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coute pas plus qu'il ne l'avait fait dans les crises précédentes les impatients ou les emportés pressés d'en finir. Il avait fini et bien fini la tâche de l'heure présente, et cela lui suffit. Ses adversaires n'étaient pas assez usés et démasqués, la solution légale conservait ses probabilités; il se remet de nouveau sur la défensive, il n'essaie pas une résistance inopportune au vote de défiance, et il renvoie ses ministres. Je suppose qu'il n'en éprouva pas un vif regret. Si le ministère Odilon Barrot lui avait été désagréable, il ne l'avait pas conduit comme celui-ci à deux doigts de sa perte par sa condescendance funeste pour la loi du 31 mai.

Les préoccupations extérieures n'avaient pas fait défaut non plus pendant la durée de ce ministère. A côté de quelques incidents bruyants, l'affaire Pacifico et celle des réfugiés en Suisse, qui aussitôt réglées n'avaient laissé aucune trace, s'en étaient déroulées d'autres en Italie, en Allemagne et en Orient, sans conséquences immédiates, en apparence sans intérêt pour nous, et qui en réalité constituaient le premier acte du drame dont cette étude prépare le récit. Détournons donc un instant nos regards de l'orage noir déjà grondant à l'intérieur et voyons se former au dehors les premières vapeurs à peine visibles de l'ouragan terrible qui fondra sur nous en 1870.

vient de gagner cinq cents pour cent dans l'opinion, sachezle bien, par sa destitution de Changarnier. >>

CHAPITRE VI

LE PROLOGUE DE 1870

Dans la politique intérieure, nous avons jusqu'à présent rencontré deux courants parfois se contrariant, parfois cheminant côte à côte, celui des ministres et celui du Président. Dans la politique extérieure, ces deux courants persistent, mais non plus avec une force égale; celui du Président l'emporte. Sans cesser d'être contrariée sa pensée intime l'est moins, elle s'accuse mieux et prévaut plus souvent. Aussi l'analyse des affaires soulevées en Orient et de l'évolution nationale commencée en Italie et en Allemagne est de premier intérêt. On y retrouve quelques-uns des traits essentiels de cette diplomatie impériale appelée à exercer sur nos destinées et sur celles du monde une influence décisive. En ce sens, je considère les événements de l'année 1850 et du commencement de l'année 1851 comme le prologue du drame qui, se déroulant à travers l'Empire en plusieurs actes successifs, s'achèvera en 1870.

En Orient, Palmerston impatienté de l'obstination avec laquelle la Grèce se refusait à son influence, tout à coup, sans avertir la Russie et la France, les puissances co-garantes, lance un ultimatum sommant la Grèce de satisfaire immédiatement à certaines réclamations et notamment à celles d'un juif portugais né à Gibraltar, don Pacifico (17 janvier 1850). Sur le refus de la Grèce il fait bloquer le Pirée et mettre l'embargo sur les navires du gouvernement grec et sur les navires marchands. Nicolas, encore frémissant de sa récente humiliation dans l'affaire des réfugiés hongrois, prend parti en faveur de la Grèce, au nom de ses droits de co-garant (Note du 19 février 1850). Il semblait naturel que la France s'unît à lui, ses intérêts et son droit étant les mêmes. Mais cette intervention collective eût été désagréable à l'Angleterre. Le Président offre ses bons services et substitue une médiation isolée, tout amicale, à une action collective blessante. Palmerston remercie et accepte. Puis aussitôt, emporté par son impatiente passion, tandis qu'un arrangement se concluait à Londres entre lui et notre ambassadeur (18 avril), sous prétexte qu'à Athènes le médiateur français avait renoncé à sa mission, il méconnaît l'arrangement consenti par lui-même. Malgré les représentations de l'envoyé français, la Grèce, attaquée de nouveau par les forces navales britanniques, menacée d'une ruine complète, se rend à merci et concède au Pirée bien au delà de ce qui lui avait été imposé à Londres (27 avril 1850). Le

Président se fâche, notifie à Palmerston que les respects mutuels sont la condition première de toute alliance, qu'il ne permettra à personne de froisser impunément notre dignité. Il demande que le cabinet anglais considère comme non avenus des faits regrettables constituant la violation d'un engagement. Cette demande n'ayant pas été agréée, il juge la continuation du séjour à Londres de notre am bassadeur incompatible avec la dignité de la République, il le rappelle et le ministre des Affaires Étrangères dit à la tribune : « J'ai eu l'honneur d'annoncer à l'Assemblée qu'à la nouvelle fâcheuse et inattendue de l'insuccès de nos bons offices dans les négociations suivies à Athènes, le gouvernement de la République avait cru de son devoir de demander au gouvernement anglais des explications. La réponse qui nous a été faite ne se trouvant pas telle que nous avions le droit de l'attendre, le Président de la République, après avoir pris l'avis de son conseil, m'a donné l'ordre de rappeler de Londres notre ambassadeur.» (Très vive approbation, triple salve d'applaudissements, abstention sur la plupart des bancs de l'extrême gauche.)

déclaration

Les conséquences de cette eussent été fort graves si l'Angleterre ne les eût conjurées en reconnaissant le bien fondé de la susceptibilité française. Le procédé de Palmerston fut blâmé par la Chambre des lords, et malgré un admirable discours de quatre heures, célèbre dans les annales parlementaires, il ne fut couvert

à la Chambre des communes que par une majorité de quarante-six voix. Palmerston comprit qu'il avait excédé la mesure; il revint sur son premier refus et il substitua l'arrangement conclu à Londres le 18 à celui arraché le 27 à Athènes à la faiblesse des Grecs. A la suite de quoi les relations entre le Président et lui redevinrent d'autant plus confiantes que toute inégalité humiliante en avait été exclue.

Cette conduite dénote la prédisposition du Prince, dans tout conflit entre l'Angleterre et la Russie, à pencher plutôt vers l'Angleterre ; sa tendance, chaque fois qu'on le lui permettrait, à trancher tout différend européen comme médiateur agissant seul; enfin sa résolution de ne tolérer de qui que ce soit, même d'un allié, la moindre atteinte à l'honneur national.

A Londres et Athènes il n'avait pas cherché l'occasion d'agir de concert avec Nicolas. A Jérusalem il souleva des prétentions qui blessèrent celui-ci bien plus que la querelle sur le droit d'asile où il était entré à demi seulement et surtout pour complaire à l'Autriche. Un traité conclu entre Francois Ier et Soliman concéda à la France certains privilèges relatifs aux lieux saints. Depuis, les sultans avaient, sous la pression de la Russie, octroyé à l'Église grecque, par des firmans et non par des traités, d'autres privilèges incompatibles avec ceux dont l'Église latine avait obtenu la jouissance. La France réclamait parfois sans insister. En mai 1850 le président demanda à la Porte de revenir à l'exécution pure et

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