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CHAPITRE II.

Rome ancienne en face du christianisme.

Esprit des corpora

tions hostile à Rome.

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- Les sodalitates bannies de la répuRécit de Tite-Live.

Le pouvoir des institutions chrétiennes devait effrayer les dépositaires de la loi; l'on vit plusieurs d'entr'eux, à la fois chrétiens de cœur et fidèles à leur mission de jurisconsultes, épuiser leur vie et les forces de leur intelligence dans un essai de conciliation impossible; d'autres prendre parti avec violence pour la loi romaine contre Rome.

La logique sévère était pour ces derniers. S'ils voulaient rester jurisconsultes romains, fidèles à l'exemple des Papinien et des Ulpien, il fallait qu'ils combattissent l'usurpation spirituelle. Rien n'avait été proscrit avec plus de soin par la loi romaine que cette usurpation,

Le pouvoir civil, sous la république de Romulus, était le même que le pouvoir religieux. Le consul était augure, le dictateur était grandprêtre, la vestale était femme politique. Là, quiconque usurpait le pouvoir religieux, usurpait le pouvoir civil et tombait sous le coup de la loi. Cela résultait expressément de l'organisation même de la société antique.

On conspirait contre l'Etat dès qu'on faisait une religion nouvelle, puisque cette religion et cette doctrine tendaient à un résultat nouveau, à la création d'un autre Etat.

Socrate n'est mort que parce qu'il conspirait.

Le jurisconsulte romain trouvait donc dans la loi, toutes les armes nécessaires pour repousser l'usurpation religieuse; mais voyez quel obstacle! La société moderne n'était fondée sur autre chose que sur l'usurpation religieuse. Les empereurs, pendant cinq siècles, avaient frappé de mort et de tous les supplices ces envahissemens qu'ils ne pouvaient comprimer. La loi romaine était l'ennemie invétérée du christia

nisme; cette antique ennemie s'était perpétuée dans le sein même d'une société chrétienne !

Il n'y avait rien que la loi romaine punît et poursuivît avec plus de rigueur et de persévérance que les corporations isolées de l'Etat, les colléges, les sodalités (sodalitates); il n'y avait rien que la société chrétienne et le génie chrétien encourageassent aussi vivement que ces mêmes corporations. La loi romaine les accusait d'égoïsme, d'isolement, d'hostilité contre les intérêts publics, de danger pour ces mêmes intérêts; l'esprit chrétien les louait de ce même isolement, de ce même égoïsme, qu'il nommait abnégation, de cette individualité étrangère aux intérêts de la communauté. Les corporations religieuses, objets d'anathème pour le jurisconsulte païen de Rome, étaient pour le chrétien moderne l'expression définitive de la sainteté.

Je ne décide pas, j'expose.

L'hostilité de la loi et même de l'institution romaine, contre les corporations, n'est nulle part plus évidente que dans le récit de ce que Tite-Live nomme une conspiration découverte et punie; si l'on veut examiner les faits avec soin, on reconnaîtra qu'il n'était question dans cette grave affaire que d'une corporation religieuse.

L'an de Rome 566 avant Jésus-Christ, sous le consulat de Spurius-Posthumus Albinus et de

Marcius Philippus, un Grec ignoble, c'est à dire d'extraction vulgaire, personnage d'ailleurs enthousiaste et affilié aux rites de l'Egypte, mais homme superstitieux et faisant l'inspiré (sacrificulus et vates), vint en Etrurie y professer des dogmes nouveaux, d'étranges mystères, des sacrifices bizarres (occultorum antistes sacrorum).

Rome avait toujours été superstitieuse; la nouvelle doctrine, long-temps secrète, ne tarde pas à se répandre. Elle admettait la volupté et l'orgie qu'elle mêlait aux crédulités les plus folles; elle sentait qu'il était nécessaire de présenter aux hommes la perspective du plaisir, pour caresser les imaginations et leur offrir quelque attrait, additæ voluptates..... quo plurium animi illice

rentur.

Ce fut un grand scandale à Rome; et TiteLive, si attaché à l'institution romaine, décrit avec minutie l'horreur inspirée par les désordres et les bacchanales des affiliés. Au lieu de la narration très étendue de l'historien, nous ne pouvions mieux faire que de reproduire l'analyse que l'une des gloires de la magistrature française a faite de ce fragment historique. C'est avec amour et un soin particulier qu'il a fait ressortir les points les plus importans du récit; on voit que l'esprit de la législation romaine animait à la

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