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Mais comment l'esclave s'acquittera-t-il du rôle de maître?

Vainement essaya-t-on d'isoler la doctrine chrétienne de la théorie civile, la loi religieuse dont le pouvoir civil ne devait pas s'occuper, de la loi civile que les maîtres spirituels ne devaient ni critiquer ni atteindre, encore moins combattre. De tous côtés l'élément nouveau du christianisme pénétrait dans la loi et dans le fait, altérait les mœurs, changeait les habitudes et métamorphosait les institutions. Tantôt c'était la situation des femmes, tantôt la condition des esclaves qui cédaient au souffle nouveau. Sans doute le prince convoquait les conciles; mais en décidant les hautes questions du dogme et de la discipline qui s'y agitaient, les évêques se prononçaient souvent de la manière la plus directe contre les volontés du prince.

Dès le berceau de l'institution chrétienne, la chaire retentit souvent d'anathèmes contre les courtisans, et même de protestations contre les décisions du monarque.

CHAPITRE II.

Le pouvoir spirituel sous Charlemagne. Triomphe de la tiare sous Hildebrandt.

On se soumet à César, mais en paroles; et certes, ni saint Basile, ni şaint Grégoire de Nazianze n'oublient jamais d'abattre au pied du trône de Dieu l'orgueil et la grandeur des souverainetés temporelles; aussi voit-on Justinien, Théodose et tous les empereurs chrétiens s'effrayer de l'empiétement et s'efforcer de soutenir, de relever le trône. Ils défendent à l'Église de

recevoir des legs et des dotations sans leur assentiment; ils déclarent que les décisions des conciles, pour avoir force de loi, devront être sanctionnées par l'autorité civile; enfin, ils posent de tous côtés des bornes à un pouvoir qui menace de les envahir de toutes parts, qui est plus moral, plus éclairé, chargé de plus de semences de progrès et de germes d'avenir que l'ancien pouvoir matériel, et armé de la confiance des peuples. Ces limites étaient souvent illusoires; quelquefois elles cédaient et reculaient devant la force des choses. Dans les régions surtout que les hordes germaines avaient conquises, l'élément chrétien se confondant avec l'élément romain, opposa une digue puissante à la barbarie et recueillit les fruits de cette résistance. Childebert, Chlotaire, ou, comme on les nommait alors, Hildbert, Hlothar, font aux évêques des concessions plus grandes encore que Justinien et Théodose; ils leur accordent le droit d'asile, l'exemption d'impôts, la juridiction ecclésiastique, quelquefois la suzeraineté ou la souveraineté féodale. La force brutale, la puissance des armes s'abaissent partout devant la puissance intellectuelle et civilisatrice.

Dans les temps et les pays où le spirituel et le temporel avaient besoin l'un de l'autre et s'appuyaient mutuellement, tout alla bien, et ce fut en définitive le premier des deux qui recueillit les fruits de

l'alliance; mais on vit combien ils étaient inconciliables en réalité, quand l'empire partagé montra d'une part Rome politique et chrétienne, gouvernée par un évêque, d'une autre, Constantinople et l'empire grec régis par un empereur. Ce déchirement représentait avec exactitude la nature hostile des deux pouvoirs. Souvent les évêques s'étaient permis d'intervenir dans les questions politiques, et personne n'avait su les refouler dans le sanctuaire les empereurs s'immiscèrent dans les questions de doctrine, et aussitôt le divorce eut lieu. L'occasion de ce grand événement, si caractéristique en elle-même, à peine rapportée par les historiens, mérite attention à double titre; elle signale la scission du nord et du midi de l'Europe, en même temps que la lutte du christianisme spiritualiste et de la politique temporelle.

Toujours amoureux des arts, les Romains, habitués à leurs images et incapables de se prêter à la mysticité subtile qui égarait au sein des régions métaphysiques les Byzantins dégénérés, défendirent, contre les iconoclastes, leurs statues de Jésus-Christ, leurs vierges et leurs saints. Léon l'Isaurien essaya vainement de les réduire : ils s'insurgèrent pour les arts chrétiens, chassèrent les officiers du prince et ne voulurent reconnaître pour maître que leur évêque. La puissance temporelle se joignit donc à la puissance spirituelle

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