Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

le maréchal de camp Lambert en qualité de commissaire de l'Empereur. A son arrivée à Pesth, Lambert est assassiné (29 septembre) Le grand Magyar Szechenyi désespéré du naufrage de l'œuvre de sa vie, devient fou à la suite d'une discussion véhémente avec Kossuth et veut se jeter dans le Danube; l'archiduc palatin Étienne quitte le pays; le dernier représentant du système constitutionnel, Deak, refuse de s'associer à une politique radicale dont il n'attend que des désastres et sort du ministère (octobre). Kossuth, désormais sans rival et sans contradicteur, devenu le dictateur populaire, proclame la rupture de tous liens avec l'Autriche et l'indépendance de la Hongrie. Le peuple viennois soutient sa révolte, empêche le départ des troupes envoyées contre lui, assassine le ministre de la guerre Latour, et oblige l'Empereur à s'enfuir.

Cherchant des auxiliaires, le dictateur, de germanique qu'il avait été jusque-là, se fait slave et appelle les Polonais à la rescousse. Quelques-uns, tels que le prince Czartoryski, se refusent. « Un Polonais, dit le prince, ne saurait s'attacher exclusivement à la fortune de la race dominante en Hongrie sans forfaire d'une manière patente à ses devoirs de nationalité. »> D'autres, tels que Bem et Dembinski, accourent et la guerre s'engage furieusement de part et

d'autre.

Le général autrichien Windischgraetz reprend Vienne, et, par représailles de l'assassinat du

général Latour, fait fusiller l'un des députés de Francfort, Robert Blum. Néanmoins la guerre est loin d'être terminée. En cette extrémité l'Empereur se décide à confier ses affaires au prince Félix de Schwarzenberg. Les plaisirs avaient épuisé le corps du prince; un tremblement nerveux constant agitait ses mains, mais dans ce corps délabré était intacte une âme impétueuse, forte, résolue. Schwarzenberg acceptait le pouvoir à la condition que le vieil empereur abdiquerait au profit de son neveu FrançoisJoseph, âgé de dix-huit ans (2 décembre 1848).

D'une taille haute, bien prise, d'une physionomie sérieuse et éclairée par un sourire bienveillant, le jeune souverain inspirait dès lors la sympathie et le respect. Il comprit la lourdeur du devoir qui lui était imposé. « Adieu, ma jeunesse!» s'écria-t-il à l'annonce de son élévation au trône. De ce moment, son visage n'exprima plus que par échappées les épanouissements heureux. Il se met à l'œuvre sous la direction de l'intrépide ministre, et le relèvement de l'autorité impériale s'opère à vue d'œil.

VI

En résumé, quand le prince Louis-Napoléon s'installa à l'Élysée, le souffle manquait partout à la révolution de Février; partout, elle était compromise ou perdue; partout, elle dissipait par la folie de sa méthode révolutionnaire les

biens acquis par la sagesse de la méthode constitutionnelle; partout la liberté, traitée en séditieuse importune, était exilée ou mise aux fers, et le principe des nationalités, loin d'être descendu de la théorie dans les réalités, se trouvait à la veille d'être égorgé par le droit de la conquête refait en forces. Déjà on entendait les grincements de dents dans les cabines des pontons, sous les huttes de la transportation, dans les cachots des forteresses, et dans le lointain de l'horizon apparaissait, intact, immense, les foudres de l'ordre en ses mains, le Tsar de la sainte Russie, contemplant d'un regard impatient, courroucé, les grouillements ensanglantés de la vieille Europe.

Quel parti prendrait le nouveau chef du gouvernement de la France? Se prononcerait-il pour ou contre la réaction? Braverait-il Nicolas ou s'inféoderait-il à lui? Demeurerait-il le penseur compatissant de Ham, ou se transformerait-il en rigide César? Réaliserait-il les idées auxquelles il avait dû sa popularité, ou les renierait-il? Hâterait-il ou conjurerait-il la catastrophe de la révolution? Allait-il secourir ou achever la liberté et les nationalités agonisantes? On se le demandait anxieusement.

CHAPITRE IV

LE MINISTÈRE DE LA CAPTIVITÉ

I

« Ce fut un malheur pour moi, m'a dit Napoléon III, de n'avoir pu débuter par un ministère républicain et d'avoir été obligé de me confier aux hommes de la rue de Poitiers1. >>

En effet une des impossibilités auxquelles se heurta d'abord le premier président de la République fut celle de recruter des ministères républicains. Cavaignac et ses amis se refusaient; Ledru-Rollin et les siens se déchaînaient. Il eût pu appeler Jules Favre, le défenseur de ses intérêts en quelques occasions, « animé de la visible préoccupation de capter par la flatterie sa sympathie intime ». Mais ce rhéteur doucereusement venimeux, au jugement faux, au caractère versatile, sans autre connaissance réelle que celle des phrases, odieux à maints républicains depuis son impitoyable

2

1. On nommait ainsi les monarchistes coalisés du nom de la rue où ils tenaient leurs réunions.

2. FALLOUX, t. I, p. 522.

réquisitoire contre Louis Blanc, haï des monarchistes à cause de sa proposition de dépouiller les princes d'Orléans de leurs biens patrimoniaux, suspect à tous à cause de ses volte-face incessantes, n'offrait ni assez de dignité ni assez de sérieux pour être chargé d'inaugurer les débuts d'un gouvernement.

Un des républicains les plus éclairés et les plus loyaux du National, Duclerc, conseilla au Prince de s'adresser à Lamartine, dont les ailes étaient assez amples pour couvrir même un Napoléon. Il eût été beau de voir celui qui avait fermé au drapeau rouge la porte de l'Hôtel de ville, ouvrir celle de l'Élysée à l'élu du peuple et justifier ainsi le suffrage universel « d'avoir mis le dépôt de sa liberté entre les mains du nom le plus éclatant de la gloire ».

Le Prince, vers la nuit tombante, galopa donc, accompagné de Duclerc, vers la maison de Lamartine, à Saint-James, au fond du bois de Boulogne. Lamartine, averti, monta à cheval pour aller, comme par hasard, se promener dans l'allée de sapins où le Prince l'attendait. Après quelques compliments rétrospectifs, celui-ci aborda la question en homme d'affaires qui désire avoir une solution prompte et nette. Lamartine ne se déroba point derrière un scrupule de principe. Quoique ayant donné sa voix à Cavaignac par probité républicaine, il était résolu à se rattacher, non par goût mais par patriotisme, au gouvernement légal, contre les factions et oppositions qui chercheraient à l'en

T. II.

10

« PreviousContinue »