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Pour punir la ville d'être si peu dans le sens de la contre-révolution, la reine a décidé que le roi passeroit l'hiver à Saint-Cloud, et que le château de Versailles seroit démeublé.

Ce nouvel arrangement a donné des inquiétudes à la municipalité et à quelques chefs de la garde nationale. Ils ont présenté une adresse au roi, par laquelle ils le supplient de révoquer l'ordre. qu'il a donné, et de venir habiter Versailles.

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« Ce qui est le plus déchirant pour nos cœurs, disent-ils, notre ville qui vous a vu naître; votre ville, sire, qui ne peut exister que par vous qui ne veut exister que pour vous auroit cessé un moment d'intéresser la pitié et la sensibilité de V. M..... V. M. dédaignera les efforts impuissans de quelques ingrats..... Et votre peuple fidèle qui a été indigné de l'offense, ne sera pas puni des torts qu'il n'a pas partagés.....

Le roi a répondu à cette adresse : « Je sais qu'il y a encore de bons citoyens à Versailles, et je suis étonné qu'ils prennent l'alarme sur quelques arrangemens particuliers pour mes meubles. » S'il ý a quelque chose de sec et d'insultant dans cette réponse, il faut convenir que les députés de Versailles l'ont bien mérité. Leur langage bas et vil respire la flagornerie des suppôts de l'ancien régime. Que signifient ces mots : Votre peuple, votre wille n'existent que pour vous.... V. M. dédaignera les ingrats, etc? Ici le sieur Berthier et consorts prouvent combien ils sont encore loin des véritables idées de la révolution. Une ville, un peuple ne sont point faits pour le roi seul; ils appartiennent à la patrie; ils existent pour la servir; il n'y a point de liberté par-tout où un monarque peut dire mon peuple, mes sujets, comme mes chiens, mes chevaux. Ces expressions tiennent à l'idiôme des tyrans; elles doivent disparoître sous l'empire d'une constitution libre. Quant aux ingrats dont parlent les auteurs de l'adresse, ils veulent désigner sans doute ceux qui ont dévoilé les perfides manoeu

vres des ministres, de l'ancienne municipalité des officiers supérieurs des gardes du corps, et sur tout ceux qui ont o‹é porter aux nouvelles magistratures des hommes dont le patriotisme incorruptible a résisté également aux menaces comme à la séduction. Mais qu'importe aux électeurs de Versailles l'estime des bas valets de la cour? S'ils l'obtenoient jamais, c'est alors qu'ils seroient déshonorés dans l'esprit des bons citoyens.

Dépravation des mœurs:

Peuple français ! la liberté vous a mis au rang des premières nations du monde. Vous devez à cette liberté et votre grandeur et une constitution nouvelle. Que vous reste-t-il à faire pour conserver la première et consolider la seconde'? Le voici. C'est l'épurement de vos mœurs.

Cette tâche n'est point impossible; elle n'est pas même difficile. Les moeurs découlent de l'opinion quand l'opinion est bonne, les moeurs se rectifient. Or, l'opinion chez un peuple libre est à coup sûr meilleure que chez un peuple esclave.

Ayez donc de bonnes mœurs; non seulement vous en serez plus heureux, mais encore ce sera le coup le plus terrible que vous puissiez porter à l'aristocratie.

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Peuple! le code des mœurs ne s'écrit point. Malheur à la nation où l'on a besoin de les dicter. Les loix sont faites pour les venger et non pour les prescrire. Cherchez-les donc dans votre coeur, voilà le grand livre. Portez les yeux sur le tableau des droits de l'homme, voilà l'explication; et fier alors de la majesté de votre être, levez-vous et marchez.

Les ennemis de la révolution qui connoissent mieux que vous le cœur humain, parce qu'ils sont méchans, redoutent bien plus le pouvoir des mœurs que le pouvoir législatif. Ils savent qu'on peut interpréter les loix, mais qu'on n'interpréte pas les moeurs. Ils seroient moins acharnés contre la révo

lution, s'ils ne prévoyoient pas que la révolution Vous rendra meilleurs.

Jugez-en par leur conduite. Est-ce la perte des mœurs qu'ils prévoient, qu'ils redoutent ou qu'ils regrettent, qui sert d'aliment à leur perverse opiniâtreté? Non! ils feignent de déplorer l'avilissement du trône. Mais ce qu'ils détestent c'est la lumière qui l'entoure ; cette lumière qui ne leur permet plus de cacher à l'ombre de ce

trône leurs vices et leur barbarie. Ils défendent les ministres. Est-ce par amour pour eux? Non! c'est qu'on peut tromper, séduire, aveugler, voler un seul homme plus facilement qu'une nation. Ils défendent le clergé. Est-ce la religion ou les prêtres qui les intéressent? Non! c'est le masque de l'une et la dépravation des autres, si commode pour sanctifier leurs forfaits. Ils plaignent la noblesse. Est ce par respect pour elle? Non! c'est la perte des compagnons de leur oppression dont ils soupirent. Ils voudroient voir enfin renaître l'ancien régime. Pourquoi? C'est qu'ils ont besoin de l'autorité du crime; et quand ce besoin se fait sentir, c'est que l'on frémit, non de l'autorité des loix, mais de l'autorité des mœurs.

Peuple! vos ennemis ont d'abord eu recours à la force; ce moyen est illusoire, mais c'est le premier qui s'offre aux méchans. Les conjurations, en se reproduisant sans cesse, se sont énervées; elles ne sont plus aujourd'hui que de méprisables fantômes. La finèsse va succéder à la force: prenezy garde! et c'est sur tout à étouffer vos mœurs au berceau qu'elle va s'attacher, d'autant plus dangereuse qu'elle sera plus couverte. C'est l'insecte qui se gorge de sang, et dont on ne sent point la morsure. Comment agira cette finesse? Le voici,

Vous sortez, peuple français! d'un long som meil, où tous les rêves de la volupté salissoient votre imagination. La France entière n'étoit que le palais de Sardanapale, et le spectacle des honteux plaisirs de vos tyrans engourdissoit vos sens,

gangrenoit votre cœur, et putréfioit votre ame. A votre réveil, vous avez franchi le seuil de ce palais du crime: mais on compte peut-être beaucoup sur les souvenirs qui vous en restent. Ce sont les passions que l'on va charger de la cause də l'aristocratie; et tandis qu'au-dehors les gouffres du jeu et les temples de la débauche seront ouverts et protégés, que les théâtres ne vous offriront que la mollesse, au dedans de vos asyles on fera refouler un torrent de livres corrupteurs, d'ouvrages libertins, de gravures licencieuses (1), qui déjà commence à se déborder. Si vous mordez à cet appåt, si vous n'y reconnoissez pas le besoin que l'on a de votre dépravation, c'en est fait de votra liberté. Paralysé par le poison d'une lecture pestiférée, sentirez-vous àlors la nécessité d'entendre les austères écrivains qui combattent pour votre liberté? Votre ame débile ne pourra plus digérer la crudité de leurs préceptes; dans l'oubli de vous-même, vous ne vous souviendrez plus de la patrie, et vous serez tombé dans l'épouvantable opprobre d'être indifférent même à la joie de vos ennemis.

Voilà cependant leur espoir! voilà ce qu'ils attendent du temps leur unique idole! et c'est par une contre-révolution morale qu'ils se flattent de consommer par degré une contre révolution physique. Quel est, peuple français le préservatif d'un aussi grand malheur? Il est entre vos mains; ce sont les bonnes mœurs, ces filles antiques de la nature et de la liberté qui, cachées dans les forêts du Scythe, vainquirent Darius, dont le bras avoit vaincu le monde. Peuple français! vous voilà prévenu. Laissez maintenant vos ennemis s'entacher

(1) C'est la multiplicité effrayante de ces ouvrages licencieux qui se vendent au palais Royal, qui rend cet article aussi important que nécessaire.

la

à leur aise, aux yeux de la postérité, de la plus insigne mauvaise foi par cette foule de libelles antinationaux qui, pour venger l'humanité, seront immortels comme la bible de Jacques Clément. Laissez-les se vautrer dans la fange impure de leurs sales compositions. Passez auprès d'elles comme le bloc de glace passe sans se fondre à côté du feu que les enfans allument sur la rive. Mais gardez de vous plaindre de leurs écrits, et voyez que c'est de leur part un attentat oblique contre la liberté de la presse; et c'est pour arriver jusqu'à elle qu'ils chercheront à corrompre vos moeurs; ils savent que, où règne la liberté de la presse, la liberté de la nation est toujours vierge: voilà pourquoi ils voudroient la détruire. Mais ils savent aussi que pureté des mœurs, unique conservatrice de la liberté de la presse, assigne à chaque ouvrage la place qui lui convient; et voilà pourquoi les moeurs seront les premiers objets de leur attaque. En effet, chez une nation libre et vertueuse, quel homme oseroit écrire ce que le dernier citoyen rougiroit de faire ? Où les moeurs exercent la censure, il n'est bientôt plus de livres dangereux. Quand l'opinion publique a la vertu pour base, laissez sans crainte au pervers le droit d'écrire ce qu'il voudra: cette impunité est la plus grande des punitions. Nul homme n'a le droit d'empêcher un autre homme d'écrire, de publier ce qu'il lui plaît; mais tout homme a le droit d'être ferme dans les principes du bien et si tous s'accordent dans la sévérité de leur pratique, que devient l'ouvrage licencieux? Les livres n'ont de droit sur les mœurs que celui que l'homme leur concède; mais les mœurs ont un droit sur les livres qu'ils ne peuvent éviter.

Ainsi, dans une république où tout se meut en bien, la liberté d'écrire en mal n'est plus qu'une chimère. De là, par la pureté des mœurs, & peuple français! vous vous conserverez la liberté de ‍la presse, ce rempart de votre liberté nationale; et

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