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d'éviter cette tendance funeste qui entraîne l'État à exécuter ce que les particuliers peuvent faire, et de préserver la liberté de la presse de l'arbitraire et la licence. Aux pacifiques il montrait la paix comme le plus cher de ses désirs : la France dans sa première Révolution n'avait été guerrière que parce qu'elle avait été forcée de l'être; aujourd'hui qu'elle n'était pas provoquée, elle pouvait consacrer ses ressources aux améliorations pacifiques et tout en maintenant les lois fondamentales, force de notre organisation militaire, alléger et non aggraver le fardeau de la conscription. Aux patriotes il donnait l'assurance qu'en étant pacifique sa politique serait résolue : une grande nation doit se laire ou ne pas parler en vain. A l'armée il promettait de veiller au présent et à l'avenir non seulement des officiers, mais aussi des sousofficiers et des soldats et de préparer aux hommes restés longtemps sous les drapeaux une existence assurée. Au peuple des travailleurs, il faisait espérer la diminution des impôts les plus onéreux, l'encouragement en France et en Algérie des entreprises pouvant donner du travail aux bras inoccupés, des institutions de prévoyance pour la vieillesse, toutes les améliorations enfin tendant non à ruiner le riche au profit du pauvre, mais à fonder le bien-être de chacun sur la prospérité de tous. Aux vaincus, il ouvrait des perspectives de clémence : sa république serait généreuse et aurait foi dans son avenir, lui qui avait connu l'exil et la cap

tivité, il appelait de ses vœux le jour où la patrie pourrait sans danger faire cesser les proscriptions et effacer les dernières traces de nos discordes civiles. Enfin, il faisait appel sans distinction de partis à tous les hommes que recommandent leur haute intelligence et leur probité. Le point essentiel du manifeste était celui relatif à ses vues d'avenir. Il était ainsi conçu: « Je me dévouerai sans arrièrepensée à l'affermissement d'une république sage par ses lois, honnête par ses intentions, grande et forte par ses actes. Je mettrai mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur le pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli.

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A la veille de l'élection, dans une lettre adressée au nonce, il prit un engagement spécial à l'égard du Pape. Il affirma « que le maintien de la souveraineté temporelle du chef vénérable de l'Église était intimement lié à l'éclat du catholicisme comme à la liberté et à l'indépendance de l'Italie ».

Le message rédigé, le Prince le soumit à plusieurs personnages politiques, parmi lesquels Thiers et Émile de Girardin, rédacteur en chef d'un des journaux les plus répandus, la Presse, qui, en haine de Cavaignac, par lequel il avait été emprisonné aux journées de Juin, soutenait ardemment la candidature bonapartiste. Thiers, surpris de ce langage nouveau auquel il eût préféré ses finasseries habituelles, n'approuva pas. Un passage provoqua surtout sa critique, celui

sur la République généreuse. C'était une promesse d'amnistie, et au lendemain des journées de Juin il la croyait dangereuse. D'autres s'élevèrent contre la phrase sur le pouvoir restitué au bout de quatre ans : << Effacez, effacez, dirent-ils, pourquoi prendre un engagement? -Qu'en pensez-vous? dit le Prince en se retournant vers Girardin. Si vous êtes résolu

à tenir la promesse, répondit celui-ci, maintenez-la; sinon, effacez. » Le passage fut maintenu.

Le succès ne fut pas un instant douteux. On gorgea le suffrage universel de discours, de biographies, d'apologies, de recommandations en faveur de Cavaignac. Il les reçut et ne les lut pas. Le général, du reste, désirait la présidence, mais, droit et désintéressé, il aimait mieux ne pas l'obtenir que d'y monter en se diminuant. Quoique maître du gouvernement, je le sais puisque j'étais un de ses préfets, il n'eut recours à aucune pression incorrecte. Aucune liberté ne fut violée; aucune indépendance menacée. Les outrages prodigués à son concurrent furent l'œuvre du parti ardent, sans scrupules, dévoué à sa candidature. De même, on ne saurait attribuer au Prince les attaques indignes qui ne furent pas épargnées au général. Un ouvrier vint lui apporter une pierre lithographique sur laquelle Cavaignac était représenté en bourreau massacrant des vaincus. Combien, demanda le Prince, voulez-vous de cette pierre?» L'ouvrier fixe le prix; le Prince

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paie, puis se fait apporter un marteau et la met en pièces.

Aucun scrutin n'est plus instructif que celui du 10 décembre 1848. Si l'Assemblée, issue du suffrage universel tout récemment, eût été chargée d'élire, Cavaignac aurait réuni au moins les deux tiers des suffrages et l'autre tiers se fût reporté sur Ledru-Rollin. Le même suffrage universel directement consulté n'accorda que 1 million 434 226 voix à Cavaignac, 370119 à LedruRollin, 17 910 à Lamartine, et 5 millions 434226 à Louis-Napoléon. Preuve désormais irrévocablement acquise à la science politique que le vote des représentants n'exprime nullement la véritable pensée constituante d'un peuple et que, selon la thèse de Rousseau, la souveraineté, dans son attribut primordial, ne peut être déléguée qu'en s'anéantissant. A quelque moment depuis 1815 qu'on eût directement consulté le peuple, il eût répondu comme il le fit le 10 décembre 1848, et cependant les assemblées n'avaient pas cessé de proscrire les Napoléon.

Après l'élection le vainqueur et le vaincu remplirent noblement leur devoir. Pendant qu'on lisait les dépêches apportant la nouvelle de la défaite à l'hôtel du général Cavaignac, le colonel Charras s'approche vivement du général et lui dit à mi-voix : « Tu vas résister. Quoi! répond Cavaignac, tu veux que je manque à ma parole? Mais nous, nous résisterons. Non, vous ne résisterez pas, je saurai vous en empêcher. Mais tu perds la république!

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Il est possible qu'elle succombe, mais elle se relèvera, et elle serait perdue à jamais si celui qui la représente se révoltait contre le vœu du pays1. >>

Le Prince eut aussi son Charras, ce fut Persigny. Il lui conseilla de ne pas aller à la Chambre prendre possession de la Présidence, d'adresser un message à l'Assemblée déclarant sa résolution de ne prêter serment à la Constitution que si elle était préalablement soumise à la ratification du peuple 2. C'était le premier de la série non interrompue des conseils insensés dont Persigny ne va plus cesser de harceler son maître. Celui-ci fut repoussé.

Le 20 décembre, Louis-Napoléon se rendit à l'Assemblée escorté de quelques amis. Dès que le rapport sur l'élection eut été lu, il monta à la tribune, en habit noir, portant le grand cordon de la Légion d'honneur. Il jura, « en présence de Dieu et devant le peuple français représenté par l'Assemblée nationale, de rester fidèle à la République démocratique une et indivisible, et de remplir tous les devoirs qui lui sont imposés par la constitution »>.

Ce serment constitutionnel était d'obligation. Le Prince lui donna un caractère volontaire par des déclarations spontanées et explicites. « Les suffrages de la nation et le serment que je viens de prêter commandent ma conduite future. Mon devoir esttracé, je le remplirai en homme d'hon

1. CH. LACOMBE, Vie de Berryer, t. II, p 580. 2. PERSIGNY, Mémoires, p. 5.

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