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ni un code de lois dites improprement constitutionnelles. L'établissement des lois suppose quelque chose d'antérieur; un peuple a dû exister avant d'agir, être constitué avant de s'organiser.

Il me semble encore que la constitution d'un peuple ne peut pas avoir pour objet de fixer la manière de faire les lois et de les faire exécuter; car le peuple a toujours le droit de changer et d'adopter tel ou tel mode de législation, quand il le veut; or, d'après le principe d'un fameux publiciste qui dit que la constitution donne l'existence au corps politique, et que la législation lui donne la vie et le mouvement, on ne peut changer la constitution sans dissoudre la société, tandis qu'on peut changer, et qu'un peuple doit chercher même les moyens les plus propres à donner à la machine le meilleur mouvement possible.

La constitution d'un peuple enfin ne peut pas être un contrat entre ce peuple et son chef. Un contrat suppose une obligation réciproque, mais entre un peuple et son chef, il ne peut pas y en avoir d'absolue, puisqu'une des parties pourrait l'annuler à chaque instant. Qu'est-ce donc que la constitution d'un peuple? Il faut que je m'explique avant de répondre.

L'homme, dans l'état de nature, n'est ni libre ni esclave; il n'a ni droit à exercer, ni devoir à remplir. En entrant en société, il contracte des devoirs, mais il n'a pu s'imposer des devoirs sans acquérir des droits équivalens ; il n'a pu faire le sacrifice de son indépendance naturelle, sans obtenir en échange la liberté politique. Les droits qu'il acquiert par l'acte de son association sont donc naturels ; ils sont, par la même raison, imprescriptibles, et ils sont la base de cette même association.

C'est l'établissement de ces droits naturels et imprescriptibles, antérieur aux lois qui n'établissent que des droits positifs ou relatifs, quej'appelle la constitution d'un peuple.... Tous les peuples ont donc la même constitution, tacite ou exprimée, puisqu'ils ont tous les mêmes droits; ils les tiennent de la nature. Gravés dans le cœur des peuples libres, ils sont même empreints sur leurs fers, s'ils sont esclaves. Ces principes sont le code naturel de toutes les sociétés de l'univers.

T. H.

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On m'objectera, sans doute, que des exemples récens ont appris à étendre davantage le sens du mot de constitution. A cela, je répondrai que le principal vice des constitutions modernes est d'avoir établi, par le même acte, des droits de différente nature; d'avoir confondu ce qui donne l'existence au corps politique avec ce qui le conserve; en un mot, la constitution du peuple avec ses institutions.

C'est de cette confusion que naissent les abus qui se trouvent dans la plupart des constitutions établies. On a regardé comme droits immuables, des institutions qui doivent changer selon les temps, parce que les mœurs changent selon les circonstances, ainsi que les besoins et les rapports politiques.

Pour juger de la vérité de ce que je dis, faisons un peu atten tion aux effets d'une constitution mixte chez un peuple voisin; car une constitution est vicieuse toutes les fois qu'elle présente comme constitutionnel ce qui n'est que d'institution, et comme absolument nécessaire ce qui n'est que relatif.

Quels sont donc les droits naturels et imprescriptibles dont l'énonciation doit seule faire l'acte de la constitution d'un peuple? ils sont connus et évidens; ils ne demandent pas de grandes recherches.

Toute association étant volontaire, la volonté seule des associés peut déterminer leurs rapports réciproques; toute société existant par un pacte, et ne pouvant se conserver que par l'établis sement des lois et l'action des lois, les hommes en se réunissant, se sont nécessairement imposé le devoir de se soumettre aux lois et de reconnaître l'autorité chargée de les faire exécuter: de là le droit imprescriptible de faire leurs lois, de créer, conserver, circonscrire et déterminer l'autorité qui les exécute.

C'est d'après ces principes que j'ai rédigé le projet suivant :

Les Français, considérant qu'il leur était impossible de s'as sembler tous dans un même lieu, et de se communiquer leurs intentions, s'ils s'assemblaient dans des lieux différens, ont libre ment choisi dans chaque province ou dans chaque partie de pro

vince, des mandataires qu'ils ont envoyés à Versailles pour les

constituer en peuple libre.

Fidèles aux ordres de leurs commettans, dont ils exercent les droits et expriment les volontés, ces mandataires constitués en assemblée nationale ont déclaré et déclarent à jamais :

1o Que la volonté du plus grand nombre étant la loi de tous, chaque citoyen a droit de concourir à la formation des lois en exprimant son vœu particulier;

2° Que chaque citoyen doit être soumis aux lois, et qu'il ne doit, dans aucun cas, être forcé d'obéir à des volontés privées; 5° Qué chaque citoyen a le droit de concourir à l'institution du pouvoir chargé de faire exécuter les lois;

4o Que chaque citoyen a le droit de demander la conservation ou l'abrogation des lois et des institutions existantes, et la création de lois et d'institutions nouvelles ;

5° Que le pouvoir législatif et institutif appartenant essentiellement au peuple, chaque citoyen a le droit de concourir à l'organisation de tous les pouvoirs;

6° Que l'exercice de ce pouvoir peut être confié à des mandataires nommés par les habitans de chaque province, dans un nombre proportionné à celui des commettans;

7° Que l'époque de la tenue des assemblées nationales, leur durée ou la permanence même de l'une de ces assemblées, ne peuvent être déterminées que par la volonté des citoyens, exprimée par eux ou par leurs mandataires;

8° Qu'aucuns impôts, sacrifices ni emprunts ne peuvent être faits, exigés, ni perçus sans le consentement du peuple;

9° Qu'enfin, ces droits étant naturels, imprescriptibles, ils doivent être inviolables et sacrés ; qu'on ne peut y porter atteinte sans se rendre coupable du crime irrémissible de lèse-nation ; qu'appartenant indistinctement àtous les citoyens, ils sont tous libres, tous égaux aux yeux de la loi ; et qu'ayant tous les mêmes droits, ils ont aussi les mêmes devoirs et les mêmes obligations. C'est ainsi que je vois, que j'entends l'acte de la constitution d'un peuple.

De tout ce que j'ai dit, je conclus qu'une déclaration des droits bien entendue n'est autre chose que l'acte de la constitution du peuple, et que les actes par lesquels un peuple s'organise, doivent former la constitution du gouvernement du peuple, si le mot propre d'institution dont je me suis servi, ne paraît pas assez expressif.

Ce discours est couvert d'applaudissemens. L'impression est ordonnée.

M. le comte de Castellane. Messieurs, il me semble qu'il ne s'agit pas de délibérer aujourd'hui sur le choix à faire entre les différentes déclarations de droits qui ont été soumises à l'examen des bureaux; il est une grande question préalable, qui suffira sans doute pour occuper aujourd'hui les momens de l'assemblée : y aura-t-il une déclaration des droits placée à la tête de notre constitution? En me décidant pour l'affirmative, je vais tâcher de répondre aux différentes objections que j'ai pu recueillir.

Les uns disent que ces vérités premières étant gravées dans tous les cœurs, l'énonciation précise que nous en ferions ne serait d'aucune utilité.

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Cependant, Messieurs, si vous daignez jeter les yeux sur la surface du globe terrestre, vous frémirez avec moi, sans doute, en considérant le petit nombre des nations qui ont conservé, je ne dis pas la totalité de leurs droits, mais quelques idées, quel ques restes de leur liberté; et, sans être obligé de citer l'Asie entière, ni les malheureux Africains qui trouvent dans les îles un esclavage plus dur encore que celui qu'ils éprouvaient dans leur patrie; sans, dis-je, sortir de l'Europe, ne voyons-nous pas des peuples entiers qui se croient la propriété de quelques seigneurs? ne les voyons-nous pas presque tous s'imaginer qu'ils doivent obéissance à des lois faites par des despotes qui ne s'y soumettent pas? En Angleterre même, dans cette île fameuse, qui semble avoir conservé le feu sacré de la liberté, n'existe-t-il pas des abus qui disparaîtraient si les droits des hommes étaient mieux connus ?

Mais c'est de la France que nous devons nous occuper ; et je

le demande, Messieurs, est-il une nation qui ait plus constamment méconnu les principes d'après lesquels doit être établie toute bonne constitution? Si l'on en excepte le règne de Charlemagne, nous avons été successivement soumis aux tyrannies les plus avilissantes. A peine sortis de la barbarie, les Français éprouvent le régime féodal, tous les malheurs combinés que produisent l'aristocratie, le despotisme et l'anarchie; ils sentent enfin leurs malheurs ; ils prêtent aux rois leurs forces pour abattre les tyrans particuliers; mais des hommes aveuglés par l'ignorance ne font que changer de fers; au despotisme des seigneurs succède celui des ministres. Sans recouvrer entièrement la liberté de leur propriété foncière, ils perdent jusqu'à leur liberté personnelle; le régime des lettres de cachet s'établit: n'en doutons pas, Messieurs, l'on ne peut attribuer cette détestable invention, qu'à l'ignorance où les penples étaient de leurs droits. Jamais, sans doute, ils ne l'ont approuvée ; jamais les Français, devenus: fous tous ensemble, n'ont dit à leur roi: Nous te donnons une puissance arbitraire sur nos personnes; nous ne serons libres que jusqu'au moment où il te conviendra de nous rendre esclaves, et nos enfans aussi seront esclaves de tes enfans, tu pourras à ton gré nous enlever à nos familles, nous envoyer dans des prisons, où nous serons confiés à la garde d'un geôlier choisi par toi, qui, fort de son infamie, sera lui-même hors des atteintes de la loi. Si le désespoir, l'intérêt de ta maîtresse, ou d'un favori, convertit pour nous en tombeau ce séjour d'horreur, on n'entendra pas notre voix mourante; ta volonté réelle ou supposée t'aura rendu juste; tu seras seul notre accusateur, notre juge et notre bourreau. Jamais ces exécrables paroles n'ont été prononcées; toutes nos lois défendent d'obéir aux lettres de cachet; aucune ne les approuve; mais le peuple seul peut faire respecter les lois. Que pouvaient les parlemens, ces soi-disant gardiens de notre constitution? que pouvaient-ils contre des coups d'autorité, dont ils éprouvaient eux-mêmes lés funestes effets? Que pourraient même les représentans de la nation, contre les futurs abus qui s'introduiraient dans l'exer

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