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Lehmann et Amaury-Duval, malgré les belles mains, réellement bien peintes, qu'ils savent leur faire, et la galanterie de certains détails. Dulcinée de Toboso elle-même, en passant par l'atelier de ces messieurs, en sortirait diaphane et bégueule comme une élégie, et amaigrie par le thé et le beurre esthétiques.

Ce n'est pourtant pas ainsi, il faut le répéter sans cesse, que M. Ingres comprend les choses, le grand maître!

Dans le portrait compris suivant la seconde méthode, MM. DUBUFE père, WINTERHALTER, LEPAULLE et Mme FREDERIQUE O'CONNEL, avec un goût plus sincère de la nature et une couleur plus sérieuse, auraient pu acquérir une gloire légitime.

M. Dubufe aura longtemps encore le privilège des portraits élégants; son goût naturel et quasi poétique sert à cacher ses innombrables défauts.

Il est à remarquer que les gens qui crient tant haro sur le bourgeois, propos de M. Dubufe, sont les mêmes qui se sont laissé charmer par les têtes de bois de M. PÉRIGNON. Qu'on aurait pardonné de choses à M. Delaroche, si l'on avait pu prévoir la fabrique Pérignon!

M. Winterhalter est réellement en décadence. M. Lépaulle est toujours le même, un excellent peintre parfois, toujours dénué de goût et de bon Des yeux et des bouches charmantes, des avec des toilettes à faire fuir les

sens.

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bras réussis,

honnêtes gens!

Mme O'Connel sait peindre librement et vivement; mais sa couleur manque de consistance. C'est le malheureux défaut de la peinture anglaise, trans

parente à l'excès, et toujours douée d'une trop grande fluidité.

Un excellent exemple du genre de portraits dont je voulais tout à l'heure caractériser l'esprit, est ce portrait de femme, par M. HAFFNER, noyė dans le gris et resplendissant de mystère, qui, au Salon dernier, avait fait concevoir de si hautes espérances à tous les connaisseurs. Mais M. Haffner n'était pas encore un peintre de genre, cherchant à réunir et à fondre Diaz, Decamps et Troyon.

On dirait que Mme E. GAUTIER cherche à amollir un peu sa manière. Elle a tort.

MM. TISSIER et J. GUIGNET ont conservé leur touche et leur couleur sûres et solides. En

général, leurs portraits ont cela d'excellent qu'ils plaisent surtout par l'aspect, qui est la première impression et la plus importante.

M. VICTOR ROBERT, l'auteur d'une immense allégorie de l'Europe, est certainement un bon peintre, doué d'une main ferme; mais l'artiste qui fait le portrait d'un homme célèbre ne doit pas se contenter d'une pâte heureuse et superficielle; car il fait aussi le portrait d'un esprit. M. Granier de Cassagnac est beaucoup plus laid, ou, si l'on veut, beaucoup plus beau. D'abord le nez est plus large, et la bouche, mobile et irritable, est d'une malice et d'une finesse que le peintre a oubliées. M. Granier de Cassagnac a l'air plus petit et plus athlétique, jusque dans le front. Cette pose est plutôt emphatique que respirant la force véritable, qui est son caractère. Ce n'est point là cette tournure martiale et provocante avec laquelle il aborde la vie et toutes ses questions. Il suffit de l'avoir vu fulminer à la hâte ses colères, avec des soubresauts de

plume et de chaise, ou simplement de les avoir lues, pour comprendre qu'il n'est pas là tout entier. Le Globe, qui fuit dans la demi-teinte, est un enfantilou bien il fallait qu'il fût en pleine

lage, lumière!

J'ai toujours eu l'idée que M. L. BOULANGER eût fait un excellent graveur; c'est un ouvrier naïf et dénué d'invention qui gagne beaucoup à travailler sur autrui. Ses tableaux romantiques sont mauvais, ses portraits sont bons, clairs, solides, facilement et simplement peints; et, chose singulière, ils ont souvent l'aspect des bonnes gravures faites d'après les portraits de Van Dyck. Ils ont ces ombres denses et ces lumières blanches des eauxfortes vigoureuses. Chaque fois que M. L. Boulanger a voulu s'élever plus haut, il a fait du pathos. Je crois que c'est une intelligence honnête, calme et ferme, que les louanges exagérées des poètes ont seules pu égarer.

Que dirai-je de M. L. COGNIET, cet aimable éclectique, ce peintre de tant de bonne volonté et d'une intelligence si inquiète que, pour bien rendre le portrait de M. Granet, il a imaginé d'employer la couleur propre aux tableaux de M. Granet, laquelle est généralement noire, comme chacun sait depuis longtemps.

Mme DE MIRBEL est le seul artiste qui sache se tirer d'affaire dans ce difficile problème du goût et de la vérité. C'est à cause de cette sincérité particulière, et aussi de leur aspect séduisant, que ses miniatures ont toute l'importance de la peinture.

X

DU CHIC ET DU PONCIF

Le chic, mot affreux et bizarre et de moderne fabrique, dont j'ignore même l'orthographe *, mais que je suis obligé d'employer, parce qu'il est consacré par les artistes pour exprimer une monstruosité moderne, signifie : absence de modèle et de nature. Le chic est l'abus de la mémoire; encore le chic estil plutôt une mémoire de la main qu'une mémoire du cerveau; car il est des artistes doués d'une mémoire profonde des caractères et des formes, Delacroix ou Daumier, démêler avec le chic.

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et qui n'ont rien à

Le chic peut se comparer au travail de ces maitres d'écriture, doués d'une belle main et d'une bonne plume taillée pour l'anglaise ou la coulée, et qui savent tracer hardiment, les yeux fermés, en manière de paraphe, une tête de Christ ou le chapeau de l'Empereur.

La signification du mot poncif a beaucoup d'analogie avec celle du mot chic. Néanmoins, il s'applique plus particulièrement aux expressions de téte et aux attitudes.

Il y a des colères poncif, des étonnements poncif,

H. de Balzac a écrit quelque part : le chique.

par exemple l'étonnement exprimé par un bras horizontal avec le pouce écarquillé.

Il y a, dans la vie et dans la nature, des choses et des êtres poncif, c'est-à-dire qui sont le résumé des idées vulgaires et banales qu'on se fait de ces choses et de ces ètres aussi les grands artistes en ont horreur.

:

Tout ce qui est conventionnel et traditionnel relève du chic et du poncif.

Quand un chanteur met la main sur son cœur, cela veut dire d'ordinaire: Je l'aimerai toujours! Serre-t-il les poings en regardant le souffleur ou les planches, cela signifie: Il mourra, le traitre ! Voilà le poncif.

XI

DE M. HORACE VERNET

Tels sont les principes sévères qui conduisent dans la recherche du beau cet artiste éminemment national, dont les compositions décorent la chaumière du pauvre villageois et la mansarde du joyeux étudiant, le salon des maisons de tolérance les plus misérables et les palais de nos rois. Je sais bien que cet homme est un Français, et qu'un Français en France est une chose sainte et sacrée, et même à l'étranger, à ce qu'on dit; mais c'est pour cela même que je le hais.

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