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On a remarqué que tous ses jeux étaient des images de la guerre; il ne voyait que des camps, des fortifications, des armées en présence; il était déjà général. Attaché à remplir tous ses devoirs d'élève de l'École, les sciences exactes obtenaient cependant de lui une préférence exclusive; elles convenaient à la sévérité de ses goûts, à la rectitude de son esprit; la littérature, les beaux-arts, avaient peu d'attrait pour lui; plus tard il leur donna de l'attention, et prit plaisir à converser avec les hommes distingués qui les cultivaient avec succès. Nous ne suivrons pas Napoléon, de Brienne à l'école militaire de Paris, où il se fit aussi remarquer par la puissance de sa volonté, par ses heureuses dispositions, et par des promesses qui présageaient un brillant avenir. Au sortir de cette Ecole, Bonaparte, ne soupçonnant pas et ne pouvant pas soupçonner sa haute destinée, reçut, en 1785, le grade de sous-lieutenant d'artillerie, dans le régiment de La Fère, avec une joie inexprimable. « Le comble de mon ambition, » dit-il lui-même, se bornait alors à porter une épau» lette à bouillons sur chacune de mes épaules; un » colonel de l'artillerie me paraissait le nec plus ul» trà de la grandeur humaine. »

Nommé capitaine en 1789, ce ne fut qu'en 1792 que Bonaparte eut l'occasion de se faire connaître. Il était le partisan déclaré de Paoli, alors fidèle à la France; celui-ci, à son tour, avait de la prédilection pour le jeune officier dans lequel il voyait déjà un homme taillé à l'antique, un des grands hom

mes de Plutarque. Mais quand Paoli voulut déserter la cause de la France, et vendre la Corse à l'Angleterre, Bonaparte l'abandonna d'une manière éclatante, et se mit à la tête d'une partie des bataillons de gardes nationales réunies pour défendre l'indépendance de leur patrie; tel fut son début dans la carrière des armes. Les Corses, attaqués par des forces supérieures, trahis par Paoli, leur chef, succombèrent dans une lutte inégale, et virent brûler, par les ennemis, la ville d'Ajaccio où la maison de Bonaparte fut incendiée; il courut alors des dangers de toute espèce qui le forcèrent à se réfugier à Marseille avec sa famille pour éviter la proscription; il était, à cette époque et long-temps encore après, un ardent zélateur de la liberté; il ne pouvait voir sans enthousiasme les grandes fêtes populaires qui célébraient nos triomphes sur la coalition. Il avait encore les mêmes principes en arrivant au commandement de l'armée d'Italie; il les professa pendant toutes ses premières campagnes.

Nous ne rapporterons pas les premiers faits d'armes de Bonaparte, ils n'annoncèrent que d'heureuses inspirations et une grande valeur; de plus brillans succès lui étaient réservés sous les remparts de Toulon. Des traîtres ont livré cette ville aux coalisés; les Anglais et les Espagnols occupent le port et les deux rades; les forts et les batteries environnantes sont en leur pouvoir. Mais l'audace et la conviction qu'il n'est rien d'impossible à des soldats républicains régnaient alors dans les con

seils; plus une entreprise présentait de difficultés, plus les esprits se sentaient disposés à la tenter. Le siége de Toulon est résolu précisément parce que la ville semblait imprenable par ceux qui ne pouvaient l'attaquer à la fois par mer et par terre. On envoie Bonaparte à Lyon pour obtenir des poudres; il s'acquitte habilement de sa mission, transporte sous les murs de Toulon les munitions qu'il a rassemblées, et se rend au quartier-général, où l'attendait le grade de chef de bataillon d'artillerie. On lui confie les divers travaux du siége; il examine les lieux, reconnaît les inconvéniens du plan adopté pour la réduction de la ville, en présente un autre qui triomphe des observations et de la résistance des anciens officiers, grâce à l'appui du représentant du peuple Gasparin, assez éclairé pour deviner le premier les talens du jeune homme destiné à devenir l'un des plus grands capitaines du monde. Actif à exécuter avec audace ce qu'il avait conçu avec génie, Napoléon s'empare du poste des Arènes, enlève le petit Gilbraltar où nos soldats font des prodiges qui paraissent invraisemblables, même quand on connaît la vérité; se rend maître successivement des autres redoutes, et fait tomber Toulon aux acclamations de la Nation; mais elle ne retint que le nom du brave et habile Dugommier qui avait, comme général en chef, la conduite supérieure du siége. Le grade de général de brigade, commandant l'artillerie de l'armée d'Italie, devint la récompense de Bonaparte, Il s'en montra digne par de nouveaux

services à la journée del Cairo, à la prise d'Oneille, du col de Tende, et d'Orméa. Il avait conçu dès lors le projet d'une invasion du Piémont; mais il ne put décider les représentans à profiter de la fortune, en adoptant une idée aussi hardie que juste. Bonaparte dirigea encore les mouvemens de cette même armée sur la Bormida, à l'action de Dégo et à la prise de Savone. En février 1795, il commandait à Toulon l'artillerie de l'expédition maritime destinée d'abord pour la Corse, et ensuite pour Rome. A cette époque, et par le moyen de son influence sur les canonniers, il calma une insurrection à l'arsenal, et sauva la vie des représentans Mariette et Chambon.

La reprise de Toulon, qui avait excité tant d'enthousiasme en France, parce qu'elle était une vengeance exercée contre la plus insigne des trahisons, qu'une victoire remportée sur le gouvernement anglais, alors le plus implacable de nos ennemis, et celui d'entre eux pour lequel la Nation tout entière avait le plus de haine, devait encore avec ses autres services recommander Bonaparte à la reconnaissance de l'autorité; mais bientôt après il se vit, au contraire, suspendu de ses fonctions. Un conventionnel, nommé Aubry, s'appliquait alors à punir, par la réforme ou la destitution, les plus généreux défenseurs de la patrie. Aubry, qui avait déplacé Bonaparte, voulait bien lui conserver son grade, mais non pas l'y rétablir dans l'arme de l'artillerie. « Vous êtes trop jeune, lui disait-il, laissez passer les an

ciens. » — «< On vieillit bien vite sur le champ de bataille, répondit Bonaparte, et j'en arrive. » Obligé de patienter et de supporter l'injustice, Bonaparte dut se résigner à rester dans l'inaction au milieu de Paris, où il menait une vie assez triste, assez inquiète même, lorsque sur l'avis des représentans du peuple, qui avaient été à l'armée d'Italie, il fut mis en réquisition par le comité de salut public, au bureau topographique où il conseilla les dispositions qui nous firent conserver la rivière de Gênes.

Le 13 vendémiaire an 4, un mouvement, destiné par les meneurs à préparer le retour de la dynastie des Bourbons, éclata dans quelques sections de Paris. Barras, nommé général en chef de l'intérieur, et chargé de combattre les insurgés, prit pour adjoint Bonaparte, en qualité de général de division; ce mouvement, réprimé en quelques heures, ne coûta pas une perte considérable aux vaincus, mais c'est toujours un grand malheur que de verser le sang des hommes. Au reste, ce malheur doit retomber sur les imprudens qui excitèrent une insurrection si mal concertée, ou sur les lâches qui laissèrent dans le danger, sans y prendre part, des citoyens entraînés par des suggestions perfides, et presque tous étrangers au but secret de l'entreprise. La Convention, attaquée par des hommes armés, usa du droit d'une défense légitime; quant à Bonaparte, il ne fit qu'exécuter, comme militaire, sans aucune passion personnelle, et au contraire avec tous les ménagemens possibles, les ordres de l'autorité qui gouvernait la

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