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la pensée d'Henri Juvet, qui, priant à sa dernière heure pour vous qui l'aviez banni, a rendu son lit de douleur un trône de gloire, et a fait de sa tombe un autel de réconciliation! Ah! nos larmes, comme une contagion, sacrée, gagneront vos cœurs. Non, on ne tirera pas le poison du cyprès et de la palme du martyre; non, sa tome ne sera pas le foyer de la haine, la tribune des partis et le théâtre de l'intolérance; non, la mort ne sera pas complice de la persécution: la persécution et les cendres d'Henri Juvet sont ensevelies dans le même tombeau!

J.-J. GARDES, l'un des pasteurs de Nimes.

REVUE LITTÉRAIRE ET Religieuse.

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LETTRES SUR L'ITALIE, considérée sous le rapport de la religion, par M. PIERRE DE JOUX, etc.

Deuxième article (1).

Les hommes n'exigent pas de celui qui reste ostensiblement

(1) Voyez notre premier article sur cet ouvrage, p. 8 de notre dernière livraison.

Nous croyons devoir déclarer à nos lecteurs qu'en y publiant l'ordonnance de révocation de la nomination de M. De Joux (p. 17), nous n'avons nullement eu dans l'esprit d'approuver cette forme de destitution que nous regardons au contraire comme illégale, et pouvant donner lieu aux abus les plus fâcheux et à l'arbitraire le plus en opposition avec nos droits et avec les articles 25 et 26 de la loi du 18 germinal an X. Le concours des Consistoires et du Gouvernement étant nécessaire pour la nomination des pasteurs, ils ne doivent pas non plus pouvoir être destitués sans ce concours. Mais cette question est trop importante pour être examinée dans une note. Nous ne voulons que prévenir une fausse interprétation qui pourrait être donnée à notre pensée, qui n'a été absolument que de montrer la bonne foi de M. De Joux ; celle-ci est jugée, quelle que soit la légalité de l'acte dont il a été frappé.

(Note des Rédacteurs.)

attaché au culte de ses pères un exposé justificatif de sa croyance, ni même une conviction religieuse mûrement réfléchie. Ils ont tort sans doute, et cette indulgence est condamnée par l'apôtre qui veut que le chrétien puisse rendre raison de l'espérance qui est en lui (1). Mais c'est un sentiment qui règne généralement et qui est fort bien exprimé dans les vers suivans de Léonard, cités par M. De Joux, en tête de sa vingt-huitième lettre.

Vois d'un œil indulgent, ô Principe des êtres !
Le fils religieux qui rend à ta grandeur

Le culte qu'avant lui t'ont rendu ses ancêtres ;
Pardonne, s'il se trompe, à la foi de son cœur.

Nous ne ferons point à M. De Joux matière d'un reproche grave de son habitude de puiser parfois les épigraphes de ses lettres dans des auteurs plus que profanes, et dont le souvenir ne s'accorde guère avec la nature des matières qui y sont traitées. On est surpris toutefois de le voir s'appuyer par exemple du secours de la Gastronomie, dont six vers sont pris pour épigraphe de la lettre IX, qui traite des moines, et citer deux vers d'Ovide (Remède contre l'amour, vers. 91 et suiv.), p. 310, en confirmation du jugement qu'il porte sur la faiblesse blámable avec laquelle on s'opposa à la révolution ecclésiastique de Luther, en transigeant avec le schisme, au lieu de l'étouffer dès sa naissance, comme auraient fait Grégoire VII et Pie V. Bien plus, il compare (p. 336) les hymnes de David aux chants de Sappho. Convaincu, dit-il, que si l'on remarque encore quelque edification dans les temples anglicans, il faut l'attribuer non à leurs sermons.... dépourvus de mouvemens oratoires, mais bien aux commandemens de Dieu qui sont CHANTÉS (p. 335, note), il applique aux cordes de la lyre divine du Roi-prophète les vers d'Horace (2), où celui-ci peint, comme

(1) 1 Pierre, III, 15.

(2) Comme M. De Joux ne peut employer une citation sans altérer les paroles de son auteur, il se plaît à faire faire à Horace une lourde faute de prosodie, en substituant à deux mots du poète deux expressions de sa con. Voy. Ode 8, liv. IV, v. 10.

vivant encore dans ses odes, la brûlante passion que respirent les poésies de Sappho. Ainsi (qu'on nous permette d'offrir incidemment cette réflexion), le sentiment religieux qui, par un dévouement et des efforts sublimes, couvre le globe de stations missionnaires, pour appeler tous les hommes au salut en Christ, et qui répand l'Évangile éternel, afin de détruire dans tous les lieux où les plus cruelles souffrances et les erreurs les plus funestes se partagent encore la vie de l'homme, la double idolâtrie du paganisme et de la raison, l'une et l'autre également usurpatrice des droits de la divinité; ce sentiment religieux, disons-nous, cette piété courageuse et persévérante, allumée au flambeau de la Parole de vie, n'est, selon M. De Jonx, qu'une espèce de souffle mourant, qui ne doit sa précaire existence qu'à un faible reste de récitatif, pauvre débris de cette céleste musique, qui, dans les Eglises d'Italie, régénére les âmes, et fait, des dix-huit millions d'habitans de ce beau pays, une image de l'Église primitive. (Voy. p. 21. comp. avec les pages 110, 186 et 205.)

Au surplus, et quoi qu'il en soit de l'inconvenance de ces rapprochemens, les vers de Léonard que M. De Joux appelle à son aide prononcent indirectement sa propre condamnation. S'il était né catholique, et qu'il eût publié ses Lettres sur l'Italie, on n'aurait assurément pas pu louer son ouvrage; mais on se serait contenté de dire : « Voilà un livre de controverse, rempli de bévues, de déclamations étrangères au sujet, d'absurdités, de fausses citations et de palpables contradictions; voilà une apologie de la foi romaine, inférieure à cent ouvrages qui l'ont défendue contre les autres communions. » Mais personne n'aurait songé à révoquer en doute la bonne foi de l'auteur. On aurait dit encore: Voyez la force du préjugé, l'influence de l'éducation; comme elle fascine les yeux d'hommes qui d'ailleurs ne sont pas dépourvus d'instruction, et qui paraissent s'être sérieusement occupés de doctrines religieuses! »

Mais que penser aujourd'hui des véritables sentimens d'un ministre protestant qui a prêché pendant le cours d'une longue vie tout le contraire de ce qu'il soutient dans une dernière pro

duction de sa plume, et de ce qu'il prouve et développe si mal? Tout en se rappelant que nous n'avons aucun droit de juger les véritables intentions et les pensées secrètes de l'homme, on est involontairement tenté de chercher à un changement de profession religieuse, si mal motivé, des causes étrangères à l'établissement d'une persuasion intime, d'une sincère conviction.Au moins désirerions-nous, pour la mémoire de M. De Joux, qu'il n'eût pas écrit son avant-propos, et qu'on pût retrancher la dernière lettre de sa prétendue correspondance; deux morceaux écrits l'un et l'autre avec un inconcevable oubli des antécédens de sa longue carrière, et comme auteur, et comme ministre de la religion qu'il avait juré de servir, après s'être déclaré pénétré de sa prééminence sur tout autre système de théologie chrétienne.

Dès le début (p. ix, 1. 4.), il s'exprime en homme qui est soulagé du poids qui l'opprimait, qui se trouve enfin en liberté de professer hautement les saintes croyances, pour lesquelles,des sa première jeunesse, il eut toujours un invincible penchant. Nous allons voir si on a jamais mieux réussi à comprimer, à cacher un penchant, et à faire croire qu'il n'a point existé. Le recueil de Sermons en quatre volumes, publié par M. De Joux, à Genève, chez Paschoud, en 1803 et 1804 (M. De Joux avait alors cinquante ans passés), sous le titre de Prédication du christianisme, est dédié à la vénérable Compagnie des pasteurs de Genève, et aux Consistoires de Nîmes et de Dordrecht. Il appelle dans ces trois dédicaces les bénédictions du Seigneur sur l'Eglise réformée. « Puisse, s'écrie-t-il, Genèveredévenir LE FLAMBEAU DE L'EUROPE chrétienne (p. rv, t. Io) ! Puisse la patrie du grand Saurin (dans l'épître dédicatoire adressée aux pasteurs et anciens de l'Eglise consistoriale de Nîmes, p. ш, t. 2.) voir se rallumer par votre zèle le feu divin de la piété qui brûlait dans le cœur de vos ancétres, et qui en fit les Défenseurs de la Foi! Dans son adresse à l'Eglise Wallonne de Dordrecht, il célèbre la gloire de cette cité qui eut le double honneur de voir siéger dans son sein, et les premiers

souverains de la Hollande, et les respectables députés des Eglises FIDÈLES du Seigneur (p. 1, t. 3). Puisse (ajoute-t-il p. vi), votre Eglise étre, comme ci-devant, LE BOULEVARD de la For! » Ici l'Eglise, pour laquelle il se sentait un penchant invincible, est opposée aux Eglises fidèles; et celle entre toutes qui a constamment montré la plus forte répugnance pour les prétentions romaines, et pour tout rapprochement des deux communions en dogmes comme en matière de discipline, est représentée comme un rempart que M. De Joux souhaite ardemment être inexpugnable. Page xv des Lettres, il exprime l'ardent désir d'unir de nouveau les catholiques et les protestans par le doux lien d'une même foi et d'une méme espérance. Dans la Prédication du Christianisme, il avait reconnu (p. LXII, t. 1o1) qu'ils ont reçu un même baptême, un même Sauveur et une même espérance, et il traite de questions oiseuses (ib.), ce qui les divise. Page XVII de l'avant-propos de son dernier ouvrage, il déclare la chaîne des temps apostoliques rompue par le schisme du xvi siècle; tandis que, dans ses Sermons, il avait (t. 2, p. 54, 57, 67, 68, 69) reconnu dans les ministres protestans le caractère de successeurs des apôtres, en leur adressant ces paroles : « Chacun de vous, par une série non interrompue, a reçu successivement du Seigneur, et les droits, et les pouvoirs d'administrer l'Eglise de Dieu, et de gouverner spirituellement son héritage. >>

Est-il possible, est-il permis de faire à ce point violence à un penchant irrésistible, à une conviction secrète ? M. De Joux l'affirme, et nous assure qu'on peut ainsi garder dans le sanctuaire de son âme le secret de son intime croyance jusqu'à l'article de la mort. Ce nouvel exemple d'une abominable maxime, réprouvée par toute la teneur comme par vingt préceptes directs de l'Evangile, et cependant, de l'aveu de plusieurs nouveaux convertis à l'Eglise romaine, consacrée par des évêques au tribunal de la confession, mérite d'être consigné dans un journal qui se croit obligé non seulement de signaler les écarts de doctrine, mais aussi de s'élever contre

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