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HYPOTHÉCAIRE.

CHAPITRE PREMIER.
Dispositions générales.

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I. ENTRE le créancier et le débiteur, l'effet de l'obligation personnelle est de forcer à son exécution la personne qui s'engage, ainsi que ses héritiers ou ayant cause, c'est dans ce sens qu'on dit que celui qui contracte s'oblige lui et les siens. (Article 1122.)

Mais à ce premier droit qu'a le créancier de poursuivre la personne du débiteur, cet article en ajoute un autre, celui de faire exécuter l'obligation sur ses biens présens et à venir. Sans cette garantie, l'obligation personnelle serait illusoire, el ce serait en vain que le créancier poursuivrait son débiteur. Tous les biens de celui qui s'oblige deviennent donc le gage du créancier; et le crédit du débiteur se compose non seulement de ses immeubles et de ses biens mobiliers, corporels ou incorporels, mais encore de ceux qui lui parviendront à l'avenir par suite de son industrie, ou de toute autre manière. Observons cependant que ce droit de poursuivre l'exécution de l'obligation sur les biens du débiteur, se borne à la discussion de ceux qui sont actuellement en sa possession; car les biens n'étant qu'indirectement engagés par l'obligation personnelle, le débiteur a pu les aliéner et les transmettre francs et quittes de toutes charges et c'est en cela que l'obligation

personnelle diffère de l'hypothécaire, qui, en établissant sur la chose un droit qui lui est inhérent, donne au créancier le droit de la suivre, en quelques mains qu'elle passe.

D'après cela, on voit que le débiteur peut être contraint au paiement de la dette par toutes les voies judiciaires; qu'aussitôt que le titre du créancier est exécutoire, que la dette est certaine et liquide, il peut poursuivre indistinctement la vente forcée de tous les biens du débiteur. (Art. 2092 et 2204.)

Nous disons indistinctement, parce que tous les biens du débiteur étant le gage naturel de ses créanciers (art. 2093), la loi n'a pas dû astreindre les chirographaires à discuter tels biens plutôt que tels autres, le mobilier plutôt que les immeubles. Cette obligation ne pouvait être imposé qu'aux seuls créanciers hypothécaires qui, en recevant un gage particulier et le droit de suite que n'ont pas les créanciers cédulaires, sont sensés s'être tacitement imposé la nécessité de ne recourir aux biens non hypothéqués qu'à défaut de ceux affectés à leur créance.

II. Cependant le principe que le créancier peut poursuivre l'exécution de son obligation indistinctement sur tous les biens, souffre plusieurs exceptions: la première, qui est particulière au mineur et à l'interdit, est établie par l'art. 2206. Suivant cet article, en effet, le créancier ne peut poursuivre l'expropriation d'un immeuble appartenant à un mineur, émancipé ou non, ou à un interdit, qu'après

:

avoir discuté le mobilier mais suivant l'art. 2207, l'exception se borne au cas où le mineur ou l'interdit possède seul l'immeuble, et est unique débiteur; car s'il le possédait par indivis avec un majeur, et si la dette lui était commune avec ce dernier, comme aussi si les poursuites avaient été commencées contre un majeur ou avant l'interdiction, il retomberait sous l'empire de la règle générale. La seconde exception à notre règle, beaucoup moins impérative que la précédente, est laissée par l'article 2212, à l'arbitraire du juge. Elle consiste en ce que, si le débiteur justifie par baux authentiques que le revenu net et libre de ses immeubles pendant une année suffit pour le paiement de la dette en capital, intérêts et frais, et s'il en offre la délégation au créancier, le juge peut suspendre les poursuites que ce dernier aurait dirigées sur les immeumeubles; sauf à être reprises, s'il survenait quelque opposition ou obstacle au paiement. Une troisième exception se puise dans la nature ou la destination de certains biens, qui ayant été déclarés insaisissables par une loi speciale, ne peuvent être discutés par le créancier. De ce nombre sont tous les objets détaillés dans les SS 2 et suiv. de l'art. 592 du code de procédure civile, c'est-à-dire le coucher du débiteur et de ses enfans, leurs habits, les livres relatifs à la profession qu'il exerce jusqu'à concurrence de trois cents francs, etc., etc. Il faut encore y ajouter les rentes sur l'état, sur lesquelles l'art. 4 de la loi du 8 nivôse an vi ne permet pas de former des oppositions.

III. Lecautionnement d'un notaire jouit à peu près du bénéfice de cette triple exception. Il peut bien, à la vérité, être saisi par ses créanciers, mais il ne peut leur être distribué qu'à la cessation des fonctions du notaire. Jusqu'à cette époque, les créanciers auront droit seulement aux intérêts. Cette décision est fondée sur l'article 33 de la loi du 25 ventôse an II, qui porte que le cautionnement des notaires sera affecté spécialement à des condamnations prononcées contre eux, par suite de l'exercice de leurs fonctions; que, lorsque

ce cautionnement aura été épuisé, le notaire sera suspendu, et que, faute de le remplacer dans les six mois, il sera considéré comme démissionnaire, et remplacé. Il résulte évidemment de la contexture de cet article, que le législateur affecte le cautionnement du notaire à une espèce particulière de dettes; on irait contre son but si on l'employait à en solder la masse.

Ce serait mettre dans les mains des créanciers le pouvoir de forcer le notaire à cesser ses fonctions, puisque la saisie du cautionnement aurait pour conséquence de faire considérer le notaire comme démissionnaire, toutes les fois qu'il serait hors d'état d'en déposer un nouveau. Il y aurait là une peine exorbitante, dont le législateur n'a pas voulu punir le notaire, parce qu'il se trouvait momentanément dans l'impossibilité de satisfaire à ses engagemens particuliers.

Que les créanciers fassent saisir le cautionnement, rien ne s'y oppose ; mais l'effet de cette saisie sera suspendu jusqu'au temps où le notaire cessera ses fonctions. C'est ainsi que l'a jugé la cour de Grenoble par un arrêt infirmatif d'un jugement du tribunal de Die '.

IV. La règle que nous avons établie, que le créancier chirographaire n'avait de droit sur les biens du débiteur qu'autant qu'ils étaient en sa possession, ne doit souffrir aucune exception, même pour les aliénations gratuites que le débiteur aurait faites; et quoiqu'on ait jugé autrefois au parlement de Paris (ainsi que l'attestent Goujet et Basnage, en leur Traité des Hypothèques) que les créanciers chirographaires du père devaient être préférés à ceux du fils, sur l'immeuble donné entre-vifs par le premier à ce dernier, et qui, après la mort du père, avait dû être rapporté à sa succession, je ne pense pas qu'on doive aujourd'hui suivre cette décision, parce que, s'il est vrai que l'immeuble donné à un successible, sans dispense de rapport, doive être rapporté à la masse lors de l'ouverture de la succession, ce n'est que pour l'intérêt des cohéritiers,

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et pour égaliser leur part : c'est d'ailleurs ce que décident expressément les art. 857 et 921 du code civil, en disant, le premier, que le rapport n'est dû que par le cohéritier à son cohéritier, et non aux légataires ni aux créanciers; le second, que la réduction ne peut être demandée par les créanciers ni leur profiter. Ainsi, comme nous l'avons d'abord dit, les créanciers chirographaires n'ont de droit que sur les immeubles que possède leur débiteur; ceux qu'il a aliénés cessent d'être leur gage, par cela seul qu'ils n'ont pas, comme les créanciers hypothécaires, le droit de les suivre en quelques mains qu'ils pas

sent.

Cependant, si les aliénations étaient frauduleuses, ils pourraient se pourvoir pour les faire annuler, ainsi que l'art. 1167 les y autorise.

V. Nous terminerons ce que nous avions à dire sur cet article, en observant que tous les biens du débiteur ne sont le gage de ses créanciers que lorsqu'il est obligé personnellement, ou tout à la fois person nellement et hypothécairement. Mais s'il ne l'était qu'hypothécairement, comme cela arrive lorsqu'un tiers hypothèque complaisamment son bien pour rendre service, il pourrait toujours se libérer en abandonnant l'immeuble hypothéqué. La raison en est que n'étant obligé qu'à l'occasion de la chose qu'il détient, son obligation est naturellement restreinte à cette chose et ne peut pas s'étendre aux autres biens. Nous verrons plus tard s'il doit en être de même de l'acquéreur d'un immeuble que les créanciers du vendeur veulent poursuivre sur ses biens personnels.

ART. 2093. Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers; et le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence.

Toute obligation pouvant naturellement se résoudre en celle de payer une somme d'argent, le prix provenu de la vente forcée des biens du débiteur sert à l'acquittement des dettes et se partage entre les créanciers (ou est adjugé à quelques-uns

d'entre eux), suivant qu'ils sont, ou non, hypothécaires ou privilégiés. — S'il y a des créanciers privilégiés ou hypothécaires, ils sont tous colloqués dans l'ordre de leurs priviléges et de leurs inscriptions, et les chirographaires ne viennent qu'après. Mais s'il n'y a que des créanciers chirographaires, ou, ce qui est la même chose, si, après la collocation des hypothécaires et de ceux ayant privilége, il reste encore quelques sommes, elles se partagent entre les créanciers chirographaires au marc le franc, de façon que leurs droits soient respectivement égaux, et qu'on ne puisse tirer aucun avantage ou de la priorité de date, ou de l'authenticité du titre constitutif de l'obligation, parce qu'il suffit, pour qu'un créancier chirographaire concoure avec les autres, que sa créance soit légalement établie '.

Nous ne nous étendrons pas ici sur les principes relatifs à la distribution des sommes entre les créanciers; nous n'avons voulu que développer la règle que consacre notre article à l'égard des créanciers chirographaires. Nous renvoyons au titre de l'Ordre, pour faire connaître, sur cet objet, les diverses dispositions de la loi.

ART. 2094. Les causes légitimes de préférence

sont les priviléges et hypothèques.

Les causes légitimes de préférence sont le plus communément les priviléges et les hypothèques ; mais il ne faut pas croire que ce soient les seules. On en trouve d'autres qui donnent aux créanciers un rang utile, quelquefois même préférable à celui attribué par les priviléges ou les hypothèques. Nous allons en citer quelques exemples.

Lecréancier qui, par suite de sa créance, s'est fait donner un gage, est préféré à tout autre sur ce gage, puisque l'art. 2082 lui donne le droit de le retenir jusqu'à parfait paiement de la créance pour laquelle le gage a été donné, et même des créances contractées postérieurement; cependant ce n'est pas là un privilége, ainsi que nous l'établirons sur l'article suivant.

1 L. 32, ff. de Reb, auth, jud. possid.

Le dépositaire qui a fait des avances pour la conservation de la chose déposée, peut en exiger le remboursement des mains du déposant. Il peut aussi se faire indemniser des pertes occasionées par le dépôt; et l'art. 1948 lui donne à cet effet le droit de retenir le dépôt jusqu'à l'entier paiement de ce qui lui est dû. Or, ce n'est pas là un privilége, mais un droit encore préférable, puisque les créanciers du déposant, qui n'ont pas plus de droit que lui, ne peuvent retirer le dépôt qu'en remboursant au dépositaire tout ce qui peut lui être dû.

Il en est de même de celui à qui l'on a prêté à usage une chose non fongible. S'il a fait des dépenses pour la conservation de cette chose, il a le droit de la retenir jusqu'à parfait paiement de ses avances. C'est ce que décide la L. 15, § 2, ff. de Furtis, et ce qui n'est contrarié par aucune disposition du code civil.

Ce que nous venons de dire à l'égard des meubles s'applique aussi, dans certains cas, aux immeubles. Il y a, en effet, des circonstances où l'on n'a ni priviléges ni hypothèque sur un immeuble, et dans les quelles on a cependant un droit de préférence sur les autres créanciers. Ainsi un tiers possesseur qui a fait de bonne foi des dépenses utiles ou nécessaires, ne peut être forcé de délaisser l'héritage qu'après avoir été indemnisé de tout ce qu'il a déboursé. Jusque là il peut retenir l'immeuble, ainsi que l'y autorisent la L. 29, S2, ff. de Pignorib. et Hypoth., l'art. 9 du tit. 27 de l'ordonnance de 1667, et même l'art. 2175 du code civil. Il faut voir ce que nous dirons sur la dernière partie de cet article.

Ces principes s'appliquent également au cas où un tiers a élevé un édifice sur le fonds d'autrui avec ses propres matériaux.Comme l'art. 555 donne au propriétaire, si le constructeur est de mauvaise

foi, le droit de retenir les matériaux en en payant la valeur avec le prix de la maind'œuvre, il suppose qu'il ne pourra exercer ce droit, par lui-même, soit par ses créanciers, qu'après avoir désintéressé le constructeur : la raison en est que celui-ci a un droit de propriété qui le rend préférable aux autres créanciers. même privilégiés, à qui il n'est pas permis de s'enrichir au détriment d'autrui.

L'acquéreur à faculté de rachat jouit aussi d'une semblable prérogative. Par l'exercice du réméré, il devient créancier et du prix qu'il a lui-même payé, et des frais et loyaux coûts du contrat et des dépenses nécessaires ou qui ont augmenté la valeur du fonds. Toutefois il n'a ni privilége ni hypothèque, mais un droit qui le met au dessus de tous les autres créanciers de son vendeur, puisque celui-ci, et par conséquent ses créanciers, ne peuvent entrer en possession qu'après avoir satisfait à toutes les obligations ci-dessus. (Art. 1673.)

Dans toutes les hypothèses que nous venons de parcourir rapidement, nous n'avons accordé la préférence sur des créanciers privilégiés ou hypothécaires, qu'à ceux qui avaient déjà la possession de la chose; et comme c'est la possession qui détermine cette préférence, il faut conclure qu'on ne pourrait plus s'en prévaloir dès qu'on s'en serait dessaisi. Ainsi le créancier gagiste, le dépositaire, l'emprunteur, le tiers possesseur, l'acquéreur à faculté de rachat, deviendraient des créanciers ordinaires dès qu'ils auraient perdu la possession; et non seulement ils ne seraient plus préférés aux créanciers privilégiés et hypothécaires, mais on devrait les mettre au rang des créanciers chirographaires : c'est ce qui a déterminé les jurisconsultes à désigner cette espèce de préférence sous le nom de droit de rétention.

CHAPITRE II. Des priviléges.

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I.CETTE définition, littéralement traduite des lois romaines 1, marque d'une manière positive les véritables caractères du privilége. Ce n'est pas, comme son nom pour rait d'abord le faire entendre, une faveur personnelle que la loi accorde aux créanciers, mais un droit qu'une justice rigoureuse nécessite, et qui repose sur la seule qualité de la créance : ce qui désigne les divers élémens dont se constitue le privilége.

La qualité de la créance est l'unique fondement du privilége ; et quelle que soit la faveur que puisse présenter le créancier, il ne jouit d'aucun avantage, si la créance ne renferme quelque chose de favorable qui la distingue de celle des autres. Aussi faut-il tirer de là cette conséquence, que le privilége s'établit sans le consentement des parties, et que même leur volonté ne peut suffire pour l'établir, quoiqu'elle suffise pour y renoncer, suivant la maxime : Unicuique licet juri pro se introducto renuntiare. «Si la dette n'était pas d'elle-même privilégiée, dit Domat 2, on ne pourrait la rendre telle par l'effet d'une convention. >>

Cependant il faut convenir qu'on trouve dans le code civil quelques priviléges qui ne tirent pas leur origine de la qualité de la créance. L'article 2102 nous en fournit un exemple. En parlant des priviléges sur certains meubles, il cite au no 2, celui du

' L. 32, ff. de reb. auct. jud. possid. Lois civ., tit.des Hypothèques, sect.5,art.30.

créancier sur le gage dont il est saisi : or, il n'est pas vrai de dire que, dans ce cas, c'est la qualité de la créance qui constitue le privilége. Tout le monde sait qu'un créancier, quelle que soit la cause de sa créance, peut en jouir, s'il s'est fait livrer un gage; aussi faut-il tenir que c'est alors la convention, suivie de tradition, qui constitue le privilége. Domat avait tellement senti que, dans ce cas, le privilége du créancier avait une autre origine que celle de la qualité de la créance, qu'il ne balance pas à dire 3, qu'on ne doit pas mettre au rang des priviléges la préférence qu'a le créancier sur les meubles qui lui ont été donnés en gage. Dans ce cas, c'est moins comme privilégié qu'en vertu du droit de rétention dont nous avons parlé en expliquant l'article précédent, que le créancier peut se faire payer de préférence aux autres.

II. Après avoir fait connaître l'origine du privilége, notre article en détermine l'effet. Il consiste à donner aux créanciers privilégiés le droit d'être préférés aux créanciers chirographaires, aux hypothécaires, et même à ceux qui ont un privilége dont la cause est moins favorable; mais il faut bien entendre cette dernière partie de notre article.

Le créancier privilégié est sans doute préféré à tous créanciers chirographaires, même antérieurs à la cause du privilége: il prime également le créancier hypothécaire postérieur à sa cause; mais peut-il, avec justice, être préféré à celui dont l'hypothèque était légalement acquise avant

3 Tit. des Gages et Hypothèques, sect. 5, à la fin du préamh.

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