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La destruction du clergé régulier, du monachisme et des ordres religieux par la réforme protestante, constitue un fait très significatif qu'il est nécessaire d'expliquer. Si les moines, entraînes par les faiblesses humaines, étaient souvent corrompus, charnels, indolens ou ambitieux, cette infraction aux devoirs de leur état ne détruisait point le type moral, le type de pureté et de re

noncement qu'ils avaient choisi pour leur symbole. Une abbaye même pleine de débauches et de scandales cachés, n'en était pas moins une abbaye. L'hypocrisie elle-même concourait à prêcher les doctrines que la conduite privée blessait chaque jour. Quel quë fût le moine qui habitât les solitudes du cloître et quelque vie qu'il menât, le peuple voyait en lui le type vivant et continuel de l'abnégation.

Il vint un temps où les peuples du Nord, toujours plus sincères et plus rudes que les nations du Midi, trouvèrent cette abnégation qu'on leur imposait fatigante et peu d'accord avec les mœurs de ceux qui faisaient à leurs ouailles de si belles recommandations. La civilisation s'était répandue des contrées italiennes dans les régions germaniques, et avec la lumière, le doute. Les érudits grecs avaient quitté Constantinople envahie par les barbares, et pénétré jusqu'au fond de la Bohême et de la Scandinavie, apportant avec eux Platon et Homère. La renaissance italienne, puisant elle-même ses clartés à la source grecque, avait continué l'œuvre, et l'imprimerie l'avait achevée.

Alors les sauvages Germains s'éveillèrent et frémirent sous le joug des évêques et de Rome. Ils aimaient en général le vin, la bière et les grossiers plaisirs. Ils crurent s'apercevoir que ces

mêmes moines qui parlaient si haut d'abstinence ne la pratiquaient guère. Il se fit, chez ce peuple sincère, grossier encore à cette époque, un énorme mouvement de révolte; à la voix de Luther, il lui sembla que ses yeux s'ouvraient. Les ordres religieux du christianisme s'étaient prodigieusement multipliés. Il y avait dans les villes peu d'écoles publiques; sur les grandes routes une multitude de grands seigneurs qui faisaient le brigandage et qui en tiraient vanité (1); dans les abbayes et chez les évêques, plus de tonneaux de vin que de missels, de cuissards, de brassards et d'habits de gala que d'étoles. De ces anciens donjons de granit rose que l'on voit encore sur les bords du Rhin, s'élançaient les nobles qui tombaient sur les passans, sur les marchands, sur les voyageurs, comme des vautours sur leur proie. Quand le voyageur manquait, ces bandits suzerains se rabattaient sur les abbayes. Les abbayes et les évêchés se défendaient, et comme des chefs ecclésiastiques avaient titre seigneurial, ils en usaient largement. L'évêque, souvent dévalisé par le baron voisin, prenait les armes à son tour, munissait son palais comme une cita

(1) « Il n'y a plus, dit un écrivain allemand du seizième siècle, que brigandage en Allemagne; les nobles sont tous bandits; plus ils pillent, plus ils sont fiers. » (Freher, Rer. germ. scrip., t. II, p. 291.)

delle et finissait par vivre des produits du grand chemin, à l'instar du landgrave et du burgrave.

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Quels sont vos revenus ? » demandait à l'archevêque de Cologne l'intendant de ce dernier.

Les quatre routes qui mènent au château, » répondit le prélat (1). Exposé aux attaques des nobles, au pillage des bourgeois, le prélat, prince et prêtre, chef spirituel et chef temporel, joue alors le plus étrange et le plus dangereux rôle. Il dit la messe avec son gantelet de fer, et tient ses armes toujours prêtes, son cheval toujours sellé dans l'écurie. Ce devait être un spectacle curieux de voir l'évêque d'Eischtedt dans son palais, chargé d'une pesante cotte de maille toute luisante d'acier, et traînant une longue rapière bavaroise dont la poignée n'était autre chose qu'un crâne humain. Piccolomini, ce spirituel Italien qui devint pape sous le nom d'OEneas Sylvius, s'étonne fort de la vie que menaient dans leurs citadelles, ces princes mitrés, entourés de chiens de chasse et de bouffons souvent ivres, comme c'était la coutume en Allemagne, et qui, sortant de table, enfourchaient leur cheval de bataille pour aller guerroyer contre le voisin ou pil

ler le passant.

(1) Baluze, Miscell. Opera Baldwini, Episcopi Trevirensis

(T. I, p. 101.)

Dans l'intérieur des abbayes germaniques il se passait des choses plus étranges. Ces moines, qui auraient dû conserver le feu sacré de l'intelligence, ne perpétuaient que l'ignorance et l'ivrognerie. En vain auraient-ils pu soutenir que sous Charlemagne et après lui ils avaient contribué à la civilisation nationale, et banni le paganisme sanguinaire des temps anciens, les noms de la religieuse Hroswitha, de Raban Maur et d'Alcuin, appartenaient à une antiquité trop reculée pour exercer aucune influence présente. Le peuple et les nobles méprisèrent ces moines ignorans et avides, qui, du fond de leur cellule, obéissant à la papauté, cherchaient à perpétuer leur tyrannie séculaire sur des intelligences émancipées. Au premier souffle de la réforme, le nord de l'Allemagne, l'Angleterre, l'Écosse, une partie de la Suisse, balayèrent tous les couvens. Nulle part la proscription ne fut plus complète ni plus violente qu'en Angleterre, sous la direction de Henri VIII. L'aristocratie hérita des dépouilles monastiques.

Non seulement la destruction des monastères a été entachée d'illégalité, de rapacité, d'iniquité, mais tous les résultats moraux et politiques de cette mesure ont été loin de répondre aux espérances des philosophes et des historiens septentrionaux. Ces asiles détruits ont rejeté dans le

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