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dit précédemment sur l'article 2103, § 2.

ART. 2115. Toutes créances privilégiées soumises à la formalité de l'inscription, à l'égard desquelles les conditions ci-dessus prescrites pour conserver le privilége n'ont pas été accomplies, ne cessent pas néanmoins d'être hypothécaires; mais l'hypothèque ne date, à l'égard des tiers, que de l'époque des inscriptions, qui auront dú élre faites ainsi qu'il sera ci-après expliqué.

I. Cet article consacre un grand principe: c'est que le privilége emporte toujours avec lui une hypothèque dont on peut subsidiairement faire usage. Un créancier privilégié, en effet,a-t-il manqué d'accomplir les formalités imposées par la loi pour conserver son privilége; il lui reste toujours une hypothèque légale, à l'aide de laquelle il peut prendre rang parmi les créanciers hypothécaires. Ainsi les cohéritiers, s'ils n'ont pas requis inscription dans les soixante jours; les créanciers et légataires, s'ils n'ont pas accompli cette formalité dans les six mois; peuvent toujours profiter de l'hypothèque, et prendre rang du jour de leur inscription.

II. A la vérité, on a élevé des difficultés pour les créanciers de la succession; on a prétendu que le décès de leur débiteur ne pouvait pas changer leur état, et que, de créanciers chirographaires qu'ils étaient, ils ne pouvaient devenir par cela seul hypothécaires : mais c'est là une erreur. Sans doute que, relativement aux autres créanciers du défunt, leur état ne peut pas changer; ils ne peuvent acquérir d'hypothèque qu'en se conformant aux conditions prescrites par la loi : mais relativement aux créanciers personnels de l'héritier, ils sont devenus créanciers privilégiés, et par suite hypothécaires, puis

qu'il est généralement reconnu que le privilége renferme une hypothèque dont on peut faire usage lorsque le privilége n'existe déjà plus.

art. 2113 ne peuvent pas laisser d'équiEn second lieu, les termes de notre voque : Toutes créances privilégiées, y est il-dit, soumises à la formalité de l'inscription... ne cessent pas néanmoins d'être hypothécaires, etc. Les droits des créanciers du défunt sont mis au rang des créanciers privilégiés par l'article 2111 : ils doivent donc se prévaloir de l'hypothèque qui est inséparable du privilége, puisque cet article 2113 attache ce droit à toutes créances privilégiées, sans distinction.

III. Quant au privilége du vendeur, du bailleur de fonds, des architectes, il ne peut jamais se convertir en simple hypothèque, puisque la loi ne leur fixe aucun délai pour requérir la transcription, et que, par conséquent, ils sont toujours à temps de le rendre public. C'est ce que nous avons particulièrement démontré à l'égard du vendeur, en établissant, dans la deuxième édition de nos Questions sur les Priviléges et Hypothèques, qu'après avoir laissé périmer l'inscription d'office, il pouvait, par une inscription ultérieure, conserver encore son privilége.

IV. Le privilége ainsi converti en hypothèque, doit aussi être inscrit ; et il ne prend de rang que du jour où on a accompli cette formalité; mais il faut prendre garde que, l'hypothèque de ces anciens priviléges étant purement légale, ils n'ont pas besoin de représenter d'acte authentique pour faire faire l'inscription; il leur suffira de prouver qu'ils sont cohéritiers, créanciers ou légataires, pour que le conservateur doive effectuer l'inscription.

CHAPITRE III.

Des hypothèques.

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I. L'HYPOTHÈQUE est un droit réel, jus in re, mais différent de celui que donne la propriété. Ce dernier transmet à l'acquéreur la possession de la chose; tandis que l'hypothèque, laissant au débiteur la jouissance de l'immeuble engagé, ne donne au créancier que le droit de le faire vendre à défaut de paiement, et de se faire colloquer pour ce qui peut lui être dů. Ce droit réel, que transmet l'hypothèque, n'est donc autre chose qu'une affectation subordonnée au défaut de paiement, mais tellement inhérente au fonds qui en est grevé, qu'elle le fait considérer comme obligé à l'acquittement de la dette, et qu'elle le suit en quelques mains qu'il passe.

L'hypothèque a des rapports avec le contrat de nantissement. Tous deux sont la garantie du créancier. Mais il y a entre eux cette différence essentielle, que le nantissement met le créancier en possession du gage et lui donne les fruits pour les appliquer à sa créance, tandis que l'hypothèque laisse l'immeuble aux mains du propriétaire, qui le gère comme il l'entend, toutefois sous l'affectation des charges qui le grèvent.

Fidejussor et præcedere obligationem et sequi potest. Inst. § 3, de Fidj. Vinnius, sur ce paragraphe, ajoute: Sed ità tamen, ut præcedens fidejussoris obligatio, tùm demum vires capiat, cùm et principalis obligatio cujus illa accessio

II. La destination de l'hypothèque doit faire regarder le droit qui en résulte comme un droit accessoire, toujours attaché au sort d'une obligation principale dont il garantit l'exécution, mais qu'il peut précéder. A la vérité, dans ce cas, l'hypothèque n'a de force et ne peut être inscrite que du jour où l'obligation pour laquelle elle aurait été donnée, serait réellement contractée.

III. Ce principe, dont l'exactitude est reconnue de tout le monde, éprouve cependant quelques difficultés dans son application; il en éprouve notamment dans l'hypothèse que nous allons rapporter.

Un banquier ouvre un crédit à l'un de ses correspondans jusqu'à concurrence d'une somme qu'il détermine mais il exige de lui une hypothèque que celui-ci consent. Ce banquier prend son inscription sur le champ, et avant d'avoir réellement fourni aucune portion de la somme qu'il a mise à la disposition de son correspondant; ce qui, après la faillite de ce dernier, engage ses autres créanciers à critiquer cette hypothèque. Ils soutiennent qu'il n'y avait réellement pas d'obligation principale de la part du correspondant tant qu'il n'avait pas reçu d'argent et usé du crédit que lui avait ouvert son banquier; que cette obligation ne peut naitre que du jour où, puisant dans la caisse de ce dernier, il devient réellement son débiteur, et contracte l'engagement de lui restituer les sommes qu'il en a reçues; que, suivant les principes que nous

est, constituta est. Nous avons pensé qu'on devait appliquer à l'hypothèque ce que ce para graphe établit pour le cautionnement. (V. I. 5, ff. de Pign. et Hyp.)

avons retracés il n'y a qu'un instant, l'hypothèque peut à la vérité se rattacher à cette obligation, mais qu'elle n'a de force, de rang, que du jour du prêt effectif, du moment où l'engagement a été définitivement consommé par la réalisation du crédit; que le décider autrement, ce serait renverser le système hypothécaire actuel, qui n'admet pas toutes les incertitudes dans lesquelles jeterait nécessairement cette opinion. On a voulu que les personnes qui contracteraient avec le débiteur pussent voir d'un coup d'œil toutes les charges qui grevaient ces immeubles; ce qui serait impraticable si, par une funeste rétroactivité, on faisait remonter l'hypothèque au jour où l'obligation principale n'existait

pas encore.

Ces raisons, bien fortes sans doute, nous paraissent toutefois susceptibles d'une réfutation complète : elles reposent sur cette fausse supposition, que le correspondant n'est pas engagé avant la réalisation effective du crédit.

Mais c'est là une erreur palpable. Il y a, dès le jour même de la convention, une obligation de la part du correspondant, conditionnelle si l'on veut, mais qui n'en est pas moins une obligation à laquelle l'hypothèque peut se rattacher, de restituer les sommes qu'il prendra dans la caisse, et de payer les indemnités d'usage pour la mise perpétuelle des fonds a sa disposition. Cette double obligation résulte de la convention des parties et de la tradition fictive que le banquier est censé faire à son correspondant, des fonds que celui-ci est également censé avoir déposés, dès le jour même, dans la caisse de son banquier, pour s'en servir à sa volonté et suivant ses besoins s'il ne s'en sert pas, il n'en devra pas moins au banquier les indemnités d'usage pour la mise des fonds à sa disposition.

Ainsi, il y a obligation de la part du correspondant, et c'est ce que nous avons plus amplement prouvé dans nos Questions sur les Priviléges et Hypothèques', c'est aussi ce

1 Tom. 1, liv. 2, chap. 4. 2 Vo Hypothèques, § 3.

qu'a établi l'auteur des Questions de Droit, dans sa deuxième édition 2, dans une espèce à peu près semblable. Il s'agissait d'un manufacturier qui s'était engagé à fabriquer les matières brutes qu'un particulier devait lui fournir, et qui, pour la sûreté de ces matières, avait consenti une hypothèque sur ses biens. Quoique l'on soutint qu'il n'y avait là d'obligation de la part d'aucune des parties, l'auteur décide que l'hypothèque avait été utilement contractée, et qu'elle devait prendre rang du jour de son inscription. Il le déciderait sans doute de la même manière dans l'hypothèse que nous venons de retracer, puisque nous avons démontré qu'il y avait obligation de part et d'autre du jour de la convention. La jurisprudence a d'ailleurs sanctionné cette opinion, ainsi qu'on peut le voir par un arrêt de la Cour de cassation, rapporté au Journal du Palais 3.

IV. La même question s'est élevée à l'égard du mandataire à qui l'on aurait consenti une hypothèque pour sûreté des dépenses qu'il pourrait faire, ou des indemnités qui pourraient lui être dues par suite de son mandat. Pour prouver que cette hypothèque ne peut être utilement inscrite que du jour de ses avances, et de celui où l'on commence à lui devoir des indemnités, on cite un arrêt du parlement de Flandre, qui aurait jugé que l'hypothè que accordée au mandataire ne pouvait pas remonter au jour du mandat.

Máis, pour repousser de suite l'autorité que l'on pourrait accorder à cet arrêt, nous en citerons deux du parlement de Paris, rapportés au Journal des Audiences, qui contredisent formellement celui du parlement de Flandre. Ainsi la jurisprudence serait en faveur du mandataire; il pourrait aussi invoquer des raisons du plus puissant intérêt. C'est d'après la position du mandant à l'époque où il a contracté, que le mandataire s'est déterminé à accepter ses pouvoirs; c'est d'après sa fortune à cette époque, qu'il s'est décidé à faire les dépenses nécessaires : lui refu

3 T. 3 de 1814, p. 209; Dalloz, t. 17, p. 255, édit. Tarlier.

ser l'hypothèque du jour de son inscription, ce serait trahir sa confiance, et laisser au mandant la faculté de le tromper impunément.

V. On voit, par l'art. 2114, qu'il existe maintenant dans l'hypothèque trois caractères distinctifs, la publicité, la spécialité, l'indivisibilité. Nous aurons occasion de parler des deux premiers sur les articles suivans. Quant à l'indivisibilité, les principes en sont renfermés dans cette maxime de droit que tout le monde connaît: Est tota in toto, et tota in quâlibet parte. L'hypothèque, en effet, subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chaque portion de ces immeubles, encore que la dette pour laquelle elle a été contractée soit divisible, et même divisée entre plusieurs débiteurs. Ainsi, pour donner un exemple de l'indivisibilité de l'hypothèque, si nous supposons que le débiteur ait acquitté une partie de la dette, ou qu'après la division entre les héritiers du débiteur, tous les héritiers, à l'exception d'un seul, aient payé leur part, nous verrons que, dans ces deux cas, l'hypothèque subsiste comme si l'on n'avait encore rien payé. De même, si une partie des immeubles hypothéqués avait péri, ou cessait de toute autre manière de pouvoir être regardée comme affectée à la créance, l'hypothèque subsisterait sur les immeubles restant, et le créancier aurait le droit de les faire vendre pour tout ce qui lui serait dû1. L'inflexibilité de ce principe est telle que la cour de cassation a décidé, le 6 mai 1818, que, si un immeublese trouve hypothéqué en totalité au service d'une rente, le créancier a droit de poursuivre le paiement total, contre chaque propriétaire partiel de l'immeuble. Le propriétaire partiel, aux termes de cet arrêt, ne peut exciper de ce que, même par un effet de force majeure, par exemple le fait du gouvernement, il est privé de son recours contre les codébiteurs hypothécaires".

VI. cette indivisibilité de l'hypothèque, dont l'application paraît si facilement se

I Domat, Lois civiles, tit. des Gages et Hypo theques, sect. 1, § 18, l. 19, ff. de Pign.

faire, donne toutefois naissance à quelque difficulté. On a demandé, en premier lieu, quel serait le droit d'un créancier, d'un rentier viager, par exemple, à qui l'on aurait donné hypothèque sur trois immeubles situés dans divers arrondissemens? Aurait-il le droit de se présenter à l'ordre du prix de chacun des immeubles, et de se faire colloquer autant de fois qu'il y a d'immeubles? ou, au contraire, pourrait-on l'exclure de l'ordre des deux derniers immeubles, en lui opposant qu'il a été colloqué sur le prix du premier?

Cette question nous paraît fort difficile D'un côté, l'on peut dire que le rentier n'a consenti à donner ses fonds et à en perdre la propriété, que sous la condition de cette triple hypothèque; que le forcer positivement à restreindre sa garantie, à se contenter d'un seul immeuble, c'est violer la convention, c'est le priver d'un droit sans l'expectative duquel il n'eût pas donné son argent. On ajoutera enfin, qu'aux termes des anciens principes, et particulièrement de la l. 19, ff. de Pignorib. et Hypoth., le créancier qui a reçu plusieurs choses en gage ne peut être contraint à se dessaisir d'aucune, tant qu'il n'est pas entièrement désintéressé: Qui pignori plures res accepit, non cogitur unam liberare, nisi accepto universo, quantum débetur.

D'un autre côté, l'on répond qu'il y aurait de l'injustice à colloquer le rentier autant de fois qu'il y a d'immeubles différens; que ce serait nuire aux créanciers sans lui profiter, puisque, paralysant par là le capital de sa rente dans les mains de chaque acquéreur il conserverait une garantie évidemment surabondante.

Cette dernière opinion, confirmée par un arrêt de la Cour de Paris, rapporté au Journal du Palais, nous semble la plus raisonnable et la plus conforme aux principes. En se présentant au premier ordre, et requérant sa collocation, le rentier est censé spécialiser son hypothèque,et la restreindre à l'immeuble dont on va distribuer le prix. Il consent par là une espèce de novation,

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dont l'effet est de subtituer un débiteur à un autre, l'acquéreur au débiteur originaire de la rente: la première obligation est éteinte; il y a paiement fictif, libération du premier débiteur et conséquemment extinction de toutes les obligations accessoires qu'il avait contractées.

VII. Le principe que l'hypothèque existe indivisiblement sur toutes les parties de l'immeuble, sert encore à décider cette autre question: si le débiteur peut céder la jouissance de l'immeuble hypothéqué, pendant un certain temps, au préjudice de ses créanciers inscrits? La négative a été proclamée par un arrêt de cassation, rapporté au Journal du Palais ', et elle est conforme à la raison et aux principes. On ne pourrait pas en effet tolérer, sans détruire l'hypothèque, que le débiteur la réduisit à la nue propriété; et déjà l'article 2091 avait proscrit cette faculté, en décidant que l'antichrèse, qui n'est autre chose que la cession temporaire de la jouissance, ne pourrait pas nuire aux tiers qui avaient acquis des droits sur l'immeuble. VIII. Une autre question que l'on a coutume d'élever sur cette matière, c'est celle de savoir si l'hypothèque est indivisible en ce sens, que l'aliénation d'une partie de l'immeuble rende exigible la totalité de la créance?

Il faut distinguer les diverses espèces d'hypothèques. Si l'on a une hypothèque judiciaire ou légale, on a pleine sûreté tant qu'il reste entre les mains du débiteur des biens assez considérables pour l'acquittement de la dette dans ce cas, l'aliénation d'une partie des immeubles ne peut pas rendre la dette exigible, au moins à l'égard du débiteur.

Mais lorsque l'hypothèque est conventionnelle, les principes doivent être différens. Le créancier n'a pas ordinairement une garantie aussi considérable : il est obligé de spécialiser son hypothèque, et le débiteur ne remplit pas ses engagemens lorsqu'il ne fournit pas toutes les sûretés promises, ou que, les ayant fournies, il vient ensuite à les diminuer par son fait.

I Tom. 1 de 1814, p. 491.

C'est pourquoi les articles 1188 et 1912 permettent, dans ce cas, de le priver du bénéfice du terme, et même de le forcer de consentir à la résolution du contrat.

Ces principes s'appliquent particulièrement à l'aliénation partielle d'un immeuble que le débiteur avait hypothéqué. Par cette aliénation, le débiteur est contrevenu à la loi qu'il s'était imposée ; il a diminué les sûretés du créancier, puisqu'en supposant que celui-ci ne veuille pas d'un paiement partiel, il préférera ne pas exercer son droit contre le tiers détenteur; en un mot, il n'a traité qu'en considération d'une hypothèque qu'il a lui-même exigée : ou il faut la lui laisser, ou il faut se soumettre au remboursement que la loi lui laisse le droit d'exiger.

C'est ce que la cour de cassation a jugé le 9 janvier 1810. On trouvera l'arrêt dans nos Questions, et dans le Journal du Palais 2.

IX. Nous ferons encore remarquer, sur cet article, deux autres effets de l'hypothèque et nous établirons par là la différence qui existe entre les créanciers chirographaires et ceux ayant hypothèque. Suivant l'art. 2093, les biens du débiteur sont le gage commun de tous les créanciers sans distinction; mais ce gage ne s'exerce, de la part des créanciers cédulaires, qu'autant que les biens sont en la possession du débiteur. Au contraire, les créanciers hypothécaires conservent leur droit, et suivent leur gage, en quelques mains qu'il passe. Le débiteur ne peut, pas son aliénation, conférer la propriété de l'immeuble qu'avec les charges qui le grevaient déjà, et les tiers acquéreurs ne peuvent le rendre libre, dans leurs mains, qu'en suivant les formalités prescrites pour purger les hypothèques. En outre, s'il est vrai que les créanciers chirographaires peuvent, comme tous les autres, poursuivre l'expropriation des immeubles du débiteur, ils ne peuvent cependant être colloqués sur le prix qu'après les créanciers hypothécaires; car nous avons vu, sur l'article 2094, que l'hypothèque était une cause légitime de préférence. Ainsi

> Premier semestre 1810, no 644, art. 50.

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