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guetter la couronne de Belgique. Il se crut obligé à un démenti. Son seul désir eût été de combattre << en qualité de simple volontaire, dans les rangs glorieux des Belges ou dans ceux des immortels Polonais, s'il n'avait craint qu'on n'attribuât ses actions à des vues d'intérêt personnel ».

Hortense fit témoigner à Talleyrand le désir de le voir. A ce désir sans dignité Talleyrand répondit par un refus sans courtoisie. Il envoya sa nièce, Mme de Dino, demander en quoi il pouvait être utile. Lorsque la reine eut expliqué qu'il s'agissait d'obtenir, afin de rentrer en Suisse par la France, le passeport visé ou autorisé par les cinq grandes puissances, sans lequel aucun Napoléon ne pouvait se mouvoir, il transmit la demande à Paris, d'où on lui répondit de l'accueillir.

Cette fois Hortense évita la capitale; elle avait été épouvantée par une exclamation de son fils: << Si, en traversant Paris, je vois le peuple massacré, je m'élance dans ses rangs. » Ils tournèrent autour sans y entrer. Ils visitèrent, à Ermenonville, le tombeau de J.-J. Rousseau, à Rueil celui de Joséphine. Ils n'eurent pas la force de se rendre à Saint-Leu. Par la grille fermée de la Malmaison, à cette heure du couchant, memento quotidien de la mort qui rend mélancoliques même les heureux souvenirs, ils contemplèrent à la dérobée les jardins silencieux, la demeure fermée du Premier Consul, et, eux aussi, ils dirent:

Ma maison me regarde et ne me connaît plus.

IV

Le retour fut triste; le Prince se retrouvait en présence des pensées douloureuses écartées pendant son voyage. « J'ai bien pleuré, racontait-il à son père en revoyant le portrait de ce pauvre Napoléon, son cheval et sa montre. » Il refuse de s'occuper de l'héritage de son frère. Il ne tient nullement à l'argent qui vient d'une source aussi malheureuse, il ne demande que les objets ayant servi à l'usage personnel. Il eût voulu s'arracher à ces poignantes émotions en allant combattre en Pologne où l'appelaient les généraux insurgés. Un jeune Bonaparte apparaissant parmi eux, le drapeau tricolore à la main, produirait, à les en croire, un effet dont les suites seraient incalculables. Son père et sa mère unirent en vain leurs supplications, leurs ordres pour le retenir. Il quitta Arenenberg clandestinement sous un nom supposé. Cette démarche, identique à celle qui l'avait engagé en Romagne, ne pouvait être attribuée à une affiliation au carbonarisme. Il fut arrêté en route par la nouvelle de la chute de Varsovie.

Rentré dans sa solitude il apprit que la patrie lui était décidément fermée et qu'une loi frappait les Bourbons et les Napoléon de la même proscription (avril 1832). On replaçait l'Empereur sur sa colonie et l'on fermait la porte de la patrie sur ses frères et ses neveux. Y-a-t'il

un plus saisissant exemple des contradictions au milieu desquelles les hommes se débattent dans leur misérable existence? Il protesta véhémentement contre cet accouplement légal des vainqueurs et des vaincus de Waterloo.

La patrie fermée, toute vie active interdite partout, l'exilé retomba douloureusement sur lui-même. Il était parvenu à cet âge où l'amour d'une mère ne suffit plus à remplir le cœur: « J'ai tellement besoin d'affection que si je trouvais une femme qui me plût et qui convînt à ma famille, je ne balancerais pas à me marier. Ainsi, mon cher papa, donnez-moi là-dessus vos conseils (15 décembre 1831). » Le père lui répond que l'essentiel « pour éviter les malheurs trop connus dans cet état était de ne pas être amoureux ». Sur cette peu encourageante consultation, il s'étourdit par le travail: il passait ses jours et une partie de ses nuits sur ses cartes et sur ses livres. Il publia presque coup sur coup les Réveries politiques (1832) et les Considérations politiques et militaires sur la Suisse (1833). Dans ses écrits de jeunesse on retrouve les convictions que les années ont modifiées dans leur forme, mais dont la substance constitue l'unité de sa pensée. Avant tout le dévouement à cette idée des nationalités que la France démocratique élaborait, en la plaçant comme lui sous l'autorité du prophète de SainteHélène. « L'empereur Napoléon devait mettre un terme à l'état provisoire de l'Europe après la défaite des Russes et l'abaissement du système

T. II.

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anglais. S'il eût été vainqueur, on aurait vu le duché de Varsovie se changer en nationalité polonaise, la Westphalie se changer en nationalité allemande, la vice-royauté d'Italie se changer en nationalité italienne. >>

Les nationalités, c'est pour la politique extérieure. Pour la politique intérieure, c'est le socialisme, mot équivoque, bien ou mal famé suivant le sens auquel on s'en sert, qui dans sa langue signifiait, comme dans celle de Saint-Simon, que le but essentiel de la politique doit être l'amélioration du sort matériel, intellectuel et moral du plus grand nombre. Il allait alors jusqu'à la limite extrême: « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler (art. xII). »

Sur la question même de la forme du gouvernement il entrait dès lors dans la contradiction sous laquelle il s'est débattu toute sa vie: il était à la fois républicain et impérialiste. «< Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution, une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures (art. xiv). » Et en même temps il se proposait de rétablir les institutions napoléoniennes. L'antinomie paraît insoluble. Il s'en tire en décidant que le gouvernement serait monarchique à la vérité, mais qu'à l'avènement de chaque nouvel Empereur la sanction du peuple serait demandée. Si elle était refusée, les deux

Chambres proposeraient un nouveau souverain au peuple indistinctement admis à concourir à l'élection.

A la suite des Réveries il reçut le titre de citoyen de Thurgovie; après les Considérations, celui de citoyen de la République helvétique; enfin, en 1834, sur la proposition de Tavel, viceprésident du conseil exécutif, le canton de Berne le nomma capitaine du régiment de l'artillerie cantonale. Ces distinctions fortifièrent ses sen

timents républicains. « Tout cela me prouve, écrivait-il à sa mère, que mon nom ne trouvera de sympathie que là où règne la démocratie (17 juillet 1834). »« Vous avez bien raison, répétait-il à Vieillard, ce n'est pas dans les salons dorés qu'on me rendra justice, mais dans la rue. C'est là qu'il faut que je m'adresse aujourd'hui pour trouver quelque sentiment noble (28 février 1834). »

La vie à Arenenberg était d'ordinaire sévère et monotone. Du château « situé sur une espèce de promontoire à l'extrémité d'une chaîne de collines escarpées, on jouissait d'une vue étendue mais triste. Cette vue domine le lac inférieur de Constance, qui n'est qu'une expansion du Rhin sur des prairies noyées. De l'autre côté du lac, on aperçoit des bois sombres, restes de la Forêt-Noire, quelques oiseaux blancs voltigeant sous un ciel gris et poussés par un vent glacé1. » Les événements étaient le passage d'un bateau à vapeur, un

1. CHATEAUBRIAND.

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