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Louis-Napoléon prit son parti et appela SaintArnaud à Paris.

IV

« Si j'avais commandé au château le 10 août, le roi ne serait pas parti, nous aurions battu les faubourgs ou nous serions tous morts. C'eût été pour la monarchie française un plus noble tombeau que le Temple et l'échafaud. - Moi, homme loyal, homme de cœur, je ne me laisserai jamais dominer par la rue. Plutôt mille fois lever la bannière du chef de bande. » Tout Saint-Arnaud est dans ces lignes intimes adressées à ses frères. La révolution de 1848 l'avait indigné et il avait accueilli la République par un serment de haine. Il vota pour le prince Louis, « parce que c'est l'inconnu et que dans l'inconnu il y a de l'espérance ». La mort de Bugeaud le consterna : « Dieu s'est retiré de la France ». Il veut ne plus penser à la politique, il la déteste autant qu'il aime la guerre et il s'en occupe toujours. « La France est bien malade; si elle en revient ce ne sera que par une crise terrible. On verra l'armée du Président, l'armée du Parlement, peut-être celle des princes, assurément celle des rouges, ce sera la plus dangereuse, j'abhorre la guerre civile et je ne voudrais d'aucune de ces armées. » (Janvier 1850.) Il compare ses camarades d'Afrique à des lampions éteints ;

excepté Baraguay d'Hilliers, ils ne font que faute sur faute.

Les princes d'Orléans ne le perdaient pas de vùe à toute occasion le duc d'Aumale lui écrit des lettres gracieuses. Néanmoins, le Président conquiert de plus en plus ses préférences : « Le message produit un bon effet, c'est droit et habile» (décembre 1850). Il est enchanté de l'expédition de Kabylie, et il salue d'une fanfare l'annonce de l'arrivée de Fleury. « Je lui réponds qu'il sera le bienvenu. Je lui ferai entendre une musique qui vaut mieux que celle des concerts de Paris. Cela lui refera l'oreille et lui donnera l'épaulette de lieutenant-colonel »> (31 mars 1851). Il conduit avec coup d'œil et succès la rude et sérieuse expédition qui lui est confiée contre des ennemis bien organisés. En quatrevingt jours il livre vingt-six combats, soumet quarante tribus.

Après un mois de conversations au bivouac, Fleury put se convaincre que le Président trouverait là un auxiliaire solide, et il rapporta cette assurance à Paris. Toutefois il n'y eut alors aucun accord, même par sous-entendu, sur un coup d'État. Le 20 juin, après le départ de Fleury, Saint-Arnaud écrit « Je n'ai nulle envie de m'avancer ni de me compromettre dans la politique. Vois le triste rôle que joue à présent Changarnier. Il a annoncé aux mandataires du peuple qu'ils peuvent dormir en paix. A qui croit-il faire peur? » Quand, le 10 juillet 1851, il reçoit à son bivouac une lettre autographe du Président, lui annonçant

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qu'il est général de division: «Maintenant que fera-t-on de moi? Qu'on me laisse ici, voilà mon vou. Si l'on me consulte, je resterai ici ». Le 23 juillet de Philippeville : « On dit que la première division de Paris m'attend. Mon Dieu je préfère bien rester en Afrique. Le 31 juillet, il reçoit à Constantine une dépêche lui apportant sa nomination au commandement d'une division active à Paris, et l'ordre de se rendre sur-le-champ à son poste. « Je ne te fais part, d'aucune réflexion sur la voie qui s'ouvre devant moi. C'est ma destinée. Je la suis. J'obéis. J'aimerais mieux rester en Algérie, mais il faut obéir. »

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Il arrive à Paris le 15 août, ignorant ce qu'on attendait de lui.

CHAPITRE II

PREMIER PROJET DE COUP D'ÉTAT
SEPTEMBRE 1851)

I

Quant Saint-Arnaud s'installa à l'École-Militaire, Louis-Napoléon était absolument décidé, une dissolution étant impossible, d'écarter d'autorité l'Assemblée et d'en finir, comme on le lui demandait, par un appel direct au suffrage universel. Mais il répugnait à ce qui ressemblait à un guet-apens, il ne pouvait se résoudre à fondre sur des gens endormis, à arrêter des députés et des généraux, à fermer soldatesquement une enceinte législative; il ne voulait accorder à une cruelle nécessité que ce qu'il n'était pas prudent de lui refuser.

Il résolut d'accomplir son coup d'État en quelque sorte en plein jour. Il profiterait de l'absence des députés, de leur dispersion pour dissoudre l'Assemblée, rapporter la loi du 31 mai, et proposer au peuple, immédiatement réuni dans ses comices, la revision républicaine de la Constitution. On n'arrêterait préventivement

que quelques meneurs, et l'on n'aurait recours à des mesures de rigueur, que si une insurrection les provoquait le jour fixé fut le 22 septembre. Saint-Arnaud, Carlier, Magnan promirent leur concours; Rouher, comme me disait Morny, rédigea les petits papiers (20 août). Tout convenu, Saint-Arnaud se rendit dans la Gironde pour embrasser sa mère.

Le 6 septembre au soir, il rentra à Paris. Aussitôt, sans aucune explication, il écrit au Président de lui rendre sa parole et de ne pas compter sur lui. Sur quoi Carlier envoie sa démission et Magnan déclare que sans Saint-Arnaud il ne fera rien.

Le Prince se crut dénoncé, livré : « C'est une abominable trahison! La commission de permanence, instruite, va s'enhardir aux mesures agressives et lancer son Changarnier, revenu d'Autun, sur une armée sans chef, hors d'état de se défendre ». Il eût fallu aviser sans retard, et l'on était condamné à perdre la soirée au Théâtre-Français où le Prince était attendu. Le bruit d'un coup d'État circulait dans les cercles politiques grâce aux bavardages de Carlier, il eût été imprudent de ne pas s'y rendre. Il y demeura pendant quelques heures, impassible sous les regards plongeants de la salle qui cherchaient à lui arracher son secret. Quel calme vous avez lui dit Persigny. - Il lui tendit sa main elle était brûlante de fièvre.

Dès l'aube on courut après un général. Baraguay d'Hilliers et Castellane, ayant déjà refusé

T. II.

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