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L'ordre du jour pur et simple mit fin aux interpellations.

Cependant le parti démocratique se préparait en vue des élections. Aujourd'hui qu'un gouvernement réparateur a restitué au suffrage universel son indépendance, sa dignité et sa sincérité, nous croyons utile de retracer en détail le tableau d'une élection telle qu'elle se pratiquait sous l'empire de la Constitution de 1848 et du scrutin de liste. Deux ans à peine nous séparent de ce passé, et cependant c'est déjà de l'histoire à peine semble-t-il que ces scènes étranges aient pu s'accomplir dans le pays le plus éclairé de l'Europe.

L'interdiction prononcée après le 13 juin contre les clubs et les réunions politiques ne s'appliquant pas aux réunions préparatoires des élections, quelques meneurs, s'investissant eux-mêmes des pouvoirs les plus étendus, et se décorant du titre de membres

de la commission d'initiative, louèrent dans chaque arrondissement de Paris des salles assez vastes pour contenir un grand nombre de personnes, et eonvoquèrent tous les démocrates, électeurs où non, par la voie des journaux. Voici la première de ces convocations :

< AUX ÉLECTEURS DÉMOCRATES-SOCIALISTES.

• Les premières réunions électorales ont pour but • l'élection des délégués au nouveau comité.

Le peuple comprendra la haute importance de ⚫ cette élection. La commission d'initiative recom

• mande avec instance aux démocrates-socialistes la plus grande exactitude.

Les arrondissements suivants se réuniront aux jours, heures et locaux ci-après indiqués.

Suivait la nomenclature des lieux de réunion, dont la plupart étaient des salles de bals publics et de marchands de vin. On y voyait figurer la salle de la Redoute, le salon de Mars, le salon de la Victoire, les cabarets du Jardin de Provence à la barrière de l'Étoile, du Rendez-Vous du Château à Clichy, et du Grand-Saint-Martin à la barrière Monceaux. Toutes ces réunions étaient indiquées pour les 15, 16 et 17 février. On y désigna les membres d'un comité central chargé de rédiger la liste des candidats, et cette liste devient obligatoire pour le parti démocratique tout entier. Ainsi ce comité disposait en réalité de l'élection: le suffrage direct se trouvait transformé en suffrage indirect; on avait avec aggravation tous les inconvénients et tous les vices du suffrage à deux degrés. Du moment, en effet, où l'on donnait la formation de la liste à un comité, cette liste devait être déposée dans l'urne sans aucune modification par chaque démocrate, sous peine de voir son vote annulě. Dès lors les délégués étaient les véritables électeurs; dès lors les véritables électeurs se trouvaient dépossédés du droit de discuter les candidatures. Mais c'est précisément ce que voulaient les chefs et les mencurs occultes. Ils réussirent pleinement.

Le comité central des délégués se réunissait rue Saint-Spire, impasse de la Grosse-tête, dans le quar

tier de la Porte-Saint-Denis. Ses délibérations étaient secrètes, même pour les frères et amis. On ne publiait pas même les noms de ces délégués, dont quelquesuns cependant se firent connaître, entre autres l'avocat Colfavru, ancien rédacteur du Père Duchesne et transporté de Juin, qui, dans une lettre adressée aux journaux, révéla le plan machiavélique du comité central. Convaincu de la répulsion que trouverait dans la partie saine de la population une liste purement socialiste, on avait résolu de faire des concessions aux scrupules des républicains moins avancés et de la bourgeoisie.

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. N'oublions pas, écrivait M. Colfavru, que ce mot ⚫ élection doit signifier aujourd'hui protestation, et que si dans les actes officiels les esprits méfiants lisent une menace, celle de la monarchie, nous avons, par ‹ notre vote, à rassurer le pays en lui donnant, dans cette nouvelle épreuve, un gage non équivoque ‹ d'adhésion à la République. Que les républicains ne commettent pas la faute d'examiner, avant tout, ⚫ de quel pas, de quelle rapidité marchent parmi eux vers l'avenir tous les soldats de leur phalange : à des jours plus heureux, et qu'il faut aujourd'hui préparer, la sollicitude d'un tel soin; ce n'est pas • l'idée que chacun porte dans son cerveau, ce n'est ⚫ pas l'aspiration que chacun nourrit dans son cœur

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qui doit avoir en ce moment la parole. Soyons exclu⚫sivement politiques, puisque les circonstances nous y obligent, et que la discipline soit notre loi suprême,

Voir la Voix du Peuple du 21 février 1850.

⚫ si nous ne voulons inconsidérément trahir la causė ⚫ et les destinées du peuple.

Or, qui dit discipline dit fusion de toutes les ⚫ nuances d'antagonisme. La bourgeoisie et le prolétariat doivent s'unir pour infliger un vote au Pou⚫ voir.....

Mais qui faisait les frais de ces convocations, de ces réunions, de ces publications? En premier lieu la Montagne. Les représentants qui siégeaient sur les bancs les plus élevés de l'Assemblée formaient en dehors de l'enceinte législative une sorte d'association pourvue d'une caisse, où chacun d'eux versait les deux cinquièmes de son indemnité. La réunion se composait d'une centaine de membres: c'était donc trente mille francs par mois qui constituaient au socialisme une sorte de budget régulier, mais très-insuffisant, puisque sur cette somme il fallait prélever des secours aux condamnés politiques, aux détenus, aux réfugiés, payer l'impression de brochures, d'articles, de reproductions de discours, sans compter d'autres emplois qu'on devine, mais qu'une réserve qu'on approuvera ne nous permet pas de détailler ici. Pour suppléer à cette insuffisance, le comité démocratiquesocialiste ouvrit, rue Coquillière, no 12 ter, un bureau de souscription pour subvenir aux frais des élections 1. On recevait aussi les offrandes dans les bureaux des journaux du parti; des troncs étaient exposés à la porte

Voir la Presse, la Voix du Peuple, la République, le Temps et l'Estafette du 22 février et jours suivants.

des réunions électorales; on y faisait des quêtes. Enfin, on invitait les ouvriers à prélever quelques centimes sur leur faible salaire et à les verser entre les mains d'un receveur établi dans chaque atelier, qui devait transmettre le produit de la souscription hebdomadaire au comité central 1.

Le 22 février, le comité ouvrit au bureau de la rue Coquillière un registre où chacun des citoyens qui aspiraient à la candidature fût invité à s'inscrire. Cetté opération dura de huit heures du matin à six heures du soir. Une heure après la clôture du registre les délégués s'assemblèrent rue de Charonne, n° 95, à l'École du commerce et des arts industriels. La veille au soir, le comité s'était constitué en conclave et avait adopté un règlement, par lequel les membres du comité s'engageaient sur l'honneur à accepter la décision, quelle qu'elle fût, de la majorité, et à ne faire aucune scission, quel que fût le résultat du scrutin. Il fut également décidé que les interpellations adressées aux candidats auraient lieu par l'intermédiaire du bureau (moyen trèssimple de les interdire si elles déplaisaient); que nul délégué ne pourrait communiquer avec le dehors pendant la durée du conclave; que la prise en considération des candidatures aurait lieu au quart des voix et l'admission définitive à la majorité absolue; enfin, que le vote

Dans une proclamation du Comité électoral typographique aux travailleurs, en date du 21 février 1850, le plan de cette organisation est nettement tracé : « Que chaque semaine le << travailieur prélève donc sur son salaire quelques centimes; « qu'un receveur les déposé entre les mains du Comité central démocratique.

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