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gnons en outre de ne consentir à aucun emprunt, à aucun subside, que la constitution ne soit invariablement fixée, et leur permettons de se relâcher sur les articles 14 et 15.

Cette déclaration est reçue avec les plus vifs applaudissemens. M. le comte de Mirabeau lit ensuite le projet d'adresse qu'il a été chargé de rédiger.

Cette adresse fait la plus vive sensation sur l'assemblée, qui se lève unanimement en signe d'adhésion.

La voici telle qu'elle a été lue, admirée, applaudie, adoptée,

Adresse au roi pour le renvoi des troupes.

«SIRE, vous avez invité l'assemblée nationale à vous témoigner sa confiance; c'était aller au-devant du plus cher de ses vœux. Nous venons déposer dans le sein de votre majesté les plus vives alarmes ; si nous en étions l'objet, si nous avions la faiblesse de craindre pour nous-mêmes, votre bonté daignerait encore nous rassurer, et même, en nous blâmant d'avoir douté de vos intentions, vous accueilleriez nos inquiétudes; vous en dissiperiez la cause ; vous ne laisseriez point d'incertitude sur la position de l'assemblée nationale.

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Mais, sire, nous n'implorons point votre protection, ce serait offenser votre justice; nous avons conçu des craintes, et, nous l'osons dire, elles tiennent au patriotisme le plus pur, à l'intérêt de nos commettans, à la tranquillité publique, au bonheur du monarque chéri qui, en nous aplanissant la route de la félicité, mérite bien d'y marcher lui-même sans obstacle.

Les mouvemens de votre cœur, sire, voilà le vrai salut des Français. Lorsque des troupes s'avancent de toutes parts, que des camps se forment autour de nous, que la capitale est investie, nous nous demandons avec étonnement : Le roi s'est-il méfié de la fidélité de ses peuples? S'il avait pu en douter, n'aurait-il pas versé dans notre cœur ses chagrins paternels? Que veut dire cet appareil menaçant? Où sont les ennemis de l'Etat et du roi qu'il faut subjuguer? Où sont les rebelles, les ligueurs qu'il faut réduire ?... Une voix unanime répond dans la capitale et dans l'é

tendue du royaume : Nous chérissons notre roi; nous bénissons le ciel du don qu'il nous a fait dans son amour.

Sire, la religion de votre majesté ne peut être surprise que sous le prétexte du bien public.

Si ceux qui ont donné ces conseils à notre roi avaient assez de confiance dans leurs príncipes pour les exposer devant nous, ce moment amenerait le plus beau triomphe de la vérité.

L'état n'a rien à redouter que des mauvais principes qui osent assiéger le trône même, et ne respectent pas la conscience du plus pur, du plus vertueux des princes. Et comment s'y prendon, sire, pour vous faire douter de l'attachement et de l'amour de vos sujets? Avez-vous prodigué leur sang? Etes-vous cruel, implacable? Avez-vous abusé de la justice? Le peuple vous impute-t-il ses malheurs? vous nomme-t-il dans ses calamités? Ontils pu vous dire que le peuple est impatient de votre joug, qu'il est las du sceptre des Bourbons? Non, non, ils ne l'ont pas fait, là calomnie du moins n'est pas absurde; elle cherche un peu de vraisemblance pour colorer ses noirceurs.

Votre majesté a vu récemment tout ce qu'elle peut sur son peuple; la subordination s'est rétablie dans la capitale agitée; les prisonniers, mis en liberté par la multitude, d'eux-mêmes ont repris leurs fers; et l'ordre public, qui peut-être aurait coûté des torrens de sang, si l'on eût employé la force, un seul mot de votre bouche l'a rétabli. Mais ce mot était un mot de paix ; il était l'expression de votre cœur, et vos sujets se sont fait gloire de n'y résister jamais. Qu'il est beau d'exercer cet empire! C'est celui de Louis IX, de Louis XII, de Henri IV; c'est le seul qui soit digne de vous.

Nous vous tromperions, sire, si nous n'ajoutions pas, forcés par les circonstances: cet empire est le seul qu'il soit aujourd'hui possible en France d'exercer. La France ne souffrira pas qu'on abuse le meilleur des rois, et qu'on l'écarte, par des vues sinistres, du noble plan qu'il a lui-même tracé. Vous nous avez appelés pour fixer, de concert avec vous, la constitution, pour opérer la régénération du royaume : l'assemblée nationale vient vous dé

clarer solennellement que vos voeux seront accomplis, que vos promesses ne seront point vaines, que les piéges, les difficultés, les terreurs ne retarderont point sa marche, n'intimideront point son courage.

Où donc est le danger des troupes, affecteront de dire nos ennemis?..... Que veulent leurs plaintes, puisqu'ils sont inaccessibles au découragement?

Le danger, sire, est pressant, est universel, est au-delà de tous les calculs de la prudence humaine...

Le danger est pour le peuple des provinces. Une fois alarmé sur notre liberté, nous ne connaissons plus de frein qui puisse le retenir. La distance seule grossit tout, exagère tout, double les inquiétudes, les aigrit, les envenime.

Le danger est pour la capitale. De quel œil le peuple, au sein de la disette et tourmenté des angoisses les plus cruelles, se verrát-il disputer les restes de sa subsistance par une foule de soldats menaçans? La présence des troupes échauffera, ameutera, produira une fermentation universelle; et le premier acte de violence, exercé sous prétexte de police, peut commencer une suite horrible de malheurs.

Le danger est pour les troupes. Des soldats français, approchés du centre des discussions, participant aux passions comme aux intérêts du peuple, peuvent oublier qu'un engagement les a faits soldats, pour se souvenir que la nature les fit hommes.

Le danger, sire, menace les travaux qui sont notre premier devoir, et qui n'auront un plein succès, une véritable permanence, qu'autant que les peuples les regarderont comme entièrement libres. Il est d'ailleurs une contagion dans les mouvemens passionnés; nous ne sommes que des hommes: la défiance de nous-mêmes, la crainte de paraître faibles, peuvent nous entraîner au-delà du but; nous serons obsédés de conseils violens, démesurés; et la raison calme, la tranquille sagesse, ne rendent pas leurs oracles. au milieu du tumulte, des désordres et des scènes factieuses..

Le danger, sire, est plus terrible encore, et jugez de son étendue par les alarmes qui nous amènent devant vous. De grandes

révolutions ont eu des causes bien moins éclatantes; plus d'une entreprise fatale aux nations et aux rois, s'est annoncée d'une manière moins sinistre et moins formidable.

Ne croyez pas ceux qui vous parlent légèrement de la nation, et qui ne savent que vous la représenter selon leurs vues: tantôt insolente, rebelle, séditieuse; tantôt soumise, docile au joug, prompte à courber la tête pour le recevoir. Ces deux tableaux sont également infidèles.

Toujours prêts à vous obéir, sire, parce que vous commandez au nom des lois, notre fidélité même nous ordonne cette résistance; et nous nous honorerons toujours de mériter les reproches qne notre fermeté nous attire.

Sire, nous vous en conjurons au nom de la patrie, au nom de votre bonheur et de votre gloire: renvoyez vos soldats aux postes d'où vos conseillers les ont tirés; renvoyez cette artillerie, destinée à couvrir nos frontières; renvoyez surtout les troupes étrangères, ces alliés de la nation, que nous payons pour défendre, et et non pour troubler nos foyers. Votre majesté n'en a pas besoin: eh! pourquoi un monarque adoré de vingt-cinq millions de Français ferait-il accourir à grands frais autour du trône quelques milliers d'étrangers?

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Sire, au milieu de vos enfans, soyez gardé par leur amour. Les députés de la nation sont appelés à consacrer avec vous les droits éminens de la royauté, sur la base immuable de la liberté du peuple; mais lorsqu'ils remplissent leur devoir, lorsqu'ils cèdent à leur raison, à leurs sentimens, les exposeriezvous au soupçon de n'avoir cédé qu'à la crainte? Ah! l'autorité que tous les cœurs vous défèrent, est la seule pure, la seule inébranlable; elle est le juste retour de vos bienfaits, et l'immortel apanage des princes dont vous serez le modèle.»

On demande que l'adresse soit incessamment présentée au roi par une députation de vingt-quatre membres. En conséquence, M. le président nomme la députation.]

M. Mounier fait le rapport du comité chargé de préparer le travail de la constitution. Nous allons le donner en entier.

[M. Mounier. Messieurs, vous avez un comité pour vous présenter un ordre de travail sur la constitution du royaume. Il va mettre sous vos yeux celui qu'il a jugé convenable, et vous examinerez dans votre sagesse s'il peut répondre aux vues qui vous animent.

Pour former un plan de travail sur un objet quelconque, il est nécessaire de l'examiner sous ses principaux rapports, afin de pouvoir classer les différentes parties. Comment établir leur liaison successive, si l'on n'a pas saisi l'ensemble?

Il a fallu nous faire une idée précise du sens du mot constitution, et une fois ce sens bien déterminé, il a fallu considérer la constitution telle qu'elle peut convenir à un royaume habité par vingt-cinq millions d'hommes, telle qu'elle a été entrevue par nos commettans.

Nous avons pensé qu'une constitution n'est autre chose qu'un ordre fixé et établi dans la manière de gouverner; que cet ordre ne peut exister, s'il n'est pas appuyé sur des règles fondamentales, créés par le consentement libre et formel d'une nation ou de ceux qu'elle a choisis pour la représenter. Ainsi, une constitution est une forme précise et constante du gouvernement, ou, si l'on veut, c'est l'expression des droits et des obligations des différens pouvoirs qui le composent.

Quand la manière de gouverner ne dérive pas de la volonté du peuple clairement exprimée, il n'a point de constitution; il n'a qu'un gouvernement de fait qui varie suivant les circonstances, qui cède à tous les événemens. Alors l'autorité a plus de puissance pour opprimer les hommes, que pour garantir leurs droits. Ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés sont également malheureux.

Sans doute nous ne pouvons pas dire qu'en France nous soyons entièrement dépourvus de toutes les lois fondamentales propres à former une constitution. Depuis quatorze siècles, nous avons un roi. Le sceptre n'a pas été créé par la force, mais par la volonté de la nation. Dès les premiers temps de la monarchie, elle fit choix d'une famille pour la destiner au trône. Les hommes

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