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CHAPITRE III.

Triomphe du principe chrétien et de la papauté, du XIo au XIII siècle. · Hildebrand.

Les abus et les excès du pouvoir temporel furent excessifs entre le vie et le x siècle. Le pouvoir était aux mains des barbares, et la force brutale, représentée par la féodalité, eût étouffé jusqu'à la dernière étincelle du christianisme et de l'humanité, si le principe chrétien n'avait été doué de cette puissance vitale qui l'a fait concou

rir avec une activité si merveilleuse aux progrès de la civilisation.

Par degrés, on vit la féodalité armée s'abaisser devant la tiare, le chevalier bardé de fer courber la tête devant le lévite, et les doctrines de l'Evangile dominer le code brutal de la force et de la victoire.

L'investiture ecclésiastique fut arrachée aux profanes; l'élection du pape appartint désormais aux cardinaux et aux évêques. Bientôt on alla plus loin; de l'affranchissement, selon les habitudes de l'esprit humain, on passa bien vite à l'usurpation. Grégoire VII, se posant comme seigneur féodal, affirma que tous les biens ecclésiastiques enclavés dans chaque royaume relevaient de sa suzeraineté ; prétention inconciliable avec les droits des chevaliers et des monarques, et qui fit naître de longues et vives querelles jusqu'au moment où le concile de Worms, séparant soigneusement les deux puissances, établit que l'une resterait souveraine indépendante du monde spirituel, symbolisée par l'investiture de la crosse et de l'anneau; l'autre, souveraine non moins indépendante de la sphère temporelle, dont le type était l'investiture par le sceptre.

On voyait ainsi se dessiner la double et contraire nature des deux pouvoirs : l'un prétendant diminuer la force brutale par la croyance; l'autre

inquiété dans sa possession réelle par une autorité morale sur laquelle il s'était appuyé longtemps et qui commençait à devenir gênante. Ge fut un choc terrible et qui dura pendant tout le moyen-âge. Les monarques les plus pieux ne voient pas sans terreur l'excommunication envahir la vie civile ; des impôts ecclésiastiques épuiser le trésor de leurs peuples; une milice de moines s'emparer de toutes les issues; et le trône sur le point d'être mis en tutelle par l'autorité religieuse. L'argument était terrible et presque irrésistible: Dieu est au dessus des rois; l'Eglise vient de Dieu; elle sanctionne les rois et doit les dominer. C'était le résultat et le corollaire naturel de cet autre principe qui a présidé à la fondation de la société moderne tout entière: « Les intérêts humains sont au dessous des intérêts du ciel; le pape représente ces derniers, et l'édifice tout entier des affaires temporelles et spirituelles lui est soumis. >>

Celui qui réalisa un moment cette théocratie gigantesque fut un homme de génie que nous avons déjà nommé.

Grégoire VII, élu pape le 20 avril 1073, connu avant son pontificat sous le nom de Hildebrand, était fils d'un charpentier de Soano, en Toscane, nommé Bonizone.

Issu lui-même d'une corporation religieuse, il

mérite ici d'être cité, comme ayant un moment décidé le triomphe du principe spirituel sur le principe temporel.

Il avait, de bonne heure, embrassé l'état monastique, après avoir fait ses études en France, dans l'abbaye de Cluny. Des talens extraordinaires lui procurèrent de brillans succès dans la prédication. Très jeune encore il mérita les bienfaits de Grégoire VI, et ensuite l'estime et la bienveillance particulière de Léon IX. On lui confia le monastère de Saint-Paul, qu'il trouva dans un état de désordre affligeant, il parvint à y rétablir les mœurs et la discipline. Il fut employé dans des négociations importantes auprès de l'impératrice Agnès, mère de Henri IV (1), vers laquelle il fut envoyé en ambassade sous le pontificat d'Alexandre II.

Député en qualité de légat en France, il présida aux conciles de Lyon et de Tours; il eut part à la réforme d'un grand nombre d'églises, et particulièrement de celle de Milan; réforme qu'il commença sous Nicolas II et qui l'occupa encore depuis son exaltation. Son crédit devint immense, et son pouvoir presque absolu. Malgré l'opposition de la cour d'Allemagne, et la

(1) Roi de Germanie, qui prenait le titre de roi des Romains, et n'eut celui d'empereur que le 31 mars 1084.

puissance d'Albéric ainsi que des autres chefs du parti aristocratique dans Rome, il disposa deux fois de la tiare en faveur de Nicolas II et d'Alexandre II, et fit chasser les deux antagonistes qu'on leur avait opposés. Sous Alexandre II, il gouverna toutes les affaires ; et il lui succéda le jour même où ce pape fut inhumé. Il fut élu par une espèce d'acclamation tumultueuse, suivant ce qu'il raconte lui-même à Didier, abbé du MontCassin, et à Guilbert, archevêque de Ravenne, dans les lettres qu'il leur écrivit à ce sujet.

Dès le lendemain de sa nomination, il députa au roi Henri IV pour le détourner de lui donner son consentement, déclarant que s'il demeurait pape, il était résolu de ne point laisser impunis les crimes dont ce prince était chargé. Henri envoya à Rome le comte Eberhard, avec ordre de prendre des informations sur la manière précipitée dont cette élection s'était opérée. Hildebrand assura qu'il n'avait point cherché la dignité pontificale, qu'on lui avait fait une espèce de violence, mais qu'au surplus il n'avait point voulu être ordonné ni sacré sans avoir obtenu le consentement royal. Henri parut satisfait de ces explications, et envoya son consentement, malgré l'opposition des évêques allemands et lombards qui redoutaient le caractère d'Hildebrand.

La première insulte était venue de Hilde

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