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le droit de les contraindre à renoncer purement et simplement à leurs intentions, dans le bassin conventionnel tout au moins, les décrets de concession rappelant expressément les dispositions de l'acte général de Berlin. Vous ne pouvez donc pas les empêcher de circuler librement sur les cours d'eau et les autres parties du domaine public, ni d'entrer en relations avec les indigènes pour leur vendre les marchandises importées et leur acheter les produits des territoires réservés à ces indigènes.

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Les droits et obligations de chacun sont très nettement définis dans les décrets, cahiers des charges et instructions ministérielles, mais leur exercice et leur exécution ne se produisent pas par le fait seul de leur définition.

Si, en France, des gardes-forestiers sont nécessaires pour la protection de bois dont la superficie est bien inférieure au millième de celle du plus petit domaine du Congo, l'on n'est pas en droit de compter que la publication des décrets suffira à empêcher les noirs de récolter des produits hors des réserves, et de les vendre à d'autres que les concessionnaires. D'autre part, ceux-ci, qui n'ont généralement chacun qu'une dizaine d'agents européens, ne peuvent faire établir autour des réserves un chemin de ronde sur lequel des patrouilles essaieraient, comme le font en France des douaniers ou des employés d'octroi, de veiller à ce que les décrets soient respectés. Ce moyen, quoique coûteux, aurait toutes chances, du reste, d'être complètement inefficace.

Dans une brochure que j'ai fait paraître en janvier 1899 et que j'ai intitulée « Concession coloniale, droits et obligations en résultant», je disais :

« Si les droits et obligations des deux contractants ne sont pas très nettement déterminés, les plus grands avantages stipulés au profit du concessionnaire peuvent être annihilés par une interprétation rigoureuse ou erronée que l'Elat ferait d'une concession mal définie. Bien plus, la concession peut devenir un leurre.

«L'indication sur les cartes géographiques des territoires concédés donne des illusions aussi bien à l'Etat qu'au concessionnaire. L'Etat est de bonne foi, il croit bien avoir accordé une concession octroyant des droits, et le concessionnaire est persuadé que ceux-ci sont largement la contre-partie de ses obli

gations. Mais, en réalité, tous deux sont dans l'erreur si les agents de l'Etat n'interprètent pas d'une façon libérale les clauses de restriction. >>

Ainsi que vous le voyez, Monsieur le Ministre, suivant l'usage établi en France, j'imputais à l'administration la faiblesse de la valeur des concessions. Mais aujourd'hui je ne m'en prends plus à elle. Le gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir pour que la jouissance concédée puisse être exercée, mais c'est bien en vain.

J'arrive donc à conclure que dans le bassin conventionnel du Congo, tout au moins dans les pays où ne se trouvent pas des sultans, les seules concessions qui puissent être utilisées sont celles de la toute propriété de parcelles dont l'exploitation réelle serait organisée méthodiquement, et non pas au moyen de la rafle.

J'ai développé toutes ces idées au conseil d'administration de L'ALIMAIENNE et je suis arrivé à les lui faire partager en grande partie. Comme conséquence, il serait disposé à renoncer à la concession de la rive gauche de l'Alima, pensant bien que dans votre haute bienveillance à l'égard de tous ceux qui ont fait des essais de colonisation, vous feriez appliquer largement l'article 7 du décret et l'article 8 du cahier des charges, comme aussi qu'en considération des dépenses que nous avons faites, vous nous concéderiez la toute propriété de parcelles au Congo.

Mais nous ne pouvons pas oublier que nos actionnaires n'ont souscrit le capital d'un million que parce que la Société avait la jouissance de 800,000 hectares et qu'ils croyaient que cette jouissance serait effective. Une détermination à l'égard de notre concession ne peut donc être prise que par eux. Or, nous avons beaucoup de peine à détruire chez eux le préjugé qui attribue au Gouvernement les difficultés qui se produisent dans l'exercice des droits par lui conférés. Vous pourriez donc nous aider dans notre tâche si vous vouliez bien nous manifester les intentions que je suis certain de trouver chez vous.

Je vous le répète, Monsieur le Ministre, je suis amené à estimer que si la concession de la toute propriété de parcelles exploitables est susceptible de fournir des profits, celle de la jouissance d'immenses territoires ne peut être qu'une lourde charge.

Dans ses instructions au Commissaire général, M. Guillain disait : « Vous devrez considérer, en ce qui vous concerne, que non seulement le succès des exploitations projetées intéresse au plus haut degré l'avenir de la colonie, mais encore qu'il doit avoir en France un écho retentissant, et que cette répercussion, mieux que toute œuvre de propagande, peut contribuer au développement général de notre empire colonial.

Il importe que l'Administration ne néglige rien pour faciliter cette réussite, non seulement par l'observation franche et loyale de ses engagements (ce qui ne serait qu'un concours passif), mais encore en donnant aux entreprises toutes les facilités compatibles avec les intérêts publics dont elle a la garde.

>>

Comme votre prédécesseur, vous estimez que le succès des exploitations congolaises est intéressant au plus haut degré; par conséquent, je ne doute pas de trouver bon accueil auprès de vous. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de mes sentiments respectueux et dévoués.

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Par lettre du 12 Juin dernier, vous m'avez soumis un certain nombre d'observations concernant les dispositions générales des décrets de concessions du Congo et des cahiers des charges y annexés, et vous m'avez demandé notamment si mon Département verrait des inconvénients à modifier ces actes, en remplaçant la concession de jouissance temporaire sur de grandes superficies qu'ils comportent par l'attribution en toute propriété de parcelles de moindre étendue.

J'ai l'honneur de vous faire connaître que la Commission des Concessions saisie de la question a émis, dans sa séance du 9 Juillet courant, l'avis qu'il y avait lieu de vous inviter à préciser votre demande et à spécifier dans quelles conditions vous entendez, en ce qui concerne spécialement votre concession, solliciter, dans le sens que vous indiquez, la transformation du décret intervenu.

Je vous serai obligé, en conséquence, et si vous le jugez utile, de faire parvenir à mon Département un exposé plus complet de votre projet, qui sera soumis à nouveau à la Commission des Concessions.

tion

Recevez, Monsieur, les assurances de ma parfaite considéra

Le Ministre des Colonies,

Signé ALBERT DECRAIS.

Ma lettre au Ministre des Colonies ayant été publiée par la Dépêche Coloniale, de nombreuses discussions s'ouvrirent dans le monde congolais sur les voies et moyens à employer pour rendre utiles les concessions de jouissance.

L'avis émis par un administrateur de Société congolaise que le seul remède efficace consistait en le travail forcé des indigènes souleva l'indignation générale :

« C'est un système, dit le Temps du 29 Juillet 1901, qu'il nous paraît inutile de discuter, pour la bonne raison qu'il n'y a aucune chance que l'opinion y adhère jamais en France. Travail forcé et esclavage, cela parait de la même famille, et il n'y a qu'à se souvenir de l'impétuosité de générosité avec laquelle le Parlement s'est toujours prononcé en tout ce qui touche ce dernier, pour être sûr qu'il ne le laissera jamais établir sur une terre française, sous quelque nom que ce soit. »

Dans son Magasin Colonial, numéro du 15 Juillet 1901, M. Jean HESS s'indigne avec véhémence:

« Cela n'est pas possible.... Les encriers du Parlement voleraient d'eux-mêmes à la tête du Ministre des Colonies qui se présenterait à la Chambre après avoir décrété ce que réclament nos doux concessionnaires, le travail forcé... même rémunéré.

<< Les capitalistes congolais qui font campagne dans cette voie et croient avoir traité la question de droit par une raillerie à l'adresse des « immortels principes » manquent de sens politique peut-être encore plus que de sens moral.

« Le sens moral d'un homme est défini quand cet homme, à notre époque, ose demander l'établissement du travail forcé des noirs Congolais, au bénéfice des concessionnaires. C'est un sens absent. L'homme qui, sous prétexte qu'un papier lui a été donné au Ministère des Colonies, papier de concession, croit posséder un droit quelconque sur le travail des Congolais, cet homme n'a aucun sens moral. Le cerveau de cet homme date sans doute de l'époque où, lorsque les rois de France donnaient à quelques-uns de leurs bons serviteurs, guerriers ou proxénètes, une terre, ils donnaient en même temps que la terre, le serf qui la cultivait. Ces nobles cerveaux retardent. Leur notion du droit humain de propriété, du droit de concession n'est point de notre époque.

Il n'est pas jusqu'à la West Africa, le journal anglais dont l'intérêt à tout ce qui se passe dans le Congo Français est constant, qui ne proteste contre le travail forcé. Dans son numéro du 22 Juin 1901, il loue ainsi la Dépêche Coloniale de n'en être pas partisan :

« Nous applaudissons à ce langage: c'est celui de la vieille France cette France qui a combattu sur tous les champs de bataille pour la liberté des peuples. »

Le travail forcé n'a donc aucune chance d'être jamais

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