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au Salon à la suite de La Permission de dix heures. C'est, comme on le voit, un tout autre ordre de sentiments ceux-ci sont moins mystiques.

En général, les tableaux de sentiment sont tirés des dernières poésies d'un bas-bleu quelconque, genre mélancolique et voilé; ou bien ils sont une traduction picturale des criailleries du pauvre contre le riche, genre protestant; ou bien empruntés à la sagesse des nations, genre spirituel; quelquefois aux œuvres de M. Bouilly, ou de Bernardin de SaintPierre, genre moraliste.

Voici encore quelques exemples de tableaux de sentiment : L'Amour à la campagne, bonheur, calme, repos, et L'Amour à la ville, cris, désordre, chaises et livres renversés : c'est une métaphysique à la portée des simples.

La Vie d'une jeune fille en quatre compartiments. Avis à celles qui ont du penchant à la maternité!

L'Aumône d'une vierge folle. — Elle donne un sou gagné à la sueur de son front à l'éternel Savoyard qui monte la garde à la porte de Félix. Au dedans, les riches du jour se gorgent de friandises. — Celuilà nous vient évidemment de la littérature Marion Delorme, qui consiste à prêcher les vertus des assassins et des filles publiques.

Que les Français ont d'esprit et qu'ils se donnent de mal pour se tromper! Livres, tableaux, romances, rien n'est inutile, aucun moyen n'est négligé par ce peuple charmant, quand il s'agit pour lui de se monter un coup.

XIV

DE QUELQUES DOUTEURS

Le doute revêt une foule de formes, c'est un Protée qui souvent s'ignore lui-même. Ainsi les douteurs varient à l'infini, et je suis obligé de mettre en paquet plusieurs individus qui n'ont de commun que l'absence d'une individualité bien constituée..

Il y en a de sérieux et pleins d'une grande bonne volonté; ceux-là, plaignons-les.

et

Ainsi M. PAPETY, que quelques-uns, ses amis surtout, avaient pris pour un coloriste lors de son retour de Rome, a fait un tableau d'un aspect affreusement désagréable, Solon dictant ses lois, qui rappelle, peut-être parce qu'il est placé trop haut pour qu'on en puisse étudier les détails, la -queue ridicule de l'école impériale.

Voilà deux ans de suite que M. Papety donne, dans le même Salon, des tableaux d'un aspect tout différent..

M. GLAIZE compromet ses débuts par des œuvres d'un style commun et d'une composition embrouillée. Toutes les fois qu'il lui faut faire autre chose qu'une étude de femme, il se perd. M. Glaize croit qu'on devient coloriste par le choix exclusif de certains tons. Les commis étalagistes et les habilleurs de théâtre ont aussi le goût des tous

riches; mais cela ne fait pas le goût de l'harmonie. Dans Le Sang de Vénus, la Vénus est jolie, délicate et dans un bon mouvement; mais la nymphe accroupie en face d'elle est d'un poncif affreux.

On peut faire à M. MATOUT les mêmes reproches à l'endroit de la couleur. De plus, un artiste qui s'est présenté autrefois comme dessinateur, et dont l'esprit s'appliquait surtout à l'harmonie combinée des lignes, doit éviter de donner à une figure des mouvements de cou et de bras improbables. Si la nature le veut, l'artiste idéaliste, qui veut être fidèle à ses principes, n'y doit pas consentir.

M. CHENAVARD est un artiste éminemment savant et piocheur, dont on a remarqué, il y a quelques années, Le Martyre de saint Polycarpe, fait en collaboration avec M. COMAIRAS. Ce tableau dénotait une science réelle de composition et une connaissance approfondie de tous les maîtres italiens. Cette année, M. Chenavard a encore fait preuve de goût dans le choix de son sujet et d'habileté dans son dessin; mais quand on lutte contre Michel-Ange, ne serait-il pas convenable de l'emporter au moins par la couleur ?

M. A. GUIGNET porte toujours deux hommes dans son cerveau, Salvator et M. Decamps. M. Salvator Guignet peint avec de la sépia. M. Guignet Decamps est une entité diminuée par la dualité. Les Condottières après un pillage sont faits dans la première manière; Xerxès se rapproche de la seconde. Du reste, ce tableau est assez bien composé, n'était le goût de l'érudition et de la curiosité, qui intrigue et amuse le spectateur et le détourne de la pensée principale; c'était aussi le défaut des

Pharaons.

MM. BRUNE et GIGOUX sont déjà de vieilles réputations. Même dans son bon temps, M. Gigoux n'a guère fait que de vastes vignettes. Après de nombreux échecs, il nous a montré enfin un tableau qui, s'il n'est pas très original, a du moins une assez belle tournure. Le Mariage de la Sainte Vierge semble être l'oeuvre d'un de ces maitres nombreux de la décadence florentine, que la couleur aurait subitement préoccupé.

M. Brune rappelle les Carrache et les peintres éclectiques de la seconde époque manière solide; mais d'âme, peu ou point; nulle grande faute, mais nulle grande qualité.

S'il est des douteurs qui inspirent de l'intérêt, il en est de grotesques que le public revoit tous les ans avec cette joie méchante, particulière aux flâneurs ennuyés à qui la laideur excessive procure quelques instants de distraction.

M. BARD, l'homme aux folies froides, semble décidément succomber sous le fardeau qu'il s'était imposé. Il revient de temps à autre à sa manière naturelle, qui est celle de tout le monde. On m'a dit que l'auteur de La Barque de Caron était élève de M. Horace Vernet.

M. BIARD est un homme universel. Cela semblerait indiquer qu'il ne doute pas le moins du monde, et que nul plus que lui n'est sûr de son fait; mais remarquez bien que parmi cet effroyable bagage, tableaux d'histoire, tableaux de voyages, tableaux de sentiment, tableaux spirituels, il est un genre négligé. M. Biard a reculé devant le tableau de religion. Il n'est pas encore assez convaincu de son mérite.

XV

DU PAYSAGE

Dans le paysage, comme dans le portrait et le tableau d'histoire, on peut établir des classifications basées sur les méthodes différentes: ainsi il y a des paysagistes coloristes, des paysagistes dessinateurs et des imaginatifs; des naturalistes idéalisant à leur insu, et des sectaires du poncif, qui s'adonnent à un genre particulier et étrange, qui s'appelle le Paysage historique.

Lors de la révolution romantique, les paysagistes, à l'exemple des plus célèbres Flamands, s'adonnèrent exclusivement à l'étude de la nature; ce fut ce qui les sauva et donna un éclat particulier à l'école du paysage moderne. Leur talent consista surtout dans une adoration éternelle de l'oeuvre visible, sous tous ses aspects et dans tous ses détails.

D'autres, plus philosophes et plus raisonneurs, s'occupèrent surtout du style, c'est-à-dire de l'harmonie des lignes principales, de l'architecture de la

nature.

Quant au paysage de fantaisie, qui est l'expression de la rêverie humaine, l'égoïsme humain substitué à la nature, il fut peu cultivé. Ce genre singulier, dont Rembrandt, Rubens, Watteau, et quelques livres d'étrennes anglais offrent les meil

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