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PARIS. --- IMPRIMERIE ÉD. PROUX, 3, RUE NEUVE-DES-BONS-ENFANS.

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Une des questions les plus embarrassantes et les plus graves qui se soient présentées pendant ces derniers temps, est celle des corporations religieuses, de l'existence légale que la société moderne leur assure ou leur dénie, de leurs prétentions et de leurs droits. D'une part, certaines corporations ont été autorisées spécialement; d'une autre, des corporations non autorisées, mais vivement encouragées par le gouvernement d'une époque récente se sont acclimatées et enracinées. Les partisans de la thèse favorable aux corpo

rations religieuses font valoir le principe de liberté sur lequel reposent les sociétés modernes et qu'une proscription quelconque paraît blesser. Leurs adversaires répondent, qu'en vertu de ce principe même de liberté, la société a le droit d'éliminer ce qui la blesse ou la met en danger, et qu'elle en use.

Cette attaque et cette défense expriment deux passions hostiles, deux systèmes en lutte : le présent et le passé; - la société actuelle et la société d'autrefois. Les prétentions sont contradictoires et inconciliables; mais le problème politique et légal n'a point trouvé sa solution.

Rien n'éclaircit les questions comme la méthode historique. Toutes les obscurités cèdent à ce procédé si simple, laborieux sans doute, mais certain. Il faut, portant une clarté ferme et courageuse dans les détours d'une question, chercher par quel labyrinthe d'événemens elle a passé, comment elle s'est modifiée, altérée, transformée, par quel milieu elle s'est imprégnée de nuances diverses et souvent contraires.

C'est ici surtout qu'une telle méthode est puissante. La double origine des lois qui régissent ou plutôt qui régissaient les corporations, nous révèlera d'un coup le danger réel et la bizarre équivoque d'une situation double et fausse. Les deux pouvoirs d'où émane cette

législation incomplète et confuse, le pouvoir civil et le pouvoir religieux, n'ont pas cessé, à travers le moyen-âge et la monarchie, de se livrer la guerre. La société moderne a été faite de tant de pièces, dit Montesquieù, que l'on y trouve les débris des élémens les plus hostiles.

Selon la législation romaine antérieure au christianisme, toute corporation ou association étrangère au corps même de l'Etat, commet, par le fait seul de son existence, un délit punissable. Elle se détache de l'ensemble, elle met lá société en danger, elle forme un groupe en dehors de la sphère vivante et agissante. C'était ainsi que la société antique se défendait ellemême.

Mais la loi romaine pure, la loi républicaine est-elle applicable à la société moderne métamorphosée tour à tour par les institutions féodales et monarchiques? Ces dernières reconnaissent une multitude de groupes isolés, qui gravitent autour du point central; cette constitution est l'essence de la féodalité dont la monarchie a recueilli l'héritage.

La société antique était un monde organique très complet, un tout, un ensemble aussi régulier et aussi exclusif que possible; elle redoutait et frappait d'anathême tout élément disparate, toute partie qui ne s'assimilait pas à l'ensemble,

toute subdivision qui ne s'accordait pas avec la masse de manière à s'y perdre, à s'y évanouir, à y disparaître. De là ces procédés violens, ces lois terribles qui détruisaient sans pitié la résistance ou même l'isolement et le détachement de la moindre fraction du tout; de là cette dureté sanglante des lois draconiennes, l'iniquité de l'ostracisme chez les Athéniens, la cruauté de certaines lois chez les Romains, la dictature, la pros→→ cription, la mise hors la loi, la spoliation. C'est une erreur de croire que la liberté fut l'âme des sociétés antiques; la liberté réelle n'appartient qu'aux temps modernes, la liberté pour tous, l'égalité devant la loi. Les anciennes républiques étaient des associations de guerriers nobles. Le soldat romain, le marchand des places publiques de la Grèce, oppresseurs sans remords, n'avaient pas le plus léger soupçon de la fraternité humaine. Ils se croyaient frères de leurs égaux; ils tuaient sans pitié l'esclave né en Phrygie ou en Gaule.

Ils usaient et détruisaient à leur profit, dans leur arsenaux, dans leurs carrières, dans leurs caves, dans leurs boutiques un million ou deux de ces animaux bipèdes qu'ils traitaient plus mal que nos coursiers ne sont traités dans nos écuries. Ils ne faisaient rien par eux-mêmes; l'Athénien et le Romain ne labouraient, ne tissaient, ne

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