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neur. Je verrai des ennemis de la patrie dans tous ceux qui tenteraient de changer, par des voies illégales, ce que la France entière a établi. » Il termina par un hommage à son prédécesseur : « La conduite de l'honorable général Cavaignac a été digne de la loyauté de son caractère et de ce sentiment du devoir qui est la première qualité du chef d'un État. »

Ces paroles prononcées, il monta vers le bane où était assis le général et lui tendit la main. C'était la seconde avance publique aux républicains. Le général surpris laissa prendre sa main plus qu'il ne la donna. Le soir, le Président envoya l'un de ses amis, Heckeren, lui offrir le grand cordon : il le refusa.

L'hostilité du parti subversif ne fut pas apaisée par le vote populaire. Dans le nouvel élu, il détesta moins un nom qu'un gouvernement. Les républicains modérés ne furent pas plus équitables. Imitant la conduite des 221 à l'égard de Polignac, avant tout acte du Prince, ils se déclarèrent ses ennemis. Était-ce raisonnable?

Depuis son entrée dans la vie active, avant comme après Strasbourg et Boulogne, devantses complices comme devant ses juges, dans ses professions électorales et dans ses discours à la tribune, Louis Napoléon répudiait le rôle de prétendant. En aucune circonstance il ne se réclama des droits héréditaires préexistants: il ne voulait rien devoir qu'à la souveraineté populaire. A Ham il avait manifesté quelque aversion contre la république, mais depuis 1848, d'accord avec

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ses amis il annonçait, et très sérieusement, l'intention d'en consolider l'existence. Pourquoi ne l'avoir pas aidé à remplir ses engagements en les acceptant comme sincères ? Pourquoi ne l'avoir pas encouragé à placer ses idées personnelles audessus de sa tradition? Pourquoi avoir répondu à sa bonne volonté par une hostilité violente ou des soupçons? La confiance embarrasse plus que la méfiance. Il est imprudent de prêter à quelqu'un des arrière-pensées qu'il n'ose confesser ou qu'il désavoue : on ne les conjure pas, on les provoque, on les facilite et parfois on les impose.

1. Circulaire de Persigny aux électeurs de la Loire, 18 mars 1848: «< Hier je croyais sincèrement que, entre des habitudes monarchiques de huit siècles et la forme républicaine but naturel de tous les perfectionnements politiques, il fallait encore une phase intermédiaire, et je pensais que le sang de Napoléon, inoculé aux veines de la France, pouvait, mieux que tout autre, la préparer au régime complet des libertés publiques; mais après les grands événements qui viennent de s'accomplir, je déclare que la république régulièrement constituée pourra compter sur mon dévouement le plus absolu. »

CHAPITRE III

ÉTAT DE LA FRANCE ET DE L'EUROPE A L'AVÈNEMENT DE LOUIS.NAPOLÉON A LA PRÉSIDENCE

I

Voilà le prince Louis-Napoléon installé à l'Élysée. Comment trouvait-il la France et l'Europe?

En France, l'inquiétude qui avait précipité l'esprit public dans la réaction après les journées de Juin s'était aggravée de la crainte toujours présente d'un retour aux calamités dont on était à peine délivré. Le parti vaincu derrière les féroces barricades, loin de se résigner à sa défaite, proclamait bruyamment son espérance d'une prochaine revanche. Ses fureurs s'étaient accrues en proportion inverse de son affaiblissement. « L'élection du Prince, a dit Lamartine, fut une affirmation inconsciente de l'hérédité. » Peut-être. Mais elle fut certainement le recours à une dictature vigoureuse et incontestée, protection contre les menaces futures. On était fatigué des libertés auxquelles

on avait paru attacher tant d'importance autrefois; les discours de tribune et les articles de journaux inspiraient un égal dégoût; le plus grand nombre soupirait après le jour où la tribune serait muette et la presse muselée, et la seule liberté estimée encore précieuse, était celle de se délivrer de la basse domination des comités radicaux et des politiciens démagogiques.

En Europe, la situation n'était pas moins critique. Ici il est indispensable d'insister, car, de même que de l'effervescence internationale était sortie l'étincelle à laquelle s'alluma la révolution de Février, de la réaction européenne devait venir l'encouragement et peut-être la nécessité de la réaction en France.

La commotion produite par la révolution de 1848 fut bien plus générale que celle dont la révolution de 1830 donna le signal. Par une coïncidence de justice, c'était à Vienne, le chef-lieu de la politique de la conquête, que le triomphe de la politique des nationalités avait opéré sa première explosion (13 mars). A l'approche du danger, l'empereur d'Autriche, conformément à la coutume royale, abandonnait son fidèle serviteur, de même que Louis-Philippe avait abandonné Guizot. Le chef du parti du repos ne tenta pas plus que ne l'avait fait Guizot de lutter contre cette défaillance irrémédiable. « J'ai combattu, dit-il, avec constance pendant un ministère de près de quarante ans. Mes efforts ont été vains, et, ne sachant ni nager entre deux

eaux, ni dans une eau qui ne convient pas à mes facultés, je me retire de la scène. » Il ajouta en remettant sa démission entre les mains de l'archiduc Louis: « Si les empereurs disparaissent, c'est lorsqu'ils désespèrent d'eux-mêmes. » Peu après il était obligé de quitter Vienne et de traverser en fugitif, presque en malfaiteur, cette Allemagne qu'il avait si longtemps conduite en maître. Il rejoignit Guizot à Londres, où Palmerston les reçut tous les deux avec une narquoise courtoisie. Selon l'évolution logique, le soulèvement contre le ministre était bientôt suivi de la rébellion contre le souverain; une révolution éclata à Vienne, et la famille royale dut se réfugier à Insprück (15 et 26 mai).

De Vienne le mouvement se propagea jusqu'aux extrémités de la monarchie. En Hongrie, le meneur éloquent du parti radical, Kossuth, obtenait des députés une sommation à l'Empereur de transférer la Diète de Presbourg à Pesth, d'accorder la garde civique, un ministère hongrois responsable (17 mars). La sommation est accueillie. Batthyany forme le premier ministère hongrois (23 mars). Malgré la violente lutte qui avait séparé Szechenyi, le chef de l'opposition constitutionnelle et Kossuth, coryphée du parti révolutionnaire, Batthyany les réunit dans son ministère, et il demande à Deak, l'ennemi des idées de Kossuth et le modérateur des colères de Szechenyi, d'entrer aussi dans son gouvernement et d'y continuer son rôle de conciliateur. Malgré sa vive répu

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