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êt des Gibelins en Italie, la résistance des clergés locaux en Espagne et en Portugal, les collisions fréquentes du trône et de l'autel, les luttes sourdes ou avouées auxquelles les libertés de l'Église gallicane donnèrent lieu, ne sont autre chose que le résultat de cet antagonisme invincible et perpétuel.

Le protestantisme et la réforme s'y rattachent même par d'autres côtés. Si dans les régions méridionales la loi romaine était gênante pour le développement des institutions chrétiennes, elle avait du moins cet immense avantage d'en balancer jusqu'à certain point les abus: elle revendiquait les droits du pouvoir civil dont elle assurait l'action. La théocratie ne pouvait pas s'établir en France, ni même en Espagne; les nationalités se conservaient au lieu d'aller se fondre et se perdre dans le grand centre de l'unité catholique, à Rome. Il y avait des garanties et des barrières contre l'envahissement du clergé. La loi romaine, étant éminemment disciplinaire et souvent despotique, groupait et constituait les populations qu'elle arrangeait dans les cadres des municipalités; les traditions et la vie militaire romaine en perpétuaient la sécurité; le roi moderne se substituait à l'imperator romain dont il saisissait le pouvoir; le jurisconsulte, interprète de cette législation savante et ar

rêtée, venait s'asseoir à ses pieds pour en expliquer les arrêts; et si quelque velléité théocratique s'emparait du clergé, une résistance vive, puissante, légale se dressait aussitôt devant lui.

Rien de tel dans les contrées germaniques, au nord, où la loi romaine, loi d'ordre et de discipline, n'était pas établie.

Le principe suprême de la jurisprudence barbare et des vieilles mœurs auxquelles cette jurisprudence avait donné naissance, était celui de la liberté individuelle. Là on n'avait pas de municipes. On n'obéissait pas au consul, on n'admettait pas de dictateur; le jugement des citoyens suffisait. L'assemblée des hommes libres statuait sur la guerre et sur la paix. La force individuelle se trouvait investie d'une bien plus haute valeur; la force sociale en avait beaucoup moins. Dans ces régions de vieille indépendance sauvage, les formes du gouvernement romain passaient pour despotisme, les habitudes de l'obéissance disciplinaire pour servage.

Les conséquences de cet état de choses furent nombreuses et n'ont pas été observées de près, que je sache du moins. La force morale du christianisme, ne trouvant pas d'obstacle et de barrière dans ces pays du nord, les transforma bien plus

profondément; elle s'empara de la vie civile; elle se mêla au gouvernement. On vit des évêques régir les choses temporelles, garder des citadelles, commander des armées, s'assimiler aux suzerains, s'attribuer le pouvoir féodal. Rome, à titre de souveraine catholique, s'attribua des impôts considérables, dont elle exigea durement le paiement.

Les corporations de moines et de religieuses, dont aucune autorité ne contrôlait les mœurs et la vie, tombèrent bien plus facilement dans un relâchement fatal. L'indépendance nationale des pays septentrionaux se sentit blessée par les prétentions romaines, la moralité publique par la licence des moines, et l'autorité des seigneurs et des rois par les usurpations territoriales des primats et des évêques. Ces derniers cherchèrent à Rome un appui et un asile, à Rome qui jadis par ses armes avait asservi la terre habitable et qui la régissait maintenant par les lois canoniques et la religion.

Il se fit donc au nord, depuis l'origine même du christianisme, une rébellion secrète contre la suprématie romaine; tandis qu'au midi la même résistance prenait la forme d'une lutte légale. Les deux mouvemens aboutirent, l'un à la réforme religieuse, l'autre à la révolution française,

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Au nord, où la loi romaine n'avait jamais eu de puissance, l'esprit du christianisme se conserva; mais Rome fut attaquée par Luther, et son pouvoir se trouva détruit en 1550.

Au midi, où la législation romaine régissait depuis long-temps les populations, la lutte entre la puissance temporelle et la puissance spirituelle fut, pour ainsi dire, régulière. Il y eut quelques trèves de peu de durée, jamais une véritable paix, et cette situation qui n'était pas violente comme au nord, était bien autrement dangereuse. Elle armait la loi du pays contre la religion du même pays.

En Angleterre et dans une partie de l'Allemagne, rien de tel n'avait lieu. Luther et Wicliffe, comme Calvin et Henri VIII, comme Maximilien et Ulrich de Hutten, trouvèrent de l'écho dans toutes les âmes allemandes et anglaises, lorsqu'ils réclamèrent contre Rome, ville étrangère et despotique; contre le pape, souverain étranger; contre les impôts romains et l'esprit monacal.

Le mouvement qu'ils dirigeaient était parfaitement en harmonie avec le mouvement ancien des esprits qui s'était fait depuis si long-temps sentir dans leur nation et dans leur race. C'était la vieille querelle d'Arminius contre Rome; et les fils d'Arminius, par lesquels, en défi

nitive, Rome guerrière avait été vaincue, ne se sentaient pas enclins à laisser Rome ecclésiastique reprendre la victoire.

Du vie au XVIe siècle, un spectacle singulier se développa en Germanie; l'esprit chrétien s'y infiltrait plus profondément, et la haine contre Rome y germait plus ardente. Au midi, au contraire, la loi et la religion se balançaient; les jurisconsultes dépositaires de la loi romaine en défendaient le trésor contre le clergé. Ce dernier, chargé de répandre la flamme chrétienne, repoussait les efforts des jurisconsultes; combat varié dans ses victoires, et dont les annales composent une des parties les plus curieuses et cependant les plus mal appréciées de l'histoire moderne.

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