Page images
PDF
EPUB

LIVRE QUATRIÈME.

LES CORPORATIONS RELIGIEUSES EN FACE DE LA RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

CHAPITRE IER.

Les Corporations supprimées.

Le pouvoir spirituel, affaibli et affaissé de toutes parts, avait peine à conserver un reşte ou plutôt une apparence d'autorité morale, dépouillée de presque toute force sur les choses temporelles

les corporations religieuses, créées par la papauté, partageaient ce discrédit général, lorsque le nouvel esprit, l'esprit moderne, éclata dans toute sa violence.

En 1789, du 2 au 6 novembre, l'assemblée nationale fit d'un seul coup main basse sur les biens du clergé. Les propriétés ecclésiastiques furent mises à la disposition de la nation. Quatorze siècles de possession, les Capitulaires de Charlemagne, les donations de Clovis, la sanction des rois, les services rendus, les pauvres secourus, la civilisation propagée et secondée, rien ne put arrêter le coup de massue qui tomba de tout son poids sur le clergé. Les peuples sont ingrats, peut-être doivent-ils l'être; ils achètent leurs progrès au prix d'une destruction nécessaire et continuelle, qui remplace les créations antiques par des ruines nouvelles, et les ruines nouvelles par des créations inattendues.

Les couvens furent abolis; l'orage de l'opinion populaire soufflait si violemment, que pas une voix ne s'éleva en faveur de la vie cénobitique. Bénédictins, chartreux, carmes, trappistes, tombaient, emportés par le même anathème, enveloppés du même tourbillon. L'habile chef politique, Mirabeau, demandait, dans la même motion, la pauvreté des évêques et douze cents francs au moins pour les curés, c'est à dire le triomphe

et la glorification de la démocratie dans le clergé. Il supprimait et balayait d'un souffle l'opulence de l'aristocratie ecclésiastique.

Le débat fut magnifique et bizarre; chacun affectait de se renfermer dans le point de droit on faisait semblant de discuter des faits; la réalité de l'attaque était voilée par tout le monde, L'esprit du christianisme, voilà ce que l'on attaquait. Le pouvoir moral du clergé séculier et du clergé régulier, des ecclésiastiques et des moines, avait causé, justifié même jusqu'à certain point leur pouvoir social; l'estime avait donné la richesse; car il n'y a pas de corporation estimée qui ne devienne nécessairement riche. Leur pouvoir moral tombait, leur pouvoir social disparaissait, leur richesse s'éclipsait; rien de plus naturel. Qu'est-ce que le droit en présence des passions?

Le christianisme avait surgi, en hostilité com plète et déclarée contre le droit romain et contre la société romaine; il avait fondé un droit qui était à lui et à lui seul. Après dix-sept siècles, le christianisme, attaqué comme institution, voyait s'engloutir tout-à-coup l'opulence qu'il avait créée en faveur de ses membres.

Les avocats et les parlementaires, en grand nombre dans l'assemblée, soutinrent la thèse que l'on devait s'attendre à voir soutenue par eux;

ils attaquèrent avec acrimonie, vivacité et avec toutes les subtilités du droit, les priviléges ecclésiastiques. On a vu plus haut que ce combat durait depuis long-temps; ce n'était rien autre chose que la vieille querelle du droit romain contre le clergé, de la société antique contre la société chrétienne. Thouret et Lechapelier représentèrent la jurisprudence. L'abbé Maury et plusieurs évêques soutinrent avec verve les droits du clergé. Mirabeau exprima plus nettement que personne la révolte intime de la société nouvelle contre le pouvoir moral du christianisme. Ce fut lui qui, planant au dessus de la discussion, selon sa coutume, établit en principe que le ministre du culte devait cesser d'être le directeur moral, le maître spirituel. Désormais on le réduisait à n'être autre chose qu'un officier public, un fonctionnaire ordinaire rétribué par l'Etat. Le clergé, comme corps, comme agrégation politique, capable d'acquérir et de posséder, était anéanti; il devenait semblable à toutes les professions; il perdait l'autorité morale. C'était la suprême défaite, le dernier désastre que pût subir le pouvoir spirituel dans sa longue lutte contre le pouvoir temporel. Resplendissant et tout-puissant au moyenâge, il avait chassé devant lui les peuples comme de vils troupeaux et posé le pied sur les couronnes. Par d'imperceptibles degrés, il s'était vu enfin

« PreviousContinue »