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A peine, en 1795, a-t-on fait accepter au peuple français la constitution dite de l'an 3, qu'une loi fameuse, la loi du 3 brumaire ( V. 24 octobre 1795), suspend plusieurs de ses articles, sous prétexte de circonstances impérieuses. On en vint, de circonstance en circonstance, à la suspension de toutes les garanties; et cette constitution de l'an 3, plusieurs fois mutilée dans l'espace de quatre années (V. 4-15 septembre 1797, 11 mai 1798, 16-18 juin 1799), est sabrée à mort par les soldats du 18 brumaire (Voyez 9 novembre 1799).

A peine Bonaparte a mis en action la constitution de l'an 8, que plusieurs départements sont mis hors de cette constitution (Voyez 15 janvier 1800, 7 février 1801). On motive cette mesure sur les circonstances; et de circonstance en circonstance, on en vient aux tribunaux spéciaux ( Voyez 7 février 1800, 13 mai 1802), au procès de Moreau (Voy. 10 juin 1804), à l'empire (V. 18 mai 1804), à vingt sénatus-consultes qui désorganisent les institutions qu'on a juré d'observer, de maintenir, de défendre, et qu'on appelle cependant sénatus-consultes organiques ( Voyez 4 août 1802, 20 décembre 1803, 19 août 1807, 15 novembre 1813); le gouvernement consulaire supprime un grand nombre de journaux et asservit ceux qu'il laisse paraître (Voyez 17 janvier 1800); le gouvernement impérial maintient huit prisons d'état permanentes pour y réunir les détenus de cette sorte, qui le furent jusqu'à ce jour ( 31 mars 1814) dans les diverses. maisons d'arrêt répandues sur la surface de la France. Quatorze ans s'écoulent sans qu'on puisse rentrer une seule fois, pour un seul jour, dans cette constitution de l'an 8. Les derniers désastres de 1813 venant de s'accomplir, une commission du corps légis

latif profère à demi-voix, avec l'accent de l'humble prière, des vœux de paix et de repos, après tant de guerres cruelles et de violentes commotions. Les représentants de la nation qui, dans cette circonstance, expriment véritablement l'opinion générale, sont congédiés avec insulte, avec opprobre (V. 28-31 décembre 1813); bafoués par le despote à la bouche de fer (V. 1er janvier 1814), ils voient leurs doléances brisées sous les pilons de la police. Voilà toute l'histoire civile de ces temps où la presse fut enchaînée.

Et aujourd'hui le gouvernement dans le sein duquel la nation vient se reposer en toute confiance, avec pleine sécurité, repousse le véritable moyen de constater à la fois et ses lumières et sa loyauté; il suit les traces de tous ces mauvais gouvernements, au lieu de s'en distinguer avec gloire. Maudits, cent fois maudits et l'abbé de Montesquiou et ses complices au conseil royal! La France éprouvera les sinistres effets de leurs ineptes combinaisons, qui faussent entièrement les mesures et dénaturent les intentions annoncées par l'auteur de la charte. Nous disons les intentions annoncées, car l'auteur de la charte remerciera les membres de la chambre des députés qui lui offriront (V. 1er janvier 1815) leurs hommages à l'occasion du nouvel an; il leur dira : « C'était une chambre introuvable! » Ainsi, les ministres auront fait approuver par l'auteur de la charte l'atteinte la plus grave qu'on puisse porter à la charte!........ La littérature et la poésie doivent à M. Lefranc de Pompignan la plus belle strophe lyrique qu'il y ait dans la langue française:

Le Nil a vu sur ses rivages'
Les noirs habitants des déserts
Insulter par leurs cris sauvages
L'astre éclatant de l'univers.

Cris impuissants! fureurs bizarres !.

Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.

Ce que le poète dit du soleil, on peut le dire de la pensée de l'homme, émanation de la Divinité, qui répand la lumière dans le monde intellectuel. La pensée est l'homme tout entier : aussi, depuis la découverte de l'imprimerie, secret qui semble avoir été révélé par la Divinité même, tous les barbares professant les doctrines de l'abbé de Montesquiou auront beau insulter par leurs cris sauvages à la liberté de la presse, ils ne parviendront pas à éteindre le flambeau de l'intelligence humaine il les éclairera malgré eux!!!

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5 NOVEMBRE.

L'ouverture du congrès de Vienne a lieu en exécution de l'article 32 du traité de Paris, du 30 mai.

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8.-Conformément à l'art. 23 de la charte (V. 4 juin), la liste civile est fixée, pour la durée du présent règne, à la somme de vingt-cinq millions, payée annuellement par le trésor de l'état. La dotation de la couronne se compose 1o du Louvre, des Tuileries avec leurs dépendances; 2o des palais, bâtiments, terres, bois, etc., formant les domaines de Versailles, Marly, Saint-Cloud, Meudon, Saint-Germain, Rambouillet, Compiègne, Fontainebleau, Pau, Bordeaux, Strasbourg, etc.; 3o des pierreries, bijoux, tableaux, statues, pierres gravées, et autres monuments des arts et des bibliothèques qui se trouvent soit dans les palais du roi, soit dans le garde-meuble ou dans les musées de la couronne. Les

biens de la dotation sont inaliénables, imprescriptibles, non passibles d'hypothèques, d'affectations ou de contributions publiques. Le roi peut acquérir des domaines privés et en jouir suivant la loi commune. Ces domaines supporteront leur quote part des charges de la propriété et des contributions publiques. Huit millions seront annuellement payés par le trésor de l'état pour l'entretien des princes et princesses de la famille royale. Cette loi est adoptée à la chambre des députés par cent quatre-vingt-cinq votants sur cent quatre-vingt-neuf.

30.- Un comité se réunit pour s'occuper de l'érection d'un monument à Quiberon (Morbihan), en mémoire des émigrés, défenseurs de la cause des Bourbons, qui y ont été jugés et fusillés, suivant les ordres de la convention, après leur défaite du 21 juillet 1795.

Le maréchal Soult, gouverneur de la treizième division militaire (Rennes), a mis à produire ce projet, comme à réaliser son exécution, un zèle ardent, zèle d'autant plus remarquable que, de tous les lieutenants de Napoléon laissés au-delà des Pyrénées après l'enlèvement et la spoliation des Bourbons en Espagne, ce maréchal s'est montré le plus actif et le plus ferme dans l'impulsion et la conservation de la conquête.

L'éclat des cérémonies expiatoires qui doivent avoir lieu à l'inauguration de ce monument annonce la fausse route où le gouvernement aime à s'engager. Le gouvernement se complaît à exhumer les plus tristes souvenirs, sur lesquels la prudence conseille de jeter le voile le plus épais. Les Français ont un si grand besoin de se demander l'oubli de leurs torts mutuels! Et à peine six mois sont écoulés depuis le retour d'une dynastie incontestée, qu'on s'empresse de signaler, d'orner d'une pompe funèbre les lieux té

moins de nos discordes ! Est-ce bien le moyen d'assou pir les haines civiles, de réconcilier des frères? Tibère lui-même, s'opposant à l'érection d'un autel à la Vengeance, déclarait ( Annal. de Tac., liv. 3) qu'il fallait pour les victoires étrangères des monuments, et pour les malheurs domestiques la douleur et le silence. Voltaire écrivait, le 24 août 1772, anniversaire non seulement annuel mais séculaire du massacre de la Saint-Barthélemi :

Tu reviens après deux cents ans,
Jour affreux, jour fatal au monde.
Que l'abyme éternel du temps
Te couvre de sa nuit profonde !
Tombe à jamais enseveli
Dans le grand fleuve de l'oubli
Ce jour de notre antique histoire !
Mortels, à souffrir condamnés,
Ce n'est que des jours fortunés
Qu'il faut conserver la mémoire !

Mais, pour conquérir la faveur de ce parti qui l'emporte à la cour, le maréchal Soult adopte les idées les plus exagérées. S'il n'ambitionnait que la considération, sa réputation militaire devrait lui sembler un assez beau titre aux suffrages de la France; mais de quoi n'est pas capable l'ambition d'un soldat devenu grand seigneur ?

3 DÉCEMBRE. Le maréchal Soult est nommé ministre de la guerre, en remplacement du général Dupont, dont l'administration fut encore plus nuisible aux intérêts de la France que la capitulation de Baylen ( 22 juillet 1808) ne fut défavorable à sa réputation comme homme de guerre. Le comte Beugnot succède, à la marine, au baron Malouet, décédé.

Le public s'étonne de la promotion simultanée de

TOME VIII.

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