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CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. PELET (DE LA LOZÈRE), VICE-PRESIDENT.

Séance du jeudi 22 janvier 1835.

A une heure et demie, la séance est ouverte. M. Piscatory, l'un des secrétaires, lit le procès-verbal de la séance du mercredi 21 janvier dont la rédaction est adoptée.

Il fait hommage à la Chambre d'un ouvrage intitulé :

Constitution de l'industrie, et organisation pratique du commerce et du travail, ou tentative d'un fabricant de Lyon pour terminer d'une manière définitive la tourmente sociale, offert par l'auteur M. Derrion.

(La Chambre en ordonne la mention au procèsverbal et le dépôt en sa bibliothèque.)

M. le Président. La parole est à M. Lacroix pour une vérification de pouvoirs.

Lozère.-M. Lacroix, rapporteur du 1er bureau. Messieurs, le collège d'Uzès, département de la Lozère, a nommé pour député M. Camille Périer, ancien député. Sur 192 votants, M. Camille Périer a réuni 135 suffrages. Les opérations ont paru régulières; M. Camille Périer justifie de son âge et du cens d'éligibilité. Le 1er bureau m'a chargé de vous proposer son admission.

(M. Camille Périer est admis et prête serment.) M. le Président. La parole est à M. Ganneron pour le dépôt d'un rapport.

M. Ganneron, rapporteur. Une commission m'a chargé de faire un rapport sur une proposition de loi tendant à modifier l'article 619 du Code de commerce, relatif à la formation des listes des notables commerçants. Si la Chambre le trouve bon, je déposerai ce rapport sur le bureau, afin de ne pas abuser de ses moments. (Marques nombreuses d'assentiment.)

Une voix à gauche Il vaut mieux lire le rapport.

M. le Président. S'il n'y a pas de réclamation, le rapport sera déposé, et ensuite imprimé et distribué.

:

La même voix Il y a réclamation, au contraire, puisqu'on demande la lecture.

De toutes parts: Non! non!

(M. Ganneron dépose son rapport sur le bureau.) (1)

M. le Président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi de M. Anisson-Duperron, sur le défrichement des bois et forêts. La Chambre est parvenue à l'article 222 du Code forestier; elle a rejeté hier les amendements qui avaient été proposés relativement à la ligne de défense militaire et aux bois nécessaires pour la marine. Il reste l'amendement de M. Véjux relativement aux considérations d'intérêt public, cet amendement est ainsi conçu : L'opposition ne pourra être motivée que sur des considérations d'intérêt public, telle que la nécessité :

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(1) Voy. ci-après ce rapport, p. 81, Annexe à la séance de la Chambre des députés du jeudi 22 janvier 1835.

« Du soutènement des terres;

«De l'aliénation des sources qui fournissent l'eau nécessaire aux habitants d'une commune, village ou hameau;

De la défense contre les sables ou vents de la mer, les torrents et les avalanches;

« Et autres cas analogues.

« L'opposition sera suspensive. »

La parole est à M. Véjux.

M. Véjux. Messieurs, deux idées servent de base à la proposition qui vous est soumise. La liberté est accordée aux propriétaires de forêts de les défricher; mais cette liberté est restreinte par 6 cas seulement.

Cet article est beaucoup trop restrictif, et par lui-même excessivement dangereux. Il est dangereux principalement pour l'agriculture, que la commission a pour but cependant de protéger. Il nuit à l'agriculture, pour laquelle cependant la commission annonce avoir fait sa proposition.

Messieurs, on m'a sommé hier d'avoir à fournir d'autres cas que les 6 cas spéciaux qui ont été présentés; mais, en examinant la question, on voit qu'il importait peu que je présentasse ou que je ne présentasse pas d'autres cas spéciaux; car, en matière semblable, c'est seulement dans l'exécution, c'est seulement par la pratique qu'une pareille loi peut être éprouvée. Si l'on avait la prétention de tout prévoir, nous verrions que cette prétention a souvent échoué; et en portant ses regards en arrière, en examinant l'immense quantité de lois qui ont été faites depuis 40 ans, on verrait qu'un grand nombre de ces lois ont eu la prétention de tout prévoir, et que fort peu ont été approuvées par le temps.

On a prétendu que l'alimentation des sources destinées à procurer de l'eau à des communes méritait seule l'attention de la loi. Eh bien! en examinant cette question de la même manière que la commission, on serait forcé de convenir que d'autres sources que celles qui servent à alimenter des communes méritent aussi l'attention du législateur.

En effet, Messieurs, qu'une source fournisse de l'eau aux habitants d'une commune, elle est sans doute fort intéressante; mais si une source fournit de l'eau ou sert d'irrigation à une vaste prairie, si elle sert à fertiliser une vallée tout entière, si ses eaux servent également à alimenter des usines, je ne vois pas qu'il soit possible de la négliger; je ne vois pas qu'il soit possible, comme la commission le propose, de décider qu'il n'y ait que ces 6 cas spéciaux qui méritent l'attention de la Chambre et de la loi.

Eh bien! Messieurs, si, comme la commission l'admet, si, à partir des termes mêmes de la commission, le défrichement de certaines forêts peut nuire à l'alimentation de sources indispensables à l'agriculture, il est évident qu'en procédant au défrichement de ces forêts, on porterait une grave atteinte aux intérêts de l'agricul

ture.

Si l'on envisageait la question sous un autre point de vue, s'il s'agissait même d'une des sources respectées par la commission, telle commune qui à 2, 3, 400 âmes aujourd'hui, peut voir sa population augmenter d'un instant à l'autre; dans ce cas, ses eaux ne suffiront plus à ses besoins, et les sources qu'elle employait à des irrigations deviendront indispensables aux besoins de ses habitants.

Sous un autre rapport encore, Messieurs, l'article est beaucoup trop restrictif. Si, par exemple, il s'agit de sources employées au roulement d'usines, d'établissements industriels, eh bien ! dans ces cas, pour un intérêt très restreint, pour l'intérêt d'un seul individu, d'une seule propriété plus ou moins étendue, on compromettra par leur desséchement ou même par la diminution de leurs eaux, de graves intérêts, des intérêts très multipliés.

Messieurs, si l'on compare le sol occupé par des forêts qu'il s'agirait de défricher, avec le sol qui pourra être privé de fécondité et de fertilisation par la privation des eaux, on verra que presque toujours les forêts, du défrichement desquelles il s'agira, occupent des terrains peu fertiles, des hauteurs, des montagnes, tandis qu'au contraire les plaines qui leur seraient sacrifiées sont d'une valeur beaucoup supérieure.

Il est encore d'autres considérations sur lesquelles il est absolument nécessaire d'insister. Une forêt, une montagne boisée n'a pas seulement pour effet de fertiliser les terres par l'emploi des sources, mais encore il est certain qu'une montagne boisée peut condenser les vapeurs de la plaine, et qu'ainsi, sans même qu'elles produisent des sources, les campagnes voisines sont arrosées par la résolution de ces vapeurs et par leur conversion en pluie.

Messieurs, on a fait différentes objections, auxquelles je crois devoir répondre. On a prétendu d'abord que mon amendement était trop vague, qu'il était, pour ainsi dire, suivi d'et calera; que ce n'était pas ainsi que le législateur devait s'exprimer. Le législateur ne peut poser que des règles générales, il ne peut pas poser des cas spéciaux, il ne peut prévoir que ce qui a lieu en général. On a fait une autre objection on a prétendu, et c'est l'honorable M. de Tracy, qu'il était difficile d'établir les relations qu'il pouvait y avoir entre le défrichement d'une forêt et les sources qui sont au bas de cette forêt.

Il faut raisonner d'après les cas qui se présentent ordinairement, et non pas d'après des cas fort rares. En général, si une source est au pied d'une montagne, si elle est sur ses flancs, on pourra dire, presque avec certitude, qu'elle est le résultat des eaux qui tombent sur son sommet, et souvent il sera aisé de s'en convaincre. Qu'un orage éclate tout à coup, on verra que, peu de temps après, les eaux de cette source perdront de leur limpidité, et seront troublées. On verra l'effet immédiat des pluies qui sont tombées sur la montagne.

On a fait encore une autre objection, la plus spécieuse et la plus saillante de celles qui ont été présentées. Elle se trouve dans le rapport de la commission. On a dit que la loi avait considéré la liberté de défrichement comme règle générale, qu'elle l'avait posée en principe, et que les exceptions devaient être restreintes; que dès lors on avait dù réduire l'opposition à un petit nombre de cas. Mais les exceptions que je propose d'y joindre sont d'une nature fort grave, et méritent toute votre attention. Elles sont tirées de l'intérêt public. Il s'agit de la prospérité agricole et industrielle, il s'agit de la prospérité publique, opposée à la liberté de défrichement.

En examinant encore la question sous un autre point de vue, on voit qu'il s'agira presque toujours d'intérêts isolés, en opposition avec l'intérêt général. On verra qu'en empêchant le défriche

ment, sans compromettre d'une manière fâcheuse les intérêts des propriétaires de bois, on respectera ceux du plus grand nombre. Enfin, il est une considération qui a déjà été présentée par M. de Ladoucette : c'est qu'il faut empêcher la destruction des forêts.

Messieurs, en France jusqu'ici on s'est fort peu occupé de l'intérêt des masses; et cependant ces intérêts sont sacrés, ils méritent une grande attention. Il est de la plus haute importance que le combustible ne s'élève pas à des prix trop élevés, c'est un des moyens de production des plus précieux pour toute espèce d'industrie. Telles sont, Messieurs, les considérations qui me déterminent à soutenir l'amendement que je vous ai proposé.

M. Lherbette (de sa place). Je vous demande à faire une observation.

M. le Président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gillon (Jean-Landry), rapporteur. Messieurs, l'amendement qui vous est proposé, fait véritablement tout le corps et l'esprit de la loi. Si l'amendement est accepté, je déclare, au nom de la commission, qu'il faut mettre une boule noire contre la loi; car l'ordre de choses actuel vaut beaucoup mieux incontestablement le Code forestier est préférable à l'amendement proposé.

M. Teste. Je demande la parole.

M. Gillon (Jean-Landry), rapporteur. En effet, quelle serait la conséquence de cet amendement? de laisser le pouvoir le plus entier, le plus absolu à l'autorité, qui sera chargée de juger les questions de défrichement. Si vous voulez laisser l'autorité discrétionnaire, capricieuse, vous en êtes maîtres mais voilà les conséquences de l'amendement.

:

Maintenant voyons quelle utilité on prétend y trouver. On dit à la commission: Vous avez voulu préciser les cas où le défrichement doit être interdit, votre prévoyance ne s'est pas portée sur toutes les nécessités; et en effet, dit-on, nous allons citer deux cas où le défrichement doit être empêché, et cependant ils ne sont pas prévus par là loi.

Je réponds à l'orateur de l'amendement que ces deux cas ont été tellement prévus par la commission, qu'ils ont été examinés, discutés et jugés par elle. Il suffit pour s'en convaincre de porter les yeux sur la page 21 du rapport.

On vous dit: S'il est raisonnable de penser qu'une source soit alimentée par une forêt, et que cette source serve ou à fertiliser une prairie ou à imprimer le mouvement à une usine, pourquoi une pareille source ne devrait-elle pas être conservée? pourquoi ne devrait-on pas imposer à la forêt l'obligation de rester debout pour alimenter la source?

Nous répondons qu'il ne s'agit pas là d'un cas d'utilité ni de nécssité publique; il s'agit là d'un cas d'utilité purement privée. Et, en effet, le propriétaire de l'usine a certainement intérêt à la conservation de la source; son intérêt est privė, individuel, personnel. Mais nous demandons en vertu de quel droit préexistant vous assujettiriez la forêt à la nécessité de demeurer sur le sol, et cela dans l'intérêt privé du propriétaire de l'usine? Cette exigence serait d'autant plus raisonnable, dit-on, que l'usine ne profite pas seulement au propriétaire, mais que c'est surtout au pays où elle est située qu'elle est utile. Vous

le voyez, Messieurs, je prends l'objection dans toute sa force nous ne considérons pas seulement l'intérêt du propriétaire de l'usine; mais nous considérons l'intérêt public, c'est-à-dire l'utilité dont l'usine est pour le pays, où elle attire et entretient un grand nombre d'ouvriers. Vous allez nuire, nous dit-on, à l'intérêt public en permettant le défrichement.

Nous répondons que si cela était vrai, et en poussant l'argument jusqu'à ses conséquences les plus naturelles, il faudrait donc dire que les usines devraient être maintenues envers et contre tous; et cependant tous les jours des usines sont fermées, ou par la nécessité, par l'absence de succès, par le défaut de capitaux suffisants, ou même par la volonté et le caprice du propriétaire. Ainsi, on s'est plaint dans beaucoup de départements que les moulins à eau, si nécessaires au pays, étaient abandonnés, étaient convertis en fabriques, en manufactures; et on voulait assujettir les propriétaires de moulins à les maintenir dans leur destination actuelle, parce que l'utilité publique l'exigeait. On a répondu que les moulins étaient une propriété privée, et qu'il était libre au propriétaire d'en disposer.

Eh bien! nous répondons que les usines mises en mouvement par des sources sont aussi des propriétés privées.

Mais un moyen plus décisif encore, c'est qu'en supposant même que vous n'accordiez pas le droit de défricher, aujourd'hui le Code civil permettrait au propriétaire de la forêt de priver des eaux de la source, soit l'usine qui s'en alimente, soit la prairie qui en est fertilisée.

Et pour s'en convaincre il suffit de lire l'article 641 du Code civil, où l'on voit que le propriétaire d'une source est toujours le maître de priver de ses eaux les propriétaires du voisinage, à moins que ceux-ci n'aient acquis des droits à la propriété de ces eaux, soit par la prescription, soit par un titre positif. Eh bien donc, le caprice seul du maître d'une forêt peut changer le cours d'une source, et pour conserver cette source vous empêcheriez le propriétaire de la forêt de l'abattre!

Enfin nous dirons pour dernière objection que rien au monde n'est plus douteux que l'influence des forêts sur la formation et l'alimentation des sources; et cependant nous avons voulu aussi prendre en sérieuse considération les préjugés et les préventions; et quand nous avons vu qu'une source était nécessaire à l'alimentation des habitants d'un village, dans un cas spécial qui était tout d'humanité, nous avons accordé la conservation de la forêt. Dans le doute, nous avons décidé pour les habitants; mais nous n'avons pas cru devoir le faire dans des intérêts privés.

Messieurs, en repoussant l'amendement, je prie la Chambre de maintenir les dispositions adoptées par la commission. La Chambre voudra bien remarquer que la commission a été plus loin que l'auteur de la proposition; elle a prévu les cas d'empêchement de défrichements plus nombreux; elle a satisfait à tous les scrupules raisonnables sur la conservation des forêts, sur leur utilité; elle a répondu à tous les doutes sérieux qui pourraient s'offrir. Par ces motifs, nous repoussons l'amendement.

M. le Président. La parole est à M. Teste.

M. Teste. Messieurs, la commission vient de vous déclarer, par l'organe de son rapporteur,

qu'elle se sépare de son projet si l'amendement trouve grâce auprès de vous.

Je crois que cela ne change rien du tout au mérite de l'amendement, et que la Chambre ne fera pas difficulté de l'admettre, s'il lui paraît utile.

Dans un conseil formé des plus fortes têtes du pays, dans le conseil d'Etat, en 1803, on s'occupa des circonstances extraordinaires où il y aurait nécessité d'admettre la preuve par témoins des naissances, des mariages et des décès. On sentait cependant que ces cas devaient être infiniment rares, et l'on inclinait à disposer que

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la preuve par témoins en matière d'actes de l'état civil ne pourrait être admise que lorsqu'il n'existerait pas de registres de l'état civil, ou lorsque ces registres auront été perdus. »>

Tout en reconnaissant qu'il fallait apporter beaucoup de réserve à admettre la preuve testimoniale, qui est si dangereuse, on eut alors la sagesse de prévoir qu'il pourrait se rencontrer des nécessités impossibles à prévoir et à définir, où il ne serait pas moins convenable et juste d'ouvrir la carrière à la preuve testimoniale; et l'article 46 du Code civil sortit de la discussion conçue en termes non prohibitifs.

Depuis lors la jurisprudence fait foi qu'il s'est rencontré des cas identiques autres que l'inexistence des registres, autres que leur perte par force majeure, où la preuve testimoniale des naissances, des décès et des mariages doit être admise.

Lorsque dans le même conseil d'Etat on discuta dans le Code de procédure civile les articles qui avaient trait aux reproches et à la récusation des témoins, on rassembla tout ce que l'expérience des temps anciens, tout ce que la jurisprudence moderne avait révélé de causes de reproches. On en fit l'énumération, et l'on demanda s'il pouvait se présenter d'autres causes. On sentit qu'il pouvait s'en présenter, et précédemment encore l'article 283 du Code de procédure civile disposa en termes non prohibitifs :

« Pourront être reprochés ceux qui, etc. >>

Puis vint la nomenclature; mais on se garda bien, Messieurs, d'enchaîner l'avenir, on laissa à la sagesse des tribunaux le soin de discerner les différents cas d'une valeur égale où les reproches devaient être admis. Voilà comment la sagesse, en matière de législation, procède.

Que veut votre commission? Elle s'éloigne de ces rudiments pourtant fort respectables; elle veut que les oppositions au défrichement ne puissent être formées que dans un certain nombre de cas qu'elle définit. Elle a, comme vous le voyez, plus d'ambition que n'en ont eu les auteurs du Code civil et du Code de procédure civile. Je ne lui en fais pas un blâme, et cependant je serais tenté de lui reprocher quelque impression. Quand on veut procéder par énumération restrictive, encore faut-il se donner le mérite de la prévision, encore faut-il que les cas dans lesquels on veut renfermer la restriction soient tracés de manière à ne pas prêter à l'équivoque et à l'arbitraire.

La commission a-t-elle obtenu cet avantage? Elle dit que l'opposition ne pourra être motivée que sur des considérations tirées de la nécessité de l'alimentation des sources, du soutènement des terres, de la chute des avalanches, de l'invasion des sables de la mer; mais rien n'est plus général, rien n'est plus vague que ce qu'on prétend cependant devoir être une restriction.

On trace le cercle, et je ne vois pas les lignes qui le ferment.

Messieurs, il ne faut pas se faire illusion. En cette matière, vous n'avez qu'un moyen d'échapper à l'arbitraire: c'est, ou la liberté illimitee, ou la restriction complète. Choisissez entre les deux régimes: si vous admettez l'arbitraire, prenez seulement soin de l'éclairer, et d'en prévenir l'abus; donnez à l'autorité quelconque qui sera constituée par vous juge des oppositions, des indications et non pas des entraves, des indications qui, au moyen de ce que l'instruction parcourra plusieurs degrés, que les oppositions pourront être soutenues et discutées tant devant les conseils de préfecture que le conseil d'Etat, préviendront les erreurs autant qu'elles peuvent être prévenues dans une carrière si vaste et si épineuse.

Ainsi, Messieurs, d'une part, si vous suspendez la liberté illimitée de défrichement, si, de l'autre, vous repoussez dès à présent le système pleinement restrictif, vous n'avez qu'un parti sage à prendre, vous n'avez que celui de décider que des oppositions ne pourront être formées, sans indiquer quels en seront les motifs; et ces motifs, vous devez les indiquer d'une manière exemplaire sans céder à l'ambition d'aller au delà; vous avez assez de garanties, je le répète, dans le conseil d'arrondissement, dans le conseil de préfecture, et dans le recours au conseil d'Etat.

Mais prétendre aujourd'hui limiter les cas dans lesquels, à l'avenir, un défrichement pourrait être ordonné, je l'avoue, une telle prêtention passe mon intelligence.

Je soutiens donc l'amendement par les raisons que je viens de donner, et surtout par les exemples solennels tirés de notre législation; je soutiens cet amendement, et cependant je dis qu'il faut en faire disparaître les mots : et autres cas analogues. Cette addition d'ailleurs inutile a quelque chose de trop vague; elle conduirait à passer la ligne des exemples. L'amendement se recommande à votre attention; et tandis que l'honorable rapporteur vous disait que la loi disparaît si vous admettez cet amendement, je crois, moi, que la loi ne deviendra exécutable et salutaire qu'autant que l'amendement y aura trouvé place. (Aux voix! aux voix!)

M. Lherbette. Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire. L'honorable M. Teste reconnaît qu'il faut combattre l'arbitraire, et il fournit à l'arbitraire un moyen de s'exercer par le vague de la rédaction de l'amendement. Il est difficile, j'en conviens avec lui, d'admettre un terme moyen entre la liberté et l'arbitraire; c'est pour cela que je voterai la suppression des cas de restriction énoncés dans l'article en discussion. Mais je vote, à plus forte raison, contre la rédaction d'un amendement dont le vague permettrait l'arbitraire pour toutes restrictions, par le motif si large, si indéfini, d'intérêt public.

Une considération devrait faire rejeter toutes restrictions pour la faculté de défricher les bois des particuliers.

Le gouvernement a cette faculté sans réserve, sans entraves. Lorsque fut rendue l'ordonnance de 1669, lorsque vint la loi de 1829, le gouvernement n'avait jamais ni défriché, ni vendu avec autorisation de défricher. Depuis 1829, il fait presque toutes ses ventes avec cette faculté; et voyez quelle est la situation des particuliers qui ne peuvent vendre qu'avec restriction, et le gouvernement. Cela ne crée-t-il pas un véri

table monopole en faveur du gouvernement? Je trouve la proposition de M. AnissonDuperron incomplête, en ce qu'elle eût dû mettre sur la même ligne toutes espèces de bois; accorder pour ceux des particuliers autant de liberté que pour ceux de l'Etat. Mais je trouve encore moins bon un amendement qui laisserait former des oppositions, non sur des motifs déterminés, comme la proposition, mais sur des analogies; car l'analogie, c'est l'arbitraire déguisé. (Aux voix, aux voix!)

M. le président. Je vais donner lecture de l'amendement.

M. Teste. J'ai sous-amendé, en demandant la suppression des mots et autres cas analogues.

M. Charamaule. Le sous-amendement pourrait induire en erreur. Il ne supprime rien; il laisse, dans toute sa latitude, l'arbitraire dont on est effrayé. Il sera toujours possible de s'opposer aux défrichements, et alors tous les cas pourront être allégués. C'est une précaution oratoire pour faire adopter l'amendement. C'est pourquoi je crois qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter au sous-amendement, pas plus qu'à l'amendement en lui-même.

M. Teste. La Chambre sait que je n'ai pas l'habitude de me servir de précautions oratoires. Mon sous-amendement n'en est pas une. J'ai proposé qu'on fit disparaître les mots et autres cas analogues.

L'amendement porte que les oppositions pourront être formées dans tel ou tel cas.

Il faut s'arrêter là maintenant. Laissez aux juridictions quelconques le soin de décider comme elles voudront.

logies. Mon sous-amendement est donc autre Je n'entends pas qu'on aille jusqu'à des anachose qu'une précaution oratoire.

M. Anisson-Duperron. Je demande à faire une observation à la Chambre. Je crois que dans l'intention nous sommes d'accord; pour ma part, je suis d'accord d'intention avec l'honorable M. Teste; mais je crois que si l'amendement était admis, nous serions déjoués dans l'application. S'il me fallait, ainsi qu'on l'a dit, choisir entre la liberté entière et l'arbitraire illimité, mon choix ne serait pas douteux, je voterais pour la liberté. Mais dans la commission nous avons reconnu que cette liberté aurait de graves inconvénients: il a donc fallu la limiter; c'est pour cela que nous avons admis les trois cas. L'honorable M. Teste demande que l'on fasse précéder ces exceptions du mot général intérêt public; je crois que cela serait dangereux dans l'application, parce que l'Administration pourrait abuser de cette définition. Dans l'état actuel, l'autorité publique est investie du droit de restreindre les défrichements par deux motifs : le premier, c'est l'intérêt public qui s'attache à ces grandes considérations adoptées pour base des limitations, considérations météorologiques, physiques et locales; mais un autre ordre de considérations peut se cacher là-dessous, et il faut le découvrir ce sont des intérêts d'ordre privé couverts du voile de l'intérêt général, et dont l'Administration ne doit pas juger.

Ainsi j'ai entre les mains un grand nombre de rejets de demande en défrichement. Eh bien! ces arrêtés portent presque tous sur ces considérations, que les bois sont déjà manquants dans le pays, que si l'on défrichait on manquerait de combustible; ce sont des considérations tirées

des besoins respectifs des producteurs et des consommateurs. Nous avons pensé que le gouvernement ne devait pas intervenir dans ces considérations. Ainsi, ce qui est le plus respectable à nos yeux, les considérations que nous avons admises, sont précisément celles que l'Administration considère le moins. Elle se détermine par d'autres considérations, elle s'interpose entre le propriétaire forestier et le consommateur de bois, entre le propriétaire forestier et les intérêts de l'agriculture, entre les propriétaires de bois et les intérêts de l'industrie.

Tout cela sont des intérêts très respectables, mais qui prennent leur source dans les intérêts privés. Nous n'avons pas voulu que l'intérêt public s'interposât dans cette nature d'intérêts.

Un ancien arrêt du conseil, du 5 juin 1731, défendait de planter aucune vigne dans le royaume sans une permission expresse du roi, sous peine d'une amende de 3,000 livres, etc.; et cela à cause de leur trop grande abondance présumée.

Ailleurs, il a été ordonné de semer un acre de chanvre sur soixante, en faveur des tisserands; toutes les mesures de cette nature sont du même ordre que celle de la restriction des défrichements.

Alors, comme aujourd'hui, on s'interposait entre les producteurs et les consommateurs.

Tout cela prend sa source dans les mêmes motifs. Nous l'avons pensé mauvais et nous avons voulu y porter remède, pour ce qui est analogue dans la question qui nous occupe.

Si vous étiez décidés, Messieurs, à admettre l'amendement qui vous est proposé, il faudrait donner des indemnités en faveur des propriétaires exclus du défrichement.

Je vote contre l'amendement.

M. le Président. L'amendement de M. Véjux sous-amendé par M. Teste est-il appuyé? (Oui, oui!)

(L'amendement, mis aux voix, n'est pas adopté.) (La discussion est interrompue.)

M. le Président. M. de Rémusat a la parole pour une vérification de pouvoirs.

Haute-Garonne. M. de Rémusat, rapporteur du 8 bureau. Dans la séance du 19 janvier, la Chambre a ajourné l'admission de M. le duc de Fitz-James, député de la Haute-Garonne, parce qu'il ne justifiait pas de la possession annale de l'immeuble sur lequel il fait reposer son éligibilité. Aujourd'hui, M. le duc de FitzJames justifie de sa possession depuis 1821. Le 8e bureau a l'honneur de vous proposer son admission.

M. le Président. Il n'y a pas de réclamation ?... M. le duc de Fitz-James est admis comme membre de la Chambre.

M. de Fitz-James est-il présent? j vais lire la formule du serment.

(M. de Fitz-James, placé à l'extrémité du côté droit, se lève et prête serment.)

(Mouvement prolongé dans l'Assemblée.) (La discussion de la proposition de loi sur le défrichement des bois et forêts est reprise.)

M. Lherbette. J'adresserai une question à la commission. Un article déjà voté dit qu'à partir de la promulgation de la présente loi les particuliers ne pourront plus défricher leurs bois, que sauf quelques dispositions dont nous nous occupons maintenant. Il me paraît évident, d'après

les principes généraux, que ces dispositions ne s'appliquent pas aux bois qui ont été vendus par le gouvernement, bien qu'ils soient devenus alors bois particuliers. Mais une déclaration positive sera nécessaire, et je la demanderai à la commission.

M. Gillon (Jean-Landry), rapporteur (de sa place). La réponse est fort simple. Cette loi, comme toutes les lois, n'a pas d'effet rétroactif; si elle est promulguée dans un mois, il est incontestable que les particuliers qui ont acheté avec la clause facultative de défricher ont le droit de faire le défrichement; de pareils contrats doivent recevoir leur exécution, autrement la loi aurait un effet rétroactif, c'est-à-dire de toutes les conséquences la moins tolérable.

M. Teste. C'est mal entendre l'effet rétroactif. Le gouvernement a vendu des bois; il a stipulé avec la faculté de défricher, cette faculté n'a pas été exercée; une loi survient, elle frappe les adjudications, il n'y a pas là d'effet rétroactif. (Réclamations diverses.)

M. Gillon (Jean-Landry), rapporteur. Une simple observation! Remarquez bien... (Bruit.) Je n'ai qu'un seul mot à dire.

Plusieurs voix: On n'entend pas.

M. Gillon (Jean-Landry), rapporteur. Ecoutez, Messieurs, et vous entendrez.

Voix diverses: A la tribune!

M. Gillon (Jean-Landry), rapporteur (à la tribune). Remarquez, je vous prie, que jusqu'alors, et d'après l'article 219 du Code forestier, le gouvernement seul est juge des questions de défrichement.L'Administration instruisait la demande, l'admettait ou la rejetait. Eh bien! quand le gouvernement a mis en adjudication une partie de ses bois, ce qu'on doit supposer, c'est qu'il a examiné s'il y avait avantage ou inconvénient à permettre le défrichement; il a donc commencé par déclarer qu'il n'y avait pas d'inconvénient à défricher, et il a vendu sous la foi de la faculté du défrichement; je le répète, ce serait de toutes les violations la plus flagrante que de refuser ensuite l'autorisation de défrichement. Ce serait manquer effrontément à la foi jurée, et c'est l'autorité publique qui donnerait ce scandale!

M. le général Demarçay. Messieurs, je monte à la tribune pour parler dans le même sens que M. le rapporteur, et vous faire remarquer un cas analogue qui n'a pas été prévu. L'opinion de l'honorable M. Teste, quoique je ne sois nullement jusrisconsulte, me parait renverser toute idée de législation et de propriété, et je serais presque tenté de croire qu'il ne s'est pas rappelé la loi forestière sous laquelle nous vivons. Cette loi est la liberté de défrichement; elle n'a admis qu'une exception à la libre volonté du propriétaire pendant 20 ans seulement: elle a dit que le gouvernement, en remplissant certaine formalité, accorderait la faculté de défricher; et s'il a eu le droit d'accorder cette faculté pour les forêts qu'il a vendues, on a légalement contracté, on a contracté sous l'empire de la législation existante; conséquemment ce serait un effet rétroactif donné à la loi, une violation flagrante, que de l'entendre comme l'honorable M. Teste l'a entendu.

Mais il y a d'autres cas. Indépendamment des particuliers qui ont acheté des bois de l'Etat, il y a, conformément à la loi, des particuliers qui ont obtenu la faculté de défricher et qui ne

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