dont saint Louis était le protecteur. Louis IX se montrait plus libéral dans cette circonstance et plus charitable envers les malheureux, que le poète des carrefours, organe cependant de l'Université et du peuple. Rutebeuf, d'ailleurs, est bon catholique, et déplore amèrement les douleurs et la décadence de l'Eglise : Sainte Eglise se plaint: ce n'est mie merveille, Si fil sont endormi; n'est nus qui por li veille; « La sainte Eglise se plaint, et ce n'est guère étonnant. Tout le monde s'apprête à lui livrer la guerre. Ses enfans dorment. Nul ne veille pour elle. A moins que Dieu ne la conseille, elle est en péril extrême. » Mais Rome lui semble la cause de cette décadence même, et il ne ménage pas la vénalité, la rapacité de cette dernière : Qui argent porte à Rome assés tost provende a; Quiconque porte à Rome de l'argent, aussitôt a son bénéfice; on ne les donne pas comme Dieu l'ordonne. A Rome, on vous dit : « Si tu veux obtenir, paie! Si tu ne veux pas payer, passe ton chemin ! Il faut remarquer ces phrases purement italiennes, déjà devenues proverbiales en France avant le XIVe siècle. Il continue: Sainte Eglise la noble, qui est fille de roi, Cil qui l'ont asservie ont fait moult grant des roi ; Ains puisque le dizimes fu pris en sainte Eglise, Dessous la loi de Rome n'a nul region Que on li tolt souvent sa laine et sa toison. Por quoi ne prent li papes dizime d'Allemagne, En Baviere, en Sessoigne, en Frise et en Sardaigne? Qui l'alast querre là por estre roy d'Espaigne. «Sainte Eglise, noble fille de roi, épouse de Jésus-Christ, école de la loi, ceux qui l'ont asservie ont fait un grand crime, et, ce qui l'a fait, c'est la convoitise et le manque de foi. ». Depuis que la dîme a été enlevée à la sainte Eglise, le roi de France n'a réussi à rien de ce qu'il entreprenait; il n'a pris ni Damiette, ni Tunis, ni la Pouille; le roi de Saint-Denis n'a pas été roi d'Aragon. » Aucun pays n'obéit de cœur à Rome, si ce n'est la France; et, pour récompense de cette obéissance, on lui arrache souvent la laine de sa toison. → Pourquoi le pape ne s'attribue-t-il pas la dîme en Allemagne, en Bavière, en Saxe, en Frise, en Sardaigne? Il n'y a cardinal, tant. haut portât-il l'épée, qui allât la chercher là, lui promît-on d'être roi d'Espagne. » Après cette vigoureuse apostrophe, Rutebeuf passe en revue les différens ordres religieux, cordeliers, jacobins, bernardins, bénédictins. Il n'épargne pas même les chanoines qui mènent fort bonne vie. Et poi font por amis et assés por amie. Les nonnes blanches et noires exécutent de beaux pèlerinages; mais elles les prodiguent un peu, et Quant ces nonnains se vont par le pays esbatre, Tel fois en part l'en deux qu'on en ramaine quatre. Après avoir médit des béguines, des doyens et des prêtres; après avoir même retrouvé la convoitise et l'égoïsme chez les avocats, chez les juges et chez tous les gens mariés, le poète conclut par ces deux vers: Certes c'est grans doleurs que je ne puis trover Ces épigrammes se trouvent dans la Vie du monde, satire vive des mœurs du XIIe siècle, et qui comprend quarante-six quatrains. Là, comme dans toutes les œuvres de Rutebeuf, se manifeste l'opinion de ce poète, de l'Université qu'il représente, et du peuple auquel il appartient, contre la milice des moines mendians. CHAPITRE XIII. Décadence de l'esprit monacal. Dialogue de Tubalcain. Du XIIe au XVIe siècle l'esprit monacal, défendu par la ferveur religieuse, et la papauté, toujours en butte aux attaques violentes de la bourgeoisie, des parlemens et de l'Université, finit par avoir le dessous. Les railleries amères de Rabelais prouvent à quel point la retraite des couvens était devenue odieuse et impopulaire. Un dialogue, publié vers le commencement du xvi° siècle |