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quatre mille membres de l'ordre, il re s'en trouva que cinq qui consentirent à accepter l'offre que l'État leur faisait. En vain, croyait-on avoir fini, lorsque, l'an 1764, on eut aboli l'ordre en France. Clément XIII, loin de prononcer la suppression qu'on lui demandait, autorisa les jésuites de France à se dépouiller de leur costume, sauf à rester fidèles à leur mission, et menaça de l'excommunication ceux qui les persécuteraient, soit dans ce royaume, soit ailleurs. Le pontife ne se laissa fléchir, ni par les plus énergiques réclamations des puissances, ni par la perte d'Avignon et du Comtat-Venaissin dont se servit la France, ni par celle de Bénévent que prit le roi de Naples. >>

Rome avait bien ses raisons pour reculer devant une condamnation qui la frappait elle-même : c'était ruiner son vieux pouvoir. Lorsque Ganganelli, pape dévoué aux Bourbons et à la France, fut intronisé sous le nom de Clément XIV, ce spirituel pontife, reconnaissant qu'il était inutile de lutter contre l'esprit du siècle, essaya de persuader aux jésuites, et spécialement à leur général Ricci, un silence prudent, et surtout des concessions nombreuses quant à la suprématie de la puissance temporelle. Ricci refusa, fut mis en prison, et l'ordre supprimé le 20 juillet 1773, « parce que la » société de Jésus ne pouvait plus rendre les servi» ces pour lesquels elle avait été fondée, »

CHAPITRE VI.

Attitude de l'Université et du Parlement pendant la lutte des deux puissances.

La destruction de Port-Royal annonce la destruction des jésuites et la prépare. Ce sont deux actes et, il faut bien en convenir, ce sont deux persécutions parallèles. Louis XIV craignait. les jansénistes, corporation austère, armée de talens estimés et admirés, professant des doctrines redoutables en ce qu'elles impliquaient la croyance au fatalisme, et composant au sein

de son gouvernement un groupe ́compacte et presque spartiate. Il se cachait au sein du jansénisme une verve de critique, une secrète ferveur d'opposition, une puissance de résistance, et comme un demi-calvinisme dogmatique, d'autant plus dangereux que les formes respectueuses envers le souverain pontife étaient conservées, et que les jansénistes ne brisaient pas le lien de l'unité. D'un coup de son pouvoir, Louis XIV écrasa cette association d'âmes énergiques dont la chaîne secrète se maintint néanmoins.

Ce furent elles qui, plus tard, précipitèrent les coups du duc de Choiseul et des philosophes, et vengèrent cruellement Port-Royal en ruines. Elles avaient pour alliées toutes les congrégations ennemies des jésuites, dominicains, génovéfins, augustins, bénédictins, même les ordres mendians, et surtout l'Université et le parlement.

Sans doute il y eut des magistrats attachés aux jésuites, des parlementaires favorables à Rome, comme il y eut des universitaires qui se détachaient de l'opinion de leurs confrères, des rois soumis à l'autorité spirituelle, d'autres qui l'ont faiblement combattue, et des corporations qui n'ont pas toujours défendu la papauté avec fidélité ou avec zèle; ces exemples ne sont que des exceptions. Ils ne changent rien à la distribution générale des groupes et des intérêts que nous

avons indiqués plus haut, et dont nous allons poursuivre l'étude et le tableau avec la même exactitude, sans nous inquiéter des nuances et des détails qui n'altèrent point les vues d'ensemble, et qui en sont au contraire la confirmation.

Dans ce vaste combat du pontife et du chef civil, auquel la nouvelle ère chrétienne a donné naissance, lorsqu'elle a séparé le pouvoir moral du pouvoir de fait, nous avons vu quel rôle jouaient, quelle place occupaient naturellement le magistrat et le professeur. Tant que le clergé interpréta les lois, tant que les écoles furent sous sa main, aucun danger et aucune scission ne se manifestèrent; réunissant la triple autorité du sacerdoce religieux, de la sanction légale et de l'instruction à répandre, le prêtre n'eut à rendre compte de ses actes dans cette triple et importante capacité qu'à un roi souvent barbare et inférieur à lui pour les lumières, la modération et la sagesse. Mais par degrés tout changea: les élémens de la société s'isolèrent l'un de l'autre; la distribution de la justice, le soin de l'éducation, l'étude des sciences, prirent chacune leur place spéciale et séparée. L'autel, autour duquel avait roulé la vie civile tout entière, vit se former des groupes distincts, dont chacun aspirait à devenir son propre maître; l'Université et le Parlement levèrent l'étendard contre les corporations, c'est à dire contre Rome. Quelquefois vain

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