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en juillet, on ne pouvait s'adresser à eux et l'on ne trouvait personne. Cependant aucun mouvement ne se produisait du côté de l'Assemblée. On retrouva le sang-froid, et, finissant par où l'on eût dù commencer, on envoya Fleury aux informations auprès de Saint-Arnaud. Celui-ci, pendant qu'on s'agitait à l'Élysée, broyait du noir à l'École militaire et regrettait d'avoir quitté l'Afrique. Il accueillit Fleury avec soulagement, s'expliqua sans réticences, étonné qu'on ne l'eût pas déjà interrogé. Il n'y avait aucune trahison dans son fait. Pendant son voyage à Bordeaux, sa femme l'avait fait réfléchir, lui avait démontré que le coup était fort mal organisé, que les députés dispersés établiraient partout des centres de résistance et qu'il allait courir grand risque sans être suffisamment armé. A son avis, le véritable coup d'État était celui où l'on empoigne, où l'on réprime, où l'on disperse; on lui en avait proposé un à l'eau de guimauve, il n'en avait pas voulu. Qu'on se décide à en faire un sérieux, et on pourra compter sur lui. « Que diable! lorsqu'on dit à quelqu'un de se jeter du haut d'un toit, on peut bien lui laisser la liberté de choisir son moment! » Il embrassa Fleury et une heure après il répétait au Prince ses assurances de dévouement; le lendemain il dînait à l'Élysée'.

1. Fleury place au 4 septembre le retour de Saint-Arnaud à Paris, il résulte d'une de ses lettres du 7 septembre qu'il n'y arriva que le 6. Il place à la suite du refus de Saint-Arnaud l'offre faite au général Castellane du commandement de l'armée de Paris. Il résulte des mémoires du maréchal de Castel

Le Prince ne paraît pas avoir renoncé immédiatement à ramener Saint-Arnaud au coup d'État anodin, si l'on en juge par la lettre mystérieuse écrite le 17 septembre au général Castellane à Lyon : « Mon cher général, je profite d'une occasion sûre pour vous engager à ne pas quitter Lyon à partir du 22 de ce mois, et à prendre toutes les précautions nécessaires en cas d'insurrection. Je ne vous en dis pas davantage; je compte sur votre énergie et sur votre patriotisme». Il ne renonça à son projet que le 21 septembre. Il en avertit aussitôt Castellane :

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Regardez comme non avenue la lettre que je vous ai adressée par M. de Campaigno. J'espère lever les difficultés qui s'opposent à la juste me sure dont je vous avais parlé.

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Le coup d'État se prépara donc tel que le con

cevait Saint-Arnaud. Le commandant de la division militaire de Paris, Magnan, était acquis dès que Saint-Arnaud agissait il demanda d'être laissé en dehors des préparatifs, il marcherait au signal. En attendant il réunit en une conférence secrète les généraux de l'armée de Paris, et tous promirent un dévouement sans réserves. Restait à trouver un préfet de police à la place du loquace et peu sûr Carlier. Le hasard l'amena. Un jeune préfet de l'Allier, Maupas, animé des rancunes les plus furieuses contre la

lane que cette offre fut faite le 11 juillet 1851 et sur ses observations retirée le 14 juillet, elle ne fut pas renouvelée. 1. Cette lettre fixe la date du projet de coup d'État que Fleury place inexactement au 17.

République, qui l'avait chassé de son emploi de sous-préfet de Beaune, poursuivait le Président de ses protestations épistolaires de dévouement exalté. Cela lui valut la préfecture de Toulouse. Il voulut payer son avancement en entrant en guerre contre les ennemis de son protecteur. Il demanda au parquet de lancer des mandats d'arrêt contre cinq conseillers généraux. « Quelles charges avez-vous contre eux? répond-on. - Des charges! Voilà bien des scrupules de magistrats tièdes et indifférents. Des charges contre des ennemis notoires, qu'en est-il besoin? Il suffit de connaître leurs sentiments. Cependant, si des preuves sont aussi indispensables que vous le dites, elles se trouveront chez les prévenus à tel jour et à telle heure, je les ferai mettre par mes agents. » L'honnête Faucher, instruit de ces faits par un procès-verbal du Premier Président et du Procureur général, manda Maupas et lui notifia sa translation à Montpellier. Maupas se rend à l'Élysée, présente les faits à sa manière, se prétend calomnié, recommence son antienne de dévouement, de telle sorte que le Président crut pouvoir se fier à lui. On ne choisit pas le préfet de police d'un coup d'État parmi les lauréats du prix Montyon. Maupas accepta. C'était un bellâtre glorieux et faisant la roue, d'une présomption démesurée, d'une intelligence bornée, mais d'un cynisme sans scrupules.

Le personnel indispensable installé, on s'occupa du plan. Maupas eut beaucoup de peine à obtenir du Prince les arrestations préventives;

enfin il s'y décida. On ne commit plus la faute de mettre trop de monde dans la confidence comme la première fois. La délibération fut circonscrite entre Fleury, Persigny, Mocquart, SaintArnaud, Maupas, Morny. Jusqu'au dernier moment il fut même interdit aux confidents de causer entre eux du projet commun. Le Président concerta isolément avec chacun, heure par heure, les détails les plus minutieux. Il arriva à Saint-Arnaud et à Maupas de rentrer à Paris dans la même voiture, sans s'être rien communiqué des mesures dont l'exécution commune leur serait confiée. Ainsi tout marche à souhait les circonstances sont favorables, les adversaires sans prévoyance, les auxiliaires ardents. Mais le prince a le cœur déchiré. C'était les yeux pleins de larmes qu'il avait fait à Maupas ses premières ouvertures. En organisant la guerre il ne peut renoncer à l'espérance d'un dénouement pacifique, et parallèlement à l'action violente, il poursuit et organise encore une action légale.

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Les résultats de la loi du 31 mai se montraient de plus en plus déplorables. Plusieurs de ses auteurs ne contestaient plus l'urgence de l'amender. C'était le sentiment de Victor de Broglie: « Ce grand citoyen avait fini par reconnaître que les avantages qu'elle pouvait apporter à la cause de l'ordre étaient loin de compenser les dangers que son exécution stricte et rigoureuse devait inévitablement produire '. >> Mais amender

1. Odilon Barrot.

serait insuffisant. Une abrogation pure et simple donnerait seule satisfaction. Cette abrogation obtenue, la route serait ouverte à une dernière tentative de revision légale. Au premier mot du Président sur le rappel de la loi du 31 mai les ministres offrirent leur démission. Il répondit qu'il n'acceptait pas d'être la branche cadette du suffrage universel; la présentation de la loi, Rouher en était témoin, n'avait été consentie que sous la réserve expresse qu'elle ne s'appliquerait pas à l'élection présidentielle. Il pria les ministres de lui garder le secret jusqu'à ce qu'il eût constitué un nouveau ministère.

II

Ce ministère extra-parlementaire (26 octobre 1831) refléta la double pensée dont le Prince poursuivait l'exécution simultanée. Les uns étaient là en vue du coup d'État, Saint-Arnaud à la Guerre, et Maupas à la préfecture de police; les autres pour poursuivre le rappel de la loi du 31 mai, puis la revision légale qui dispenserait du coup d'État à l'Intérieur, Thorigny, magistrat honorable; à la Justice, le procureur général Daviel; Blondel aux Finances, Lacrosse aux Travaux publics, Fortoul à la Marine, Giraud à l'Instruction publique, Casabianca à l'Agriculture et au Commerce. Les ministres de la revision, ignorant

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