Page images
PDF
EPUB

Acquaviva mourut en 1615. Avant la fin du XVIIe siècle, les jésuites régnaient partout; l'ordre était rétabli dans les pays d'où il avait été expulsé; il était entré dans les conseils de tous les rois; les peuples servaient son influence, et son chef aurait pu marcher de pair avec les princes les plus puissans. Il cachait sa main et sa force, tout en exerçant une action profonde et universelle. Vingt-quatre maisons de profès, cent quatre-vingts colléges, quatre-vingt-dix séminaires, cent soixante résidences, quarante-huit noviciats, cent soixante missions lui obéissaient. C'étaient les vingt et un mille personnes les plus actives et les plus intelligentes du monde civilisé, et dans ce nombre huit mille prêtres : comment s'étonner de l'envie ou plutôt de l'effroi qu'ils inspirèrent à Nulle action politique n'aurait pu lutter contre l'action morale du général des jésuites. Cette société, si fortement unie, joua donc dans l'Eglise, dans l'Etat, dans l'enseignement, un rôle presque souverain, de 1615 à 1715.

Nous avons dit que Marie de Médicis favorisait l'ordre en sa qualité d'Italienne; elle lui per mit d'enseigner publiquement toutes les sciences. Le duc de Luynes continua le même système; Richelieu obligea les jésuites de France à plier devant lui, ce qui n'étonna personne, car tout le monde pliait devant Richelieu. Après Riche

lieu, ils s'élevèrent par degrés, et la naissance espagnole de Louis XIV fut pour beaucoup dans l'accroissement de leur pouvoir. Cette monarchie semi asiatique que Louis XIV voulait fonder avait besoin de semblables appuis.

1

CHAPITRE IV.

Le pouvoir temporel attaqué à la fois par le jansénisme et par les

jésuites.

Le Père Letellier.

La bulle Unigenitus.

Certes, pour atteindre des résultats semblables à ceux que la corporation et l'association des jésuites avaient obtenus, on n'avait pas mis seulement en jeu la religion, la piété, la propagande de l'Evangile et les idées morales; on avait employé les ressorts politiques, la ruse, la fraude, l'administration la plus habile, moyens les plus subtils. On n'avait dédaigné ni

les

la science mondaine, ni le négoce, ni la vie des cours, ni même les salons et quelquefois les boudoirs.

C'était par une multitude de moyens terrestres et plus ou moins condamnables, tous contraires à l'ascétime, que les jésuites avaient soutenu et fait triompher la cause du pouvoir spirituel. Chose singulière! ils avaient donné, par cette conduite même, un énorme développement à la liberté humaine. Ils avaient pratiqué l'industrie, cultivé l'astronomie, fait des vers, dirigé des navires, fondé des colonies, établi des lois, bâti des villes, défriché des provinces; ils avaient poussé aussi loin que possible sinon l'orgueil apparent, au moins la volupté secrète de la domination; riches, puissans, embrassant le monde comme une conquête, ils s'étaient éloignés autant que possible de l'humilité. Ils comptaient dans leur sein des docteurs, des évêques, des financiers, des architectes, jusqu'à des musiciens et des peintres.

Au moment même où se réalisait au profit de Rome, du pouvoir spirituel, et d'eux-mêmes, le magnifique rêve conçu par Loyola; au moment où les princes qu'ils servaient et qu'ils enrichissaient leur rendaient partout hommage, l'esprit des chrétiens plus austères se révolta contre eux. Il se fit au sein même du catholicisme, une insur

« PreviousContinue »