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Pour être prêt à répondre à l'appel auquel il s'attendait, le gouvernement décida l'envoi d'une flotte devant Gênes, la formation d'une armée des Alpes de 60 000 hommes et vota les crédits nécessaires à un effectif général de 532 000 hommes. Lamartine avait même pensé envoyer un corps d'observation en Piément, spontanément, sans attendre aucune demande du roi (11 avril).

L'annonce de ces intentions épouvanta CharlesAlbert. Il craignait que notre drapeau ne lui apportât la République dans ses plis, n'encourageât la séparation de Gênes toujours mal disposée et ne secondât les menées mazziniennes en Lombardie. Bixio, notre chargé d'affaires à Turin, avertit Lamartine. « L'intervention de la France n'étant pas demandée serait considérée par tous les partis comme un acte d'insigne déloyauté. Elle produirait sans doute la guerre genérale, et ferait certainement sur l'Italie l'effet qu'a produit sur l'Espagne la surprise de 1808 (15 avril); elle soulèverait dans tous les cœurs une haine implacable, une haine d'Italie (20 avril). » Il eût semblé que nous arrivions uniquement dans notre intérêt, pour donner satisfaction à notre esprit militaire et occuper la place que l'Autriche allait laisser vacante. Infatués par leurs phrases, les Italiens ne doutaient pas de leurs rapides victoires: l'Autriche n'était plus qu'un fantôme, l'armée de Radetsky qu'une ombre! Cette infatuation était portée à ce point le ministre sarde à Paris considérait comme

que

un signe de malveillance les inquiétudes de Lamartine sur le sort de l'armée piémontaise '. La formation de notre armée des Alpes, motivée par la pensée amicale de couvrir les derrières de Charles-Albert, préoccupait le gouvernement piémontais plus que l'armée de Radetsky. Il y soupçonnait l'arrière-pensée hostile de le surveiller et de l'inquiéter. Il n'osa en demander le licenciement, mais nous pria d'écarter notre flotte de Gênes.

Il fit publier à Marseille par son consul « que les compagnies de volontaires venant de l'étranger sans autorisation, étant un embarras pour l'armée régulière et un danger pour les campagnes, seraient repoussées, à quelque nation qu'elles pussent appartenir ». En conséquence, lorsque le général Antonini arriva de Paris avec une colonne de volontaires, le consul sarde s'opposa à son embarquement pour Gênes. Mani seul, manifestant ce sens politique de premier ordre auquel, autant qu'au génie de Cavour, l'Italie doit sa résurrection, se rendait compte que, sans le secours français, l'Autriche ne scrait pas chassée; mais lorsqu'il consulta les gouvernements italiens à ce sujet, son avis fut unanimement rejeté. L'Italia fara da se, lui répondit-on. Les Lombards et les Vénitiens eux aussi se sacrifièrent à une chimère de présomption et restèrent muets.

Commissaire à Marseille je ne tins aucun compte de la notification du consul piémontais je facilitai de mon mieux l'embarquement de la

colonne Antonini. Parmi les volontaires se trouvait un nommé Pieri que je retrouvai plus tard en des circonstances bien différentes.

Dans sa sphère plus élevée Lamartine, dont l'imagination, les sens étaient italiens, ne se résignait pas plus que moi à rester inutile au pays de sa prédilection. Nommé par l'Assemblée l'un des cinq membres de la commission exécutive (6 mai), il revint sur son projet d'une intervention spontanée. Ses collègues ne le suivirent pas. Prévoyant la double hypothèse de la défaite et de la victoire de Charles-Albert, ils résolurent, dans le premier cas, d'arrêter l'Autriche à la ligne du Tessin, dans le second, de réclamer, comme compensation à l'établissement d'une puissante monarchie piémontaise, Nice, la Savoie, protection nécessaire de notre sécurité, lambeau du sol national iniquement séparé par le traité spoliateur de Paris, qui depuis tant d'années demandait le retour à la mère patrie1. Ce n'eût pas été une conquête mais une restitution.

Instruit de notre résolution de nous abstenir, le Piémont respira. « L'armée française, disait orgueilleusement le ministre Pareto à la Chambre, n'entrera que si nous l'appelons, et comme nous ne l'appellerons pas, elle n'entrera pas

1. LAMARTINE, Révolution de 1848, t. II, p. 282: « Mazzini (loco citato) prétend avoir la certitude que le parti modéré avait pris secrètement l'obligation de céder la Savoie. Dans une carte du futur royaume, faite à Turin, la Savoie était éliminée. » Une certitude de Mazzini n'est pas une preuve.

(12 mai). » « La France, écrivait Cavour, sait hautement comprendre et respecter la cause de la liberté et de l'indépendance italienne1. >>

III

Notre peuple, ignorant les difficultés diplomatiques de son gouvernement, les méfiances anglaises et piémontaises, persuadé qu'on pouvait atteindre la Pologne en quelques enjambées, maugréait de notre immobilité. Est-ce que par hasard on allait recommencer 1830? Il prenait patience en chantant à tue-tête, dans les rues, le refrain du chansonnier plébéien, Pierre Dupont:

Les peuples sont pour nous des frères,
Les tyrans des ennemis,

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons à l'indépendance du monde.

Deux enfants se querellaient. « Figurez-vous, monsieur, dit l'un d'eux voulant donner une preuve sans réplique de la perversité de son adversaire, figurez-vous qu'il a déchiré l'affiche pour les Polonais. »

Les journaux se défendaient d'avoir peur de l'unité germanique : « Tout ce qui fortifie et affermit la barrière qui sépare la France de la Russie, 1. Risorgimento du 20 mai 1848.

plaît à notre politique; tout ce qui unit et consolide l'Allemagne devenue libérale consolide aussi la France, lui est utile et avantageux'. » Proudhon avait repris les thèses de Lamennais et de Lamartine sur la fraternité universelle : « Il n'y a plus qu'un peuple européen, en attendant qu'il n'y ait plus qu'un seul peuple sur tout le globe. Il faut rayer du Code les titres I et II concernant l'état civil des Français. Le droit de cité appartient à tout individu dans tous les pays civilisés où il se trouve. »

Lorsque les meneurs révolutionnaires voulurent jeter la foule sur l'Assemblée constituante, ils n'y réussirent pas en parlant d'un ministère du travail; mais au mot de Pologne inscrit sur leurs enseignes séditieuses, on les suivit. Après l'invasion et la dispersion de l'Assemblée, Blanqui, le principal meneur, dit de sa voix dure et pénétrante : « Le peuple exige que l'Assemblée nationale décrète sans désemparer que la France ne mettra l'épée au fourreau que lorsque l'ancienne Pologne tout entière, la Pologne de 1792, sera reconstituée (16 mai 1848).

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L'Assemblée elle-même ne désavouait pas la cause au nom de laquelle on venait de la violenter. Plusieurs de ses membres voulaient comme Blanqui partir en guerre pour la Pologne de 1792. Le citoyen Napoléon Bonaparte

1. Journal des Débats des 4 avril, 11 avril, 15 mai 1848; Revue des Deux Mondles du 1er novembre 1849.

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