Page images
PDF
EPUB

France, de l'autorité avec laquelle la Prusse et les Bourbons d'Espagne avaient traité de puissance à puissance. Cette journée, dont les victimes devaient exciter les plus vifs regrets, eut du moins l'avantage de hater ce que l'on voulait surtout empêcher, l'établissement de la constitution de l'an 3, et la création d'un gouvernement régulier.

Sorti du sein de la Convention, le Directoire s'empressa de reconnaître les services de Bonaparte par la confirmation du grade de général de division et le commandement de l'armée de l'intérieur. Tout autre eût borné ses vœux à se maintenir dans un poste difficile, mais entouré d'un certain éclat; Bonaparte n'y vit qu'une dignité sans gloire, et se plaignait secrètement d'être condamné à une insupportable et stérile représentation.

L'amour pouvait seul faire diversion aux tourmens d'une âme ardente qui brûlait de s'élancer dans la carrière de la gloire. Bonaparte rencontrait dans la société madame de Beauharnais; elle lui adressa des choses flatteuses sur ses talens militaires, et cet éloge l'enivra. Né avec un caractère sévère, d'ailleurs timide avec les femmes, parce qu'il n'avait pas vécu dans la sphère brillante où elles exercent leur empire, il fut attiré par la douceur, la grâce, et un certain charme, qui étaient les dons particuliers de la veuve du général Beauharnais; il sentit qu'elle était nécessaire à son bonheur, et ne tarda point à s'unir avec elle. Heureux, si, écoutant sa propre conviction, et mieux conseillé par son cœur que par la

politique, il n'eût pas délaissé ensuite une compagne qui semblait lui avoir apporté en dot une prospérité sans mélange!

Nous étions en paix avec la Hollande, la Prusse et l'Espagne; la Russie, la Suède et le Danemarck ne se mêlaient pas de nos affaires : mais la Grande-Bretague se maintenait en état d'hostilité ouverte contre nous; et l'Autriche, qu'elle soutenait par des subsides, continuait à nous faire une guerre opiniâtre sur le Rhin; il fallait ébranler cette puissance par une diversion au delà des Alpes. Bonaparte présenta cette idée au Directoire; elle fut adoptée sans obstacle, et valut à son auteur le commandement de l'armée d'Italie. Carnot, en proposant cette nomination, cédait à sa haute estime pour les talens de Bonaparte, mais il était aussi l'interprète du vœu des officiers et des soldats qui avaient exécuté les plans du général d'artillerie à Toulon et dans le comté de Nice.

Arrêtons-nous ici, et regardons tous les prodiges qu'avait enfantés la Révolution française jusqu'au moment où un jeune homme dont le génie ne s'était encore révélé qu'à quelques observateurs attentifs, mais bien éloignés cependant de prévoir ce qu'il y avait d'avenir en lui, vint commencer la haute fortune qui le rendit maître de l'Europe, et substituer son ascendant à celui de la République, qui avait triomphé de toutes les coalitions formées contre elle.

La fin de l'année 1792 avait vu la chute du trône, l'invasion des Prussiens et des Autrichiens dans la Champagne, la levée des volontaires, la naissance de

la République presque créée sous le canon des ennemis, la victoire de Valmy qui les renvoya de France; des succès du côté de l'Italie, la prise de Mayence sur le Rhin, l'héroïque résistance des habitans de Lille, la bataille de Jemmapes et la conquête de la Belgique. Cependant nous n'avions qu'une armée faible, sans accord, sans confiance, et pas un seul général de renom à l'ouverture de la campagne. Aussi la connaissance positive de notre situation à cette époque avait-elle fait naître les plus folles espérances dans le cœur des princes, des ministres et des généraux de l'Europe; il ne s'agissait de rien moins que d'occuper toute la France, de châtier Paris, et d'éteindre la liberté dans le sang de ses plus habiles défenseurs; mais la Nation, que la politique étrangère ne comptait pour rien dans ses calculs, avait reçu depuis 1789 une impulsion forte; elle était toute préparée à produire des prodiges par des inspirations sublimes on méconnut ce caractère en elle; on l'irrita par la présence des armées ennemies; le duc de Brunswick et le téméraire Bouillé commirent l'imprudence de l'insulter par d'insolentes menaces; elle s'indigna de l'outrage, jura de se venger et tint parole. En quelques mois, cette France que l'on avait crue accablée, mais qui se relève si vite, même quand elle paraît dans une situation désespérée, devint l'étonnement, la terreur des princes qui l'avaient méprisée, l'espérance des peuples qui se félicitaient du succès de ses armes.

:

Les hostilités recommencèrent avec l'année sui

1

vante, et la fortune sembla d'abord nous sourire; mais bientôt on vit la déroute d'Aix-la-Chapelle, la perte de la bataille de Nerwinde, la chute de Mayence, Toulon et notre flotte livrés aux Anglais, Landau bloqué, la perte de la bataille de Truillas, Perpignan investi, la guerre civile dans nos contrées méridionales, le volcan de lå Vendée ouvert au cœur de la France, nos places du nord occupées par l'ennemi, Maubeuge en danger, Paris menacé une seconde fois par une armée formidable et dont la retraite se trouvait assurée dans toutes les hypothèses, et enfin la ́. Nation sous l'influence d'une espèce de fatalité qui enchaînait les malheurs aux revers; voilà notre situation pendant une partie de l'année 1793.

Ce qui nous sauva peut-être fut la coalition de toutes les puissances de l'Europe contre nous; elle fit sortir du sein de la France un million de soldats, et quatorze armées qui se présentèrent à l'ennemi comme une barrière invincible sur la vaste étendue de nos frontières. Alors, une suite inouïe de triomphes répara de grands désastres, et remplit d'un immortel éclat l'année 1794. A ces temps se rapportent la défaite des Anglais à la bataille de Hondtschoote, la victoire de Watignies, les succès de Dugommier et de Masséna du côté de Nice, la ruine des armées royalistes dans la Vendée, la défaite des révoltés de Lyon et de Marseille, la délivrance de Landau jurée par nos soldats instruits de la reprise de Toulon, nos succès du côté des Alpes, dans le Piémont, et aux Pyrénées; alors vinrent successivement la bataille

&

de Turcoing, l'un des plus beaux trophées militaires de la France républicaine, et l'immortelle victoire de Fleurus, qui nous valut la réprise de nos places fortes du nord, la possession de la Belgique, tout le pays en deçà du Rhin; et, par une conséquence inévitable de l'ascendant que nous avions obtenu, la conquête de la Hollande, dont la flotte fut prise par notre cavalerie sur le Texel. Nos armes triomphaient également du côté de l'Espagne, surtout aux Pyrénée orientales, où Dugommier, malgré les efforts d'une armée de soixante mille combattans, faisait capituler une garnison de quinze mille hommes enfermés dans Bellegarde, et soutenait cette belle opération par la bataille de la Montagne-Noire, gagnée par nous, grâce à ses habiles dispositions, et à sa mort que nos soldats jurèrent de venger, comme une autre armée française voulut jadis venger la mort de Turenne. Il faut encore rapporter ici l'affaire de Quiberon, la soumission de la Vendée, préparée par les sages mesures du général Hoche, la prise de Luxembourg. Quelques autres succès mêlés de revers dus à la conduite, aujourd'hui si bien connue, de Pichegru, qui abandonna Jourdan et trahit la France, marquèrent la fin du règne de la Convention et les commencemens du Directoire exécutif. Depuis le 20 juin 1795 jusqu'au mois d'avril suivant, notre étoile avait un peu pâli, mais elle jetait encore beaucoup d'éclat et dominait sur l'horizon; nos guerriers avaient éclipsé toutes les renommées militaires de l'Europe.

« PreviousContinue »