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dre. Partout l'ordre nouveau était en armes ou sur le point de les prendre. L'Assemblée pouvait donc, sans danger, être hardie avec la Cour, plus hardie même qu'elle ne le fut. Nous ne doutons pas que les plus courageux avocats de la révolution, tels que Mirabeau, Sieyès, etc., n'eussent parfaite conscience de cette position; et que si la majorité resta au-dessous de ces grands orateurs, ce fut par d'autres sentimens que ceux de la prudence.

La France était peut-être alors le seul pays en Europe où pût régner la communauté de principes et d'instruction dont témoigne la rédaction des cahiers du Tiers-état, tous écrits dans l'esprit d'une même doctrine, celle de J.-J. Rousseau. Cette unanimité était évidemment le résultat de l'unité de l'enseignement distribué à la jeunesse. Quelque peu avancé qu'il fût, il conduisait tous les Français sur le terrain des mêmes études, et leur inspirait les mêmes tendances intellectuelles. En général les hommes sérieux étaient nourris de la lecture du Contrat Social, et les hommes légers de celle de Voltaire. Or ce furent les premiers qui rédigèrent ces cahiers.

Avant le 14 juillet, le mouvement fut populaire, c'est-à-dire unanime. Mais après cette journée, lorsque la Cour parut définitivement vaincue, on vit apparaître deux peuples dans le Tiers-état. La bourgeoisie chercha à se constituer comme classe gouvernante. Alors, vint à naître ce système que les écrivains de 1789 nommèrent le Despotisme bourgeois. Ce nouvel ordre commença à trôner dans les Hôtels-de-ville, dans les districts: il chercha à s'attribuer le privilége d'être armé, en formant à lui seul toute la garde nationale. Nous le verrons à Paris, s'efforcer de fermer les clubs, puis essayer de faire taire la presse lorsqu'elle était hostile à ses prétentions. Nous le verrons même, plus tard, protéger les priviléges bourgeois, et écarter les réclamations des salariés. Mais toutes les fois que la noblesse ou le clergé viendront à élever la voix, nous retrouverons la bourgeoisie aussi animée que le premier jour, et en appelant encore à la violence populaire.

Ainsi, dès 1789, la bourgeoisie chercha à confisquer la révolution à son profit. Or, une nation qui agit révolutionnairement, travaille toujours pour un avenir plus ou moins éloigné, pour conquérir quelque bien dont les générations futures seules pourront jouir. Dans un pareil mouvement, celui qui pense à son intérêt particulier, à cet intérêt qui mourra avec lui, celui-là s'isole nécessairement des destinées sociales, et, dès l'instant même, involontairement, par la nécessité de la position qu'il a choisie, il devient réactionnaire. C'est ce qui arriva à la bourgeoisie de 4789: de peur de perdre la position supérieure où les événemens l'avaient poussée, elle voulut arrêter le mouvement révolutionnaire; et les écrivains patriotes l'accusèrent en effet de ne poursuivre la Noblesse et le Clergé qu'afin de prendre leur place, et de vouloir substituer l'aristocratie des richesses à celle de la naissance.

Les prétentions bourgeoises eurent leurs doctrinaires; l'un d'eux, et le plus conséquent, fut Brissot de Warville, l'un des trois cents repré

sentans de la commune de Paris, et plus tard, l'un des chefs des Girondins à la Convention. Il n'est donc pas inutile d'examiner comment le sentiment bourgeois put engendrer une doctrine, et quelle fut cette doctrine.

Lorsqu'une nation marche, et s'efforce pour conquérir la réalisation des principes de liberté, d'égalité et de fraternité, proclamés par les Evangiles, s'il arrive qu'une classe veut s'arrêter en route, cette classe se constitue nécessairement nation dans la nation, intérêt particulier visà-vis l'intérêt général, égoïsme en un mot, et par suite en opposition avec tous ceux qui se dévouent au bonheur des générations à venir. A plus forte raison, cela est-il vrai, si cette classe s'arrête, lorsqu'après avoir renversé toutes les supériorités qui pouvaient la contraindre au sacrifice et gêner le développement de sa personnalité particulière, elle se trouve libre enfin, et maîtresse de gouverner pour elle seule. Si cette classe vient à dominer, elle n'agira plus que dans le seul but de ce qui constitue l'intérêt particulier, l'intérêt qui naît et qui meurt, c'est-à-dire dans celui de la localité, de la corporation, de la profession, etc. Il est, en effet, indubitable que l'esprit bourgeois ne soit essentiellement local et essentiellement professionnel. Quelle doctrine politique répondra à de pareils buts? Évidemment, ce sera celle qui établira que les localités sont souveraines, et indépendantes les unes des autres, et qu'un état n'est autre chose qu'une fédération volontaire de ces localités souveraines chacune dans leur propre sein; qui établira enfin que le but social n'est autre chose que cette fédération de buts particuliers. Telle fut, en effet, la doctrine qui fut nommée fédéraliste, et qui fut adressée, par Brissot, aux communes de France, en septembre 1789. Nous prierons nos lecteurs de suivre avec quelque attention les actes de Brissot dans la suite de cette histoire. Ils verront que sa conduite fut en harmonie complète avec son début. Il fut, il est vrai, l'un de ceux qui prononcèrent les premiers le mot de république à l'époque où plusieurs des plus énergiques révolutionnaires se servaient encore de celui de monarchie. Mais l'idée de république, dans la doctrine bourgeoise que nous venons d'indiquer, était une conséquence rigoureuse de son principe même. En effet, la monarchie suppose l'unité, la centralisation, un intérêt qui commande et subordonne tous les autres; on ne savait pas encore que tout cela pût exister dans une république. On n'avait, en effet, sous les yeux que des républiques fédérales; la Hollande, la Suisse, les États-Unis. On adopta donc le mot de république avec la parfaite conviction qu'il représentait uniquement le principe et le règne des intérêts locaux.

Nous terminerons ici ces réflexions préliminaires. Nous dirons maintenant quelques mots sur les difficultés de notre travail, nous ne voulons pas les exagérer; mais si nous gardions un complet silence sur ce sujet, on pourrait croire qu'il nous suffit de consulter le Moniteur. En effet on pensé, en général, que ce journal contient la collection la plus complète de documens révolutionnaires. Malheureusement il n'en est point ainsi,

Le Moniteur ne rapporte pas même toujours exactement les séances de l'Assemblée nationale. Par exemple, dans celle du 25 juin, il a jugé à propos de supprimer le beau discours de Sieyès : ordinairement quand il s'agit de Robespierre, il se contente de dire que ce représentant a parlé, mais que les murmures ont couvert sa voix. En conséquence, des historiens ont avancé sérieusement que Robespierre n'avait que été ridicule à la Constituante, etc. En général, nous n'empruntons au Moniteur que la narration des séances législatives, et à l'avenir, nous désignerons nos emprunts par le signe [ placé au commencement, et ] à la fin.

Pour s'assurer, d'ailleurs, que notre travail n'est rien moins qu'un abrégé du Moniteur, il suffira de lui comparer nos livres; on verra qu'ils en diffèrent beaucoup, et osons ajouter, qu'ils sont autrement complets. Il nous a été assez difficile de composer toute la portion de notre histoire qui précède le 14 juillet. Avant cette époque, en effet, il n'y a point de journaux indépendans, sauf le journal des États-Généraux qui ne s'occupe que de l'assemblée. Nous n'avons rien pu extraire ni de la Gazette, ni du Journal de Paris, ni du Mercure de France. Ces feuilles parlent le moins qu'elles peuvent de ce qui se passe en les lisant, on croirait que la révolution est un rêve. Il nous a donc fallu'recourir aux brochures. La plupart, imprimées en secret, sont sans date. Nous en avons consulté, certainement, beaucoup plus d'un millier. Nous en avons extrait ce qu'on lira.

Le 14 juillet permit d'établir quelques journaux indépendans. D'abord ce fut celui de Prudhomme, qui fut rédigé par Loustalot, et posséda jusqu'à deux cent mille souscripteurs ; l'Ami du Peuple, rédigé par Marat, et que Desmoulins appelait le pain quotidien du peuple; le Courrier de Paris et de Versailles, par Gorsas, etc. Plus tard, les journaux devinrent plus nombreux; mais il n'est rien moins que facile de se les procurer complets. Il est telle pièce importante dont il n'existe pas aujourd'hui plus de deux exemplaires en France. Nous n'avons d'ailleurs qu'à nous féliciter de la bienveillance que nous trouvons partout, et qui facilite nos recherches. En terminant notre ouvrage, nous aurons bien des remerciemens à adresser, et nous espérons que nos lecteurs s'associeront à notre reconnaissance pour ceux dont la complaisance nous permet de faire un livre utile, et nous donnera le mérite d'une érudition que nous ne saurions atteindre

sans eux.

Nous profiterons de cette occasion pour annoncer qu'il sera donné à la fin des sessions de chaque assemblée une table analytique des matières, ainsi qu'une liste des membres qui les composaient.

HISTOIRE PARLEMENTAIRE

DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

DANS le précédent volume, nous avons vu les députés des com munes chassés de la salle des États-Généraux, réunis par groupes, au milieu d'une avenue de la ville, et presque délibérant sous le ciel; tous ces hommes n'avaient qu'une volonté, celle de trouver un lieu où ils pussent se réunir, afin de montrer que l'assemblée nationale existait toujours. Il ne s'agissait plus de conquérir un droit et d'accomplir le devoir qui leur était imposé par les cahiers, mais de venger leur dignité blessée, mais de donner cours à une colère trop justifiée; car ils se sentaient insultés aussi bien comme hommes que comme citoyens. La population, appelée à ce spectacle, ne s'échauffait pas moins vivement à l'insulte faite à ses représentans; aussi pendant que les gens de cour riaient de ce pauvre Tiers-état, si fier la veille, si petit aujourd'hui et presque sans asile, le peuple de Versailles fit cortège aux députés, lorsqu'ils se rendirent à l'appel de Bailly, et allèrent se réunir au Jeu de Paume.

Séance du Jeu de Paume.

(M. le président rend compte des faits, et communique deux lettres qu'il a reçues ce matin du marquis de Brezé, grand-maître des cérémonies..

1

Versailles, ce 20 juin 1789.

Le roi m'ayant ordonné, Monsieur, de faire publier par des hérauts l'intention dans laquelle sa majesté est de tenir lundi 22 de ce mois, une séance royale, et en même temps la suspension des assemblées que les préparatifs à faire dans les salles des trois ordres nécessitent, j'ai l'honneur de vous en prévenir.

Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et trèsobéissant serviteur,

Le marquis DE Brezé. › P. S. Je crois qu'il serait utile, Monsieur, que vous voulussiez bien charger MM. les secrétaires du soin de serrer les papiers dans la crainte qu'il ne s'en égare.

› Voudriez-vous bien aussi, Mousieur, avoir la bonté de me faire donner les noms de MM. les secrétaires, pour que je recommande qu'on les laisse entrer, la nécessité de ne point interrompre le travail pressé des ouvriers, ne permettant par l'accès des salles à tout le monde? >

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M. le président dit qu'il a répondu à cette lettre dans les termes suivans:

« Je n'ai reçu encore aucun ordre du roi, Monsieur, pour la séance royale, ni pour la suspension des assemblées ; et mon devoir est de me rendre à celle que j'ai indiquée pour ce matin huit heures.

Je suis, etc. >

En réponse à cette lettre, M. le marquis de Brezé lui a écrit la seconde, dont la teneur suit :

Versailles, ce 20 juin 1789.

« C'est par un ordre positif du roi que j'ai eu l'honneur de vous écrire ce matin, Monsieur, et de vous mander que sa majesté voulant tenir lundi une séance royale qui demande des préparatifs à faire dans les trois salles d'assemblée des ordres, son intention était qu'on n'y laisse entrer personne, que les séances fussent suspendues jusqu'après celle que tiendra sa majesté.

> Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et trèsobéissant serviteur,

Le marquis DE BREZÉ. ›

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