faillites, on dirait le contraire.

Mais je ne veux pas m'arrêter à ces fins de nonrecevoir. Il faut examiner sérieusement les objections graves, j'en conviens, qui ont été présentées, vendredi dernier, par nos honorables collègues MM. Thil et Laffitte, et dont M. le rapporteur vient de nous entretenir de nouveau.

Il est incontestable que, dans les moments de crise, cette obligation qui impose aux coobligés de la lettre de change, de fournir caution ou de rembourser, est propre à augmenter l'intensité de la crise. Je reconnais que ces coobligés n'auraient pas dû s'attendre, jusqu'à un certain point, à un recours en garantie avant l'échéance, sauf cependant la connaissance qu'ils devaient avoir des dispositions du Code de commerce qui ouvrent éventuellement un recours contre eux, s'il survient une faillite avant l'époque de l'échéance.

Ainsi, je ne nie pas qu'il y ait des difficultés, mais il s'agit de savoir s'il n'y aurait pas d'inconvénients plus graves encore à entrer dans un système contraire, et auparavant je dois vous faire apercevoir les adoucissements que mon amendement, adopté par la commission, apporte dans l'état actuel des choses.

Dans le système du Code de commerce, la faillite d'un des coobligés, quel qu'il soit, ouvre le recourt en garantie. Dans le système que je propose, ce recours n'est ouvert que par là faillite du souscripteur du billet à ordre, ou de l'accepteur de la lettre de change.

Et remarquez dans quelles proportions ce changement diminue les cas où il y a recours en garantie.

On peut estimer en moyenne qu'une lettre de change est revêtue de cinq ou six signatures. Eh bien! chacune de ces cinq ou six signatures,

dans le système du Code, ouvrait le recours en garantie. Dans le système de mon amendement, je ne laisse subsister le recours que dans le cas de faillite d'un seul signataire. Ainsi déjà je diminue des trois quarts, des cinq sixièmes, les cas où il y a lieu au recours en garantie.

Je remarque aussi, ainsi que vient de le faire la commission, que les négociants ne sont pas seulement endosseurs de lettres de change en circulation; ils en ont aussi dans leur portefeuille, et si, d'une part, l'amendement les soumet à un moins haut degré que le Code de commerce, à un recours éventuel en garantie, d'un autre côté, l'amendement rend la vie aux effets qu'ils ont en portefeuille, dont l'accepteur, si c'est une lettr de change, ou le souscripteur, si c'est un bille å ordre, est tombé en faillite. Ainsi le mal qu'on leur cause d'une part, est compensé jusqu'à un certain point par le bien qu'ils retireront de mon amendement.

Mais il est d'autres considérations qu'il faut que la Chambre connaisse. Une lettre de change n'est pas autre chose qu'un emprunt fait au public. Ce point reconnu, et je pense qu'il ne sera pas contesté, je pose cette question: celui qui emprunte habituellement, que sa profession met dans la nécessité commerciale d'emprunter, celui-là a-t-il intérêt à diminuer les garanties du prêteur?

Je n'hésite pas à dire que non; je dis, au contraire, qu'il intérêt à maintenir, à accroître ces garanties; car plus le prêteur trouvera de garanties, plus les emprunts seront faciles et moins ils seront onéreux.

De tous les modes d'emprunt, quel est le plus nécessaire au bien-être de la société ? C'est, sans contredit, la lettre de change. La lettre de change, on l'a dit plusieurs fois dans cette discussion, est le pivot sur lequel roulent presque toutes les opérations de commerce. La lettre de change représente presque toutes les marchandises qui partent des lieux de production pour arriver aux lieux de consommation.

Le coton que nous tirons de l'Amérique, l'indigo que nous tirons de l'Inde ont été représentés par la lettre de change, avant d'arriver dans nos ports, c'est la lettre de change qui a servi à les payer, et c'est par le moyen de la lettre de change que la France a un mouvement commercial de 7 à 800 millions qui s'opère sans presque deplacer un écu, tandis que dans les campagnes l'on ne peut pas se présenter à une foire, pour y acheter le moindre bétail, sans avoir les éco

la main. Des hommes qui ne se sont jamais vus, qui peut-être ne se verront jamais, qu sont séparés par un diamètre entier du globe remuent des trésors sans déplacer d'espèces.

Messieurs, c'est là une chose merveilleuse, e j'avoue qu'à mes yeux la lettre de change e pour le commerce ce que l'imprimerie est pou la pensée, ou les machines à vapeur pour la m canique.

Il faut donc bien nous garder de porter aucur atteinte à l'énergie du contrat de change. Voy avec quel soin la législation s'est, en tout temp occupée de cette matière; elle a voulu que lettre de change fût transmissible par voie d'e dossement; c'est la seule valeur qui se tran mette avec autant de facilité; elle a voulu q le débiteur fût valablement libéré, après paye ment à échéance, sans s'inquiéter de l'ident de celui qui présente la lettre de change, et ent elle a voulu qu'il ne fût pas admis d'oppositio au payement de la lettre de change, si ce n'e

en cas de perte ou de faillite du porteur. Ce n'est pas sans motif que la législation a accordé à la lettre de change de si grands privilèges, on peut dire le mot, et M. le garde des sceaux l'employait avec raison l'autre jour. Je dis que la législation a accordé des privilèges à la lettre de change, et je dis que c'est une des meilleures choses qu'elle ait jamais faites.

Ainsi, si vous adoptiez la proposition de votre commission ou celle qui vient de vous être faite par M. de La Rochefoucauld, vous atténueriez grandement l'énergie du contrat de change et les garanties qu'il offre à celui qui est porteur d'une lettre de change. Je crois que ce serait un bien plus grand mal que celui qui résulterait du recours éventuel fort rare qui pourrait être exercé contre les coobligés dans le cas de faillite du souscripteur du billet à ordre ou de l'accepteur de la lettre de change. Je vous recommande do..c cet amendement.

M. Toussin. Je crois qu'il faudrait adopter, préférablement à la rédaction présentement en discussion, le projet primitif de la commission.

En effet, quelle est la question? On vient dire: Evidemment lorsque j'ai pris ma lettre de change et qu'elle était revêtue indépendamment de la signature du tireur, de celles de divers endosseurs je l'ai prise avec ces garanties.

:

Or, dès l'instant qu'un des obligés, ou si vous voulez le tireur, vient à tomber en faillite, les garanties qui me l'avaient fait prendre n'existant plus, elles doivent m'être rendues d'une manière quelconque.

En apparence ce système est exact. Mais d'un autre côté on vous dit : « Moi, premier endosseur, qui ai pris une lettre de change payable à telle époque, j'ai calculé que, quels que fussent les événements, je ne devrais payer qu'à cette époque; parce que s'il y avait faillite on ne viendrait sur moi au remboursement, qu'à l'époque fixée par la lettre de change, et encore si le tireur, sans être en faillite, était seulement embarrassé dans ses affaires, je pourrais venir à son aide, mais ce n'est qu'à l'époque où la lettre de change est payable que je serai forcé à débourser. »>

Ainsi, moi, porteur d'une lettre de change par premier endosseur, dans mes opérations cominerciales je calculé que je pourrai me servir de toutes mes ressources pécuniaires, parce que c'est seulement à l'époque déterminée par la lettre de change que je serai obligé de rembourser les dettes que j'ai contractées.

Remarquez ces deux systèmes, Messieurs; je crois les définir en peu de mots.

En balançant l'un et l'autre, la commission, dans le projet primitif venait dire nous paraît plus naturel que les dettes ne soient exigibles que par rapport au failli. Quant aux endosseurs, ils courent la chance qu'il peut y avoir à subir toutes les fois qu'il y faillite. »

Il ne faut pas vous effrayer de ce qu'on est venu vous dire tout à l'heure par rapport aux inconvénients qui résulteraient de là pour la circulation des lettres de change. Il ne faut pas se dissimuler que dans un grand nombre de négociations ce n'est pas seulement en considération de la signature du tireur ou du bénéficiaire qu'on accepte une lettre de change, c'est surtout pour les endosseurs et surtout pour celui qui négocie la lettre de change.

Quant à moi, je crois que le système préférable serait pour donner plus de facilité aux opérations commerciales de déclarer comme l'a fait

T. XCII

l'article 448 du Code de commerce que l'ouverture de la faillite rend exigible à l'égard du failli seulement les dettes non échues, et je serais, moi, pour le système de la commission, pour l'amendement tel qu'il est, pour l'article primitif.

M. Gouin. Toutes les fois que l'on adopte un article de loi, il est de la plus grande importance de démontrer tout ce dont il est susceptible et de ne laisser aucune incertitude sur son interprétation. Lorsque la commission, en rédigeant l'article 448, que nous discutons en ce moment, s'est abstenue de reproduire la seconde disposition que renferme ce même article, dans le Code actuel, elle a sans doute eu une intention; a-t-elle voulu par là annuler les articles 120, 163?

Il faut alors le dire nettement et demander le rapport de ces deux articles; car si on ne le fait pas, il y aura contradiction manifeste dans la loi. Effectivement, si l'article 163 subsiste, quel sera alors le sens de l'article 448, puisque toutes les fois que l'accepteur sera en faillite, on pourra, en vertu de l'article 143, faire protester, et demander immédiatement aux endosseurs le remboursement de la lettre de change, quoique non échue. La rédaction primitive proposée par la commission est donc incomplète elle aurait pour résultat d'embarrasser les tribunaux de commerce dans l'application de la loi.

Quant au fond même de la question, je crois qu'il y a nécessité d'adopter l'amendement de M. Jacques Lefebvre; cet amendement se trouve en harmonie avec tous les principes qui règlent la lettre de change; il lui conserve tous les avantages qu'on a voulu lui assurer.

La lettre de change, telle qu'elle a été conçue, établit entre tous les endosseurs, une solidarité de garantie qui n'existerait plus si l'article primitif de la commission était adopté. Les inconvénients qui ont été signalés contre l'amendement de M. Lefebvre, n'ont pas la gravité qu'on leur prête il ne faut pas s'en effrayer outre mesure, bien que la loi accorde le droit de demander à tous les endosseurs, soit une caution, soit le payement immédiat, on n'en fait généralement usage que quand il y a péril, pour la provision: si l'un des endosseurs offre une garantie suffisante, le porteur de la lettre de change se dispensera alors de faire usage de la latitude qui est accordée. Si nous consultons l'expérience que chacun de nous a su acquérir sur cette matière, nous reconnaîtrons qu'il y a eu jusqu'à présent bien peu de cas où on ait demandé à tous les endosseurs caution ou payement immédiat. On n'a recours à cette voie que lorsque tous les endosseurs paraissent insolvables; mais ce cas est excessivement rare.

Je persiste à soutenir l'amendement de M. Lefebvre; si on le rejetait, l'article primitif de la commission ne pourrait rester tel qu'il est rédigé.

M. Ganneron. La commission avait adopté un principe à la fois large et généreux.

Ce principe reposait, je n'hésite pas à le dire, sur la plus stricte équité et sur l'intérêt général du commerce. Je m'étonne qu'elle l'ait abandonné, et je demande à la Chambre la permission de le reprendre; peu de mots me suffiront pour lui prouver que si elle tient sérieusement à faire des améliorations au Code de commerce, qui, quoi qu'on ait pu dire, contient de nombreuses imperfections, elle n'hésitera pas à consacrer ce principe:

36

Il y a dans une lettre de change, comme dans toute obligation de payer, deux conditions principales :

La somme à payer.

Le terme du payement.

Ces conditions sont tellement distinctes, que bien qu'une dette soit reconnue, lorsqu'on a terme pour la payer, on dit avec raison que celui qui a terme ne doit rien.

La sécurité du commerce exige que ces deux conditions soient fidèlement accomplies; leur exécution est surtout de rigueur en matière de lettre de change ou de billet à ordre, qui sont considérés comme la monnaie du commerce, car dans le commerce on a toujours à recevoir ou à payer; c'est en ces deux actes que se résument toutes les opérations.

Mais s'il y a intérêt à exiger rigoureusement l'accomplissement de ces deux conditions, peut-on dire qu'il y ait nécessité d'exiger plus, je ne le pense pas; je vais plus loin, je dis qu'il y a injustice à le demander.

Celui qui prend une lettre de change doit, en effet, compter sur son payement à l'échéance; il doit y compter, puisqu'il peut avoir lui-même à payer mais lorsqu'il a pris le soin de stipuler le terme, pourquoi la loi ferait-elle plus pour lui qu'il n'a fait lui-même? pourquoi rapprocherait-elle son payement?

D'un autre côté, celui qui contracte l'obligation de payer une lettre de change, doit se mettre en mesure de l'acquitter à son échéance; mais pourquoi lui imposerait-on le devoir de payer plus tôt qu'il ne l'avait prévu? Pourquoi fui imposerait-on le devoir d'avoir constamment chez lui des fonds en réserve pour une dette qu'il ne devra qu'à terme?

Mais, dit-on, lorsque l'un de ceux qui ont concouru à la confection cu à l'émission d'une lettre de change vient à faillir, il faut bien que ceux qui sont solidaires avec lui payent en son lieu et place. Je le comprends, je pense qu'il est effectivement nécessaire qu'ils remplissent un engagement auquel ils ont concouru, et dont ils ont profité. Mais pourquoi ne les laisserait-on pas jouir du terme qu'ils avaient stipulé, pourquoi les punir d'une faute qu'ils n'ont pas commise? Ils avaient contracté une obligation de payer, et ils devront la payer; mais cette obligation était à terme, pourquoi changer cette seconde condition?

La sécurité du commerce l'exige-t-elle? Non, car celui qui a reçu la lettre de change n'a dû compter sur son payement qu'à l'échéance; pourquoi donc lui faire un avantage sur lequel il n'avait pas compté, et lui faire avantage au détriment d'un autre qui ne le devrait pas prévoir?

Et, remarquez-le bien, le terme ne change pas la nature de l'obligation, elle ne l'altère pas; car Vous savez qu'aux termes de l'article 1201 du Code civil, l'obligation peut être solidaire, quoique l'un des debiteurs soit obligé différemment de l'autre.

Mais, dit-on, le porteur ne peut plus négocier; mais est-ce de la faute de l'un des endosseurs si le souscripteur manque à ses payements? N'est-ce pas assez pour lui d'être forcé de figurer dans une faillite, sans être obligé de rembourser avant le temps stipulé? L'endosseur pourra-t-il lui-même négocier plus tôt que le porteur? Ils sont soumis au même dommage, ils ne doivent pas être traités différemment.

Ainsi, en consultant les règles de l'équité, je dis que celui qui a terme ne doit rien, je dis que

celui qui souscrit une lettre de change payable à terme, ne doit pas la payer avant le terme, je dis enfin que celui qui a consenti à ne recevoir que dans un délai déterminé, ne doit pas profiter d'un malheur pour recevoir plus tôt qu'il ne l'avait lui-même stipulé.

Après avoir ainsi établi qu'il y a justice à changer une disposition légale qui donne à l'un plus qu'il ne devait espérer et qui punit l'autre d'une faute qui lui est étrangère, il me sera facile de faire voir à la Chambre les avantages qui résulteraient pour le commerce d'un changement de législation.

M. Jacques Laffitte vous a déjà signalé ces avantages; il vous a dit que dans les temps de crises rien n'était plus dangereux pour les commerçants que les payements imprévus ou anticipés; celui qui passe, en effet, une lettre de change ne la passe que dans la confiance qu'elle sera acquittée, il ne la passe souvent que parce qu'il a besoin des fonds qu'elle représente dans sa caisse; que s'il doute de la solvabilité de son tireur ou de son accepteur il peut se mettre en garde pour son échéance, lorsqu'elle est certaine, lorsqu'elle est déterminée, mais si elle ne l'est pas, il est obligé de tenir des capitaux en réserve, et alors ses ressources sont diminuées d'autant, et ses affaires en souffrent.

L'intérêt général du commerce demande donc qu'il y ait de la facilité dans les engagements; il veut qu'il n'y ait rien d'incertain, rien de douteux dans ses relations; la condition suspensive de la faillite de l'un des obligés à la lettre de change lui nuit, il faut donc dans cet intérêt général la supprimer.

Mais, dit-on, vous allez changer, modifier par votre disposition nouvelle les principes posés par les articles 120 et 163 du Code de commerce.

Je ne le pense pas, je vais tâcher de prouver que ces dispositions ne sont pas inconciliables avec la disposition nouvelle.

Les articles 118 et 140 du Code de commerce posent en thèse générale le principe de la solidarité de l'acceptation et du payement à l'échéance.

Ce principe, je le reconnais, je n'y touche pas, seulement j'établis une distinction dans son application, la Chambre va la comprendre de suite:

L'article 120 porte que sur la notification de protêt faute d'acceptation, les endosseurs et les tireurs sont respectivement tenus de donner caution pour assurer le payement de la lettre de change à son échéance ou d'en effectuer le remplacement; cela se conçoit; jusqu'à l'acceptation il n'y a pas de contrat lié avec l'accepteur, c'està-dire avec le principal obligé; le porteur ne doit pas être plus lié que lui.

Lorsque celui qui est désigné comme accepteur déclare qu'il n'a pas les fonds et qu'il n'acceptera pas, il est évident que le porteur doit avoir le droit de s'adresser au tireur ou à ses endosseurs, et de leur dire celui que vous m'avez indiqué comme devant payer ne veut pas contracter l'engagement de le faire payez-moi.

:

lci, je le répète, il n'y a pas de contrat lié avec l'accepteur, et comme il demeure lié avec les autres, il faut bien donner au porteur le droit d'exercer son recours contre eux.

C'est dans cette même pensée que l'article 163 avait été conçu et qu'il portait, qu'en cas de faillite de l'accepteur, le porteur pouvait faire pro

tester et exercer son recours.

Mais déjà cet article a été modifié, car il a restreint le droit de recours au droit d'exiger caution. Il n'y a donc aucune bonne raison de

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