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cesse de gouverner dans l'intérêt des masses et non dans l'intérêt d'un parti.

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Arrivé à Madrid l'ambassadeur blesse la reine Isabelle par le sans-gêne de ses façons, se met en rapport avec ses ennemis, professe hautement que la maison de Bourbon devrait être expulsée de gré ou de force des pays où elle régnait encore. La reine demanda son rappel, que le Président accorda incontinent à Drouyn de Lhuys'. Le prince Napoléon reprit alors sa place à l'Assemblée, où il ne négligea aucune occasion d'être désagréable à son cousin. Il entraîna dans sa querelle son père, dont les rapports avec le Président devinrent très froids.

S'il perdit ce concours utile, le Prince conquit celui bien précieux de Morny. Morny, des mains de sa grand' mère Mme de Souza, avait passé sur les bancs du collège Henri IV. Il s'y était lié avec le jeune duc de Chartres, futur duc d'Orléans, ce qui lui valut après 1830 d'ètre nommé d'emblée officier de cavalerie, sans examen, en qualité de héros de Juillet. Il servit brillamment en Afrique comme aide de camp du général Trézel. Ambitieux de fortune et de pouvoir, il quitta l'armée, vint s'installer à Clermont-Ferrand, où il fonda l'importante usine de Bourdon. Il ne se contenta pas de séduire le monde riche, il venait s'asseoir familièrement sur le comptoir des petits bourgeois, leur offrant des cigares de choix, les entretenant de leurs affaires. Il plut

1. 10 avril 1849.

et fut nommé député en 1842 avec d'autant plus d'entrain qu'on saluait en lui un des favoris du règne futur. Quoique la mort du duc d'Orléans eût détruit ces perspectives, il conserva son siège. Dans des circonstances délicates il soutint fermement le cabinet Guizot, et il acquit le renom d'un homme d'esprit et de courage. Il ne tarda pas à y ajouter celui d'homme clairvoyant. « Si ce mouvement continue, disait-il à Guizot en 1847, si l'on va où il pousse, nous arriverons je ne sais où, à une catastrophe. Il faut l'arrêter à tout prix, et on ne le peut que par quelques concessions. » Le 24 février le consterna, compromit sa position financière, le jeta dans un tel découragement qu'il ne se présenta pas à la Constituante et qu'il devint... légitimiste, la forme du désespoir politique du moment. Quand Véron le consulta sur le parti à prendre dans l'élection présidentielle, il répondit d'un ton aigri, presque avec mauvaise humeur: « Je ne connais pas le prince Louis, je ne l'ai jamais vu. » Vieillard le lui fit connaître et voir. Ils se donnèrent une poignée de main sans aucune explication et ils se rapprochèrent par ce qu'ils ne se dirent pas plus que par ce qu'ils se dirent. D'abord Morny le prit d'un peu haut et parut vouloir régenter. Fleury le prévint que cette manière ne réussirait pas. Il s'assouplit, devint déférent, et peu à peu s'avança au premier rang dans la confiance et dans la faveur.

VII

Rome fut vite réduite aux extrêmes. Garibaldi, son défenseur, se montra dès lors ce qu'il sera toujours, aussi valeureux soldat qu'inepte général. Mazzini parla de faire de la ville un amas de cendres sous lequel il s'ensevelirait. Les Romains enfin réveillés ripostèrent qu'ils n'enviaient pas le sort de Saragosse, qu'ils préféraient le Vatican et Saint-Pierre à la meilleure des républiques, et ils ne permirent pas aux torches de s'allumer. Mazzini renonça à s'ensevelir et s'enfuit, Garibaldi l'imita quoiqu'il n'eût rien à redouter de nous, et notre armée entra sans coup férir, au soulagement du grand nombre. Notre occupation fut clémente. A l'exception de Cernuschi, arrêté à Civita-Vecchia et plus tard remis en liberté, on laissa s'évader les triumvirs et tous les hommes compromis avec des passeports anglais et américains, on en délivra de français à quiconque en voulut. Ni proclamations féroces, ni supplices; on demanda les armes, on ne les arracha pas; pas d'exactions non plus; tandis que l'occupation autrichienne accablait l'État pontifical, la nôtre ne lui coûta rien 2.

La chute de Venise suivit celle de Rome et fut

1. FARINI, lo Stato Pontificio, t. IV. « Tanto valoroso condottiere quanto inetto generale. »

2. FARINI, t. IV, p. 246 à 260.

plus cruelle. Le choléra et la famine l'achevèrent, elle tomba sous un sabre inexorable (24 août 1849). Manin, son grand dictateur, se refugia en France et ne la rendit pas responsable de la cruelle nécessité qui, sous la menace d'une coalition européenne, nous avait obligés de respecter le traité de Campo-Formio, malgré notre désir ardent de le déchirer.

Après la chute de Rome et de Venise tout fut fini en Italie comme en Prusse et en Autriche. Cette ruine de l'espérance des peuples était l'œuvre et la joie du tsar Nicolas, plus imposant et plus adulé, plus triomphant et plus altier que ne le furent jadis Alexandre et Metternich. Il avait été l'âme de la réaction qui couvrait maintenant l'Europe d'un voile de deuil. Quand on l'avait appelé il était accouru, comme dans les Principautés Danubiennes et en Hongrie; il serait descendu en Italie si Radetsky eut faibli, et dans le Jutland si le roi de Prusse n'eût pas arrêté Wrangel. Où il ne combattit pas il conseilla. Il avait excité l'Autriche à ne pas céder la Lombardie et à exiger le maintien des délimitations territoriales de 1815. Il avait blâmé les concessions de son beau frère de Prusse. «< Il gâte le métier », disait-il. Il affectait de parler irrévérencicusement du gouvernement pontifical « Nous ne concevons rien. disait-il à Lamoricière, à ces fonctions temporelles remplies à Rome par des ecclésiastiques, mais peu nous importe la manière dont ces calotins s'arrangent, pourvu qu'on fasse là quelque chose qui tienne. >>

Et néanmoins il avait envoyé son ambassadeur à Gaëte auprès de Pie IX, rappelé celui de Turin, et laissé sans réponse les lettres par lesquelles Victor-Emmanuel lui notifiait son avènement. Après la réduction de la Sicile il avait écrit au général Filangeri, comme s'il eût été un de ses sujets, pour le complimenter de sa conduite. Il pontifiait et régentait; sa volonté paraissait l'oracle des princes; l'axe du monde politique ne se trouvait plus à Paris, à Londres ou à Vienne; il avait été transféré à Saint-Pétersbourg.

Il semblait qu'on allait assister à une troisième réaction, semblable à celles de 1819 et de 1832 ou même pire. Mais deux différences considérables distinguaient 1849 de 1819 et de 1832. En 1819 et en 1832, les idées libérales sombrèrent en même temps que les idées révolutionnaires. En 1849, les idées libérales surnagèrent au naufrage des idées révolutionnaires. L'empereur d'Autriche lui-même se crut contraint de dire dans son manifeste d'inauguration : « Reconnaissant par notre propre conviction la nécessité et le prix des institutions libres et modernes, nous nous engageons avec confiance dans le chemin par lequel nous devons être conduits à la transformation et au rajeunissement de toute la monarchie. » En Prusse et en Piémont subsistaient deux constitutions libérales, dont aucune interprétation pharisaïque ne détruirait l'efficacité.. D'un bout de l'Allemagne à l'autre, la perpétuité des rentes foncières, les dîmes seigneuriales, les corvées, les droits de mutation, de chasse, de

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