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importance; les journaux étaient frappés, en outre, d'un timbre proportionnel; le second projet prorogeait la durée de la loi sur les clubs et assimilait aux clubs les réunions électorales.

Cependant les rues de Paris s'encombraient tous les soirs d'ouvriers sans ouvrage qui disaient n'avoir pas mangé depuis vingt-quatre heures et demandaient l'aumône. Les environs de la capitale étaient également envahis par des bandes déguenillées qui invoquaient, souvent par la menace, la charité des paysans. Les affaires étaient suspendues, les fonds publics baissaient de jour en jour, les étrangers quittaient Paris. On se croyait revenu au règne du Gouvernement provisoire, et l'on prédisait hautement un pendant aux journées de Juin. Qui arrêtait l'élan de la démagogie? Qui paralysait l'ardeur des sociétés secrètes? Comment les hommes de bouleversement avaient-ils l'imprudence d'ajourner des projets dont ils ne faisaient point mystère ? Voici le mot de l'énigme: l'un des nouveaux élus de Paris, M. Vidal avait eu l'honneur d'une double élection; on laissa d'abord la majorité livrer au public le secret de ses frayeurs et de ses embarras, et lorsqu'elle fut entrée plus avant dans la voie des mesures répressives, toujours impopulaires, M. Vidal déclara qu'il optait pour le département du Bas-Rhin. Le Gouvernement se vit ainsi contraint de convoquer encore les électeurs de la Seine. Or le calcul des socialistes était infiniment juste. Si Paris, revenant sur le vote du 10 mars, donnait ses voix au candidat de l'ordre, ce serait un signe de peu de solidité des

espérances qu'il avait fait naître, et l'on ajournerait le coup de main; si, au contraire, le socialisme triomphait encore une fois, qui pouvait calculer le résultat de cette décisive défaite du Gouvernement? La majorité serait paralysée par la terreur, les indifférents et les tièdes se rallieraient à la faction victorieuse, et l'on aurait bon marché de toutes les résistances.

Pendant que les bureaux de l'Assemblée examinaient les projets de loi pour lesquels le ministre avait demandé l'urgence, la discussion s'ouvrit sur le budget. L'occasion était bonne pour les socialistes d'apporter encore une fois à la tribune les doctrines au moyen desquelles ils devaient renouveler la face de la société. Ils n'y manquèrent pas; mais les chefs s'effacèrent pour laisser parler un véritable prolétaire, le citoyen Pelletier, représentant du Rhône, que le suffrage universel était allé prendre dans son auberge de Tarare pour lui confier sa part des destinées et de l'avenir de la France. Le citoyen Pelletier émit cette idée neuve que « le meilleur système d'impôts serait celui qui donnerait beaucoup en demandant peu aux contribuables.>> Et ce système consistait tout simplement à prendre possession, moyennant indemnité, des assurances, des salines, des chemins de fer, des mines et des banques1. Ainsi tous les moyens découverts par le socialisme pour diminuer la dette publique, soulager l'agriculture et faire disparaître la misère pouvaient se résumer en deux mots confiscation, monopole. On n'a jamais

1 Moniteur du 23 mars 1850.

assez indiqué, selon nous, les tendances despotiques que trahissaient les moindres paroles de ces prétendus amis du peuple, dont le principal but était la conquête du pouvoir, et qui savaient bien que la tyrannie la plus atroce pourrait seule fixer en leur main ce pouvoir conquis quelques jours par surprise. Croyaient-ils diminuer le budget en achetant, moyennant indemnité, les canaux, les mines, les chemins de fer, etc.? Est-il possible que ces hommes articulassent de bonne foi une opinion si contraire à l'évidence? Cette indemnité, qui l'eût payée? L'État. Mais l'État n'a pas d'autre argent que celui des contribuables: il eût donc fallu recourir à l'emprunt ou à un surcroît d'impôts; dans l'un et l'autre cas, le budget se grossissait au lieu de se réduire. Et quand ils auraient enfin accompli cette absorption de toutes les industries, qu'en eussent-ils fait? Banquiers, ils n'eussent pas obtenu la confiance du commerce et des capitaux; le papier-monnaie, si recherché aujourd'hui, eût cessé d'avoir cours, parce que, émis par l'État, le billet de banque n'est plus qu'un assignat. Les chemins de fer ont jusqu'à présent ruiné beaucoup de compagnies, mais ils n'en ont pas enrichi une seule. Restait donc à connaître comment l'État pourrait trouver un bénéfice là où l'industrie privée, mille fois plus active et plus ingénieuse, n'a pu en recueillir. Les assurances? Mais attendez un peu. M. Garnier-Pagès, qui, le premier, voulut en conférer le monopole à l'État, avait promis à l'Assemblée Constituante d'équilibrer le budget au moyen de deux ou trois opérations très-simples, dont l'une était le mono

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pole des assurances, estimé bon nombre de millions. Or, quel est le bénéfice annuel de toutes les compagnies d'assurances? I atteint à peine trois millions. La belle ressource! Mais ce n'est pas tout. On appréciait très-bien dans les campagnes, auxquelles s'adressaient alors les socialistes, le côté faible des assurances, Du moment où un sinistre est dénoncé, un duel s'engage entre l'assuré et la compagnie. Aux yeux de celle-ci, l'assuré est tout d'abord un malfaiteur qui a mis le feu lui-même à sa maison. De là, enquête et contre-enquête, expertise, tout ce qui s'ensuit. C'est une instruction criminelle en règle, et la compagnie ne paye qu'après avoir épuisé tous les moyens de faire autrement. C'est la condition commune d'ailleurs à toutes les transactions privées; chacun défend son droit et son intérêt. Mettez les assurances entre les mains de l'État, ces inconvénients de l'assurance s'élèvent sur-le-champ à la hauteur d'une question politique. L'État tient l'assuré dans les griffes du fisc et sous la menace de ses procureurs généraux. Il est à la fois accusateur et juge. Par ses expertises, l'État assureur pénètre chez les citoyens, dans les cas même où la loi qui garantit la liberté civile lui interdirait d'y faire entrer un commissaire de police; c'est l'inquisition abritée par le fisc. D'ailleurs, une compagnie qui abuserait des facilités de l'expertise pour ajourner indéfiniment ses payements perdrait peu-à-peu sa clientèle, au profit d'autres compagnies plus accommodantes et plus expéditives. La concurrence préserve de l'abus. Mais l'État, chef du monopole, enchevêtrerait l'assuré

dans un réseau de formalités interminables; et il n'en peut être autrement, car si l'on privait l'État de ces garanties exorbitantes mais indispensables, on exposerait le Trésor à une banqueroute périodique. Despotisme, inquisition, monopole et ruine, voilà les con séquences du socialisme tel que l'entendait la Montagne.

L'Assemblée ne tint aucun compte des discours de M. Pelletier; mais tel était l'abus des libertés du régime parlementaire, que les représentants des partis extrêmes ne se souciaient plus d'être écoutés. On ne parlait plus pour l'Assemblée, mais pour le dehors; et tel discours que la majorité refusait d'entendre était le lendemain imprimé et répandu à cent mille exemplaires ainsi circulaient sous le couvert de l'inviolabilité des représentants des théories la plupart du temps tellement subversives que personne, excepté des représentants du Peuple, n'aurait eu la hardiesse d'en assumer la responsabilité.

Au reste, les membres de l'extrême gauche n'avaient pas seuls le privilége de l'excentricité. M. de La Rocheiaquelein en donna la preuve en proposant inopinément à l'Assemblée de consulter la nation sur la forme du Gouvernement qu'elle voulait constituer définitivement; et c'est très-sérieusement qu'il voulait inviter le peuple français à se prononcer pour la République ou pour la Monarchie. L'inexplicable démarche de M. de La Rochejaquelein, désapprouvée par l'unanimité de l'Assemblée, sévèrement qualifiée par le président Dupin, ne rencontra qu'un blâme énergique au sein de son propre parti. << Au point de vue

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