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LIVRE TROISIÈME.

LES JÉSUITES ET LES JANSÉNISTES DU XVI
AU XVIII SIÈCLE.

CHAPITRE I".

Situation des corporations religieuses au moment de la réforme.

Reprenons les choses de plus haut. A la tête des armées catholiques romaines, le monde avait vu les moines, représentans de la spiritualité chrétienne, ennemis des intérêts temporels,

monter à la conquête spirituelle qui devait envahir les peuples et dominer les trônes; sur ces milices monacales tombèrent les premiers coups. Lorsque la réforme, en éclatant, détacha toutes les populations septentrionales des races du midi, l'adhérence profonde des corporations religieuses avec le Vatican et ses intérêts devint évidente et incontestable. Ulrich de Hutten, Calvin, Luther, poursuivirent les moines de leurs railleries, de leurs sarcasmes et de leurs invectives. Dans le Nord, le pouvoir temporel secoua, avec une joie excessive, les derniers débris de la chaîne que la puissance spirituelle lui avait imposée. Dans le Midi, les souverains et les princes, sans pousser les choses aussi loin, relâchèrent, autant qu'il était en eux, cette chaîne antique et toujours pesante.

Deux grandes causes avaient déterminé le déchirement du protestantisme et de Rome catholique: la vieille haine de la race germanique contre ses vainqueurs politiques, et la lassitude éprouvée par les victimes du pouvoir spirituel, long-temps en butte à ses excès de tyrannie. Les remontrances de Maximilien (gravamina Germanicæ gentis) annoncèrent la lutte; les impôts prélevés par Rome sur les peuples la commencèrent; un moine révolté détermina la victoire. Depuis long-temps des pamphlets répandus à profusion avaient engagé les

cénobites à réfléchir sur leur situation et à reconnaître « que leurs nœuds et leurs sermens étaient » nuls devant Dieu; que la loi divine n'avait créé >> ni l'esclavage de l'homme, ni l'écrasement de » toutes ses facultés et de tous ses désirs; mais >> au contraire, qu'elle avait affranchi l'humanité; » que tous les vœux, inspirations superstitieuses, >> étaient condamnés par Jésus-Christ; que l'hom>> me, enfin, ne pouvait, sans pécher, se vouer » éternellement, ni à la pauvreté qui frapperait >> l'Etat lui-même d'indigence, ni à la virginité » qui tarissait la population et équivalait à un suicide universel, ni à l'obéissance, attentat >> contre la conscience individuelle. >>

Tels étaient les argumens dont les réformateurs se servaient pour battre en brèche le monachisme, et qui, en Angleterre, dans une partie de l'Allemagne et dans la plupart des pays du Nord, furent couronnés d'un complet succès. La base du pouvoir spirituel s'écroulait ainsi, et un christianisme nouveau, respectant les droits de la chair et du sang, négligeant ou méprisant l'ascétisme, s'introduisait dans le monde. Ce christianisme renouvelé sapait l'autorité romaine; il se portait l'ennemi juré de la papauté; et cette hostilité violente contre Rome, la Babylone nouvelle, était la forme la plus saillante du protestantisme. Il ramenait l'homme au culte de la famille; c'était sa

prétention la plus heureuse et la plus salutaire. Il faut ajouter que, par son respect du home, du heim, du foyer domestique, de la famille, la réforme flattait les habitudes, les affections casanières et les sympathies les plus intimes des gens du Nord.

Ainsi furent frappés d'anathème les religieux et les religieuses, à la fois étrangers à la patrie par leur obéissance envers Rome et aux sentimens domestiques par leur profession de célibat. Le foyer domestique, renfermant dans son enceinte et sous son abri les plus chers et les plus tendres intérêts de l'homme, retrouva une sainteté plus complète et plus consacrée ; l'autel s'éleva au sein de la famille; le père fut un patriarche, et la langue détestée que les anciens romains avaient parlée, la langue latine, bannie même des prières, fit place à l'idiome national des vieux Germains.

Toutes ces idées se tiennent, toutes ces réformes sont cohérentes entre elles, et l'on voit combien elles nuisaient à Rome et au catholicisme. Elles servaient et réhabilitaient l'intérêt humain aux dépens de l'intérêt céleste dont le christianisme primitif avait arboré l'étendard et fait prévaloir la loi. Non seulement le peuple et la masse septentrionale tressaillirent de joie, le bourgeois, flatté dans ses goûts, dans ses souvenirs et dans ses haines, embrassa le protestantisme; mais les savans

et les érudits se réjouirent d'un tel changement qui leur apportait la liberté de l'étude. Autrefois le catholicisme avait eu des scrupules et des terreurs à propos des études profanes; saint Jérôme avait maudit Virgile; saint Augustin s'était repenti d'avoir lu Térence avec trop de volupté; après la réforme on pouvait lire enfin et examiner avec un plaisir délicat toutes les productions de l'antiquité et des temps modernes. L'heure de l'affranchissement intellectuel sonnait. Les princes du Nord prêtaient avec joie leur appui à cette révolution qui les exemptait d'un joug étranger et des redevances qu'ils avaient consenties; ils applaudissaient à un changement national et patriotique qui replaçait sous leur autorité immédiate, toute une population de religieux, souvent rebelles ou indifférens.

Bientôt le dogme même fut oublié en partie ou du moins traité légèrement; la prédication devint morale plutôt que religieuse; une certaine honnêteté évangélique fut le but unique des discours prononcés dans la chaire sacrée, et les protestans, quelque distingués que fussent d'ailleurs les talens dont leur communion s'honorait, ne purent avoir ni des Fénélon, ni des Massillon, ni des Bossuet. L'enthousiasme, ce guide terrible et grand, souvent fatal, même dans ses élans sublimes, manquait à cette

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