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monde une foule d'âmes malheureuses, d'existences brisées, d'esprits débiles, de caractères sans lest et sans boussole, ou même d'hommes faits pour la retraite et la prière. On a remarqué avec étonnement que depuis la suppression des couvens dans certains pays, les suicides y devenaient plus nombreux, que l'administration des secours donnés aux pauvres y devenait plus difficile et la bienfaisance moins spontanée et moins active.

Dans le midi, les couvens avaient porté au seizième siècle des fruits bien différens. Les lumières y avaient pénétré, non pas exemptes de corruption, mais du moins avec une corruption savante. Les Ximenès et les Savonarole, les Ignace de Loyola, sortaient des couvens. La plupart des monastères, par exemple celui du Mont-Cassin, étaient des arches de salut pour les lettres; Sadolet Rembo, Bibliena, tous les beaux esprits de l'Italie consultaient avec une assiduité curieuse les bibliothèques des couvens. Aussi se conservèrent-ils dans le midi, où ils produisirent ensuite des résultats très importans; on vit les bénédictins en France s'emparer de la science archéologique et la féconder, les bollandistes achever l'œuvre colossale de la Vie des saints; la Gallia Christiana, la Gallia orientalis sortir des plumes des moines, tandis que les membres de

la société de Jésus se chargeaient de réveiller la foi catholique dans les classes supérieures. Alors naquit ce célèbre ordre monastique qui, par sa puissante constitution, par les talens et les travaux de ses membres, est devenu, sous le rapport de l'influence, le premier corps de l'Église, et a exercé sur les affaires religieuses et politiques du monde moderne, pendant ses crises les plus profondes, une action telle, qu'à travers toutes les exagérations de ses partisans et de ses adversaires l'histoire a quelque peine à l'apprécier.

CHAPITRE XV.

Naissance, progrès et développement de l'institution de Loyola.

Le catholicisme, ébranlé dans le Nord par la réforme, attaqué dans le Midi par la dépravation des moines et par le progrès des connaissances humaines, cherchait un moyen de défense. Une nouvelle corporation se chargea de résister au torrent, de faire reculer, ou du moins de maintenir stationnaire le mouvement du monde social; cette corporation prit pour titre : Société de Jésus. Elle ac

complissait, dans une époque de doute et de réforme, de scepticisme qui s'annonçait et de liberté qui faisait sentir ses premières atteintes, une tâche pénible, une tâche de résistance et de lutte contre le courant même des idées et l'entraînement universel des esprits.

Ainsi elle tenta d'opérer, en religion, la reaction; en politique, la résistance; en philosophie, la résurrection de l'autorité.

Constamment en opposition avec l'esprit des trois derniers siècles, elle a été mal comprise et mal jugée sous ce point de vue ; aujourd'hui même on trouve étrange que cet ordre ait combattu ce qu'il avait à combattre, et que son antagonisme avec le temps persiste encore dans le cours naturel des choses cela n'a pas besoin de preuves; il est à remarquer que le fondateur des jésuites, contrairement à ses vues primitives, fut conduit à sa mission spéciale par la nature des événemens qui éclatèrent sous ses yeux.

En effet, le jeune page de Ferdinand-le-Catholique, Ignace de Loyola, qui se voua à la religion parce qu'il ne se consolait pas de se voir estropié à la suite d'une blessure qu'il avait reçue au siége de Pampelune, ne se proposait d'abord que de mener désormais une vie d'austérités et de dévotion, semblable à celle des saints personnages dont il lisait l'histoire pendant sa convalescence.

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